mardi 28 septembre 2010

Ce que veut dire vraiment "démocratie juive"

publié le mardi 28 septembre 2010
Michael Khaled

 
Il existe une contradiction fondamentale entre les principes de démocratie et le fait d’avoir un Etat construit pour satisfaire l’une de ses ethnies.
Le racisme est une chose normale dans un Etat qui s’identifie comme une démocratie ethnique. Les responsables israéliens déclarent avec force qu’Israël est l’Etat « démocratique juif ». Pourtant, il existe une contradiction fondamentale entre les principes de démocratie et le fait d’avoir un Etat construit pour satisfaire l’une de ses ethnies.
L’inclusion des minorités, le cosmopolitisme et la protection universelle des droits fondamentaux sont le fondement de toute démocratie, alors que les valeurs que les dirigeants israéliens adoptent aujourd’hui sont aux antipodes.
Que l’issue finale du conflit sépare Palestiniens et Israéliens en deux Etats ou qu’elle les réunisse comme citoyens d’un Etat unique, il est clair qu’Israël, tel qu’il existe aujourd’hui, vit avec une image de lui-même hypocrite.
Loin d’être une démocratie, l’Etat israélien ne peut plus être exactement décrit comme une république ethnocentrique, ou une ethno-république, c’est un Etat qui donne la préférence à une représentation démocratique et à la primauté d’une race.
Dans des récentes déclarations, le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman, demande de retirer la citoyenneté aux citoyens arabes d’Israël qui refusent d’affirmer leur loyauté envers un Etat juif. Pour lui, le statut du million trois cent mille Arabe palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne doit être la question prioritaire à traiter dans la série actuelle des négociations de paix avec l’Autorité palestinienne.
Selon lui toujours, la formule « un territoire pour la paix », base depuis des décennies des négociations conduites par les Etats-Unis, doit être changée. La paix ne suffit plus à ses yeux, et une nouvelle équation basée sur un échange de « territoires et populations » doit être utilisée. Apparemment, Israël abandonnerait des territoires proches de la Cisjordanie, à forte population arabe, en échange des plus grands blocs de colonie de Cisjordanie. Peu importe ce que les citoyens israéliens qu’il se propose de virer veulent, des citoyens dont il devrait pourtant se considérer comme le représentant s’il croyait dans la démocratie. Des sondages montrent souvent que les habitants arabes de villes comme Nazareth, Umm Al Faham et Tayibe, ne souhaitent aucunement devenir des citoyens d’un Etat palestinien nouvellement constitué, surtout s’ils sont forcés de quitter leurs maisons. Pour eux, quand et si la question palestinienne est résolue pour la Cisjordanie et la bande de Gaza, leur lutte pour l’égalité des droits civils et politiques se poursuivra.
Ce système de séparation ethnique prévaut des deux côtés de la Ligne verte, mais il est plus visible aux passages de contrôle dans et hors de la Cisjordanie. Les check-points sont là plus que jamais comme autant de (dis)fonctionnements qui nous donnent un exemple parfait des pratiques discriminatoires du régime ethnocentrique. La justification en est simple pour les Israéliens : c’est pour empêcher qu’entrent des armes et des militants. Alors, jusqu’où est efficace le système actuel de check-points, et l’œuvre maîtresse du système israélien de séparation, la « clôture de sécurité » ?
Je l’ignorais jusqu’à ce qu’il me soit donné de voir, de première main, des policiers des frontières trier les gens sur la base de leur apparence et là j’ai réalisé tout l’arbitraire de cette séparation forcée qui était imposée.
Il y a quelques mois, je voyageais avec deux Palestiniens d’Israël ; l’un, un homme, avec la peau claire qui pouvait aisément passer pour un juif européen, l’autre, une femme, très bronzée, et moi-même, à la peau pâle, dans la vingtaine d’années. Rentrant d’une réunion à Ramallah, nous roulions en remontant vers le check-point de Halabish (Tel Za’tar), près de Tel Aviv.
Je m’attendais à devoir descendre de voiture, ouvrir mes bagages et peut-être à voir des chiens renifler le coffre, ou au moins à présenter ma carte d’identité, mais rien de tout cela. Nous n’avons même pas eu besoin de nous arrêter ; les gardes nous ont juste regardé tous les trois et nous ont fait signe de passer. En fait, je n’ai même pas réalisé que nous venions de passer le check-point jusqu’à ce que je remarque que Tel Aviv grandissait à l’horizon.
C’était incroyable, nous étions deux Palestiniens israéliens et un Palestinien états-unien, qui rentrions en Israël et le garde n’a même pas contrôlé une seule carte d’identité. Certes, nous n’avions rien à cacher, mais comme il serait simple pour quelqu’un comme nous de faire passer des armes, des bombes, ou quoi que ce soit, et qui que ce soit. Mes compagnons m’ont expliqué quels étaient tous les critères que les gardes observaient pour juger du niveau d’une menace ; en l’occurrence, une berline Citroën de fabrication française, avec quelques Arabes, la plaque d’immatriculation jaune qui est remise aux citoyens israéliens, la peau claire, et, le plus important, notre passagère ne portait pas le hijab (foulard islamique) qui entraîne à lui seul une invitation automatique à des inspections minutieuses aux check-points.
L’absurdité du mur de séparation et de toutes les tentatives visant à isoler les Palestiniens à l’intérieur de la Cisjordanie crevait l’écran. Malgré l’existence des lois qui interdisent à tout Israélien de se rendre dans les zones sous contrôle palestinien en Cisjordanie, des citoyens palestiniens d’Israël y entrent et en sortent tout le temps, et sans problème.
Le véritable but de la pratique discriminatoire est de tenir les Arabes palestiniens et les juifs israéliens séparés les uns des autres. Si dans leur majorité, les Israéliens juifs n’ont jamais vu ou ressenti les effets de leur statut de privilégiés, pourquoi devraient-ils faire pression sur le gouvernement pour que ça change ?
Le racisme, quand il est institutionnalisé par la loi et autorisé par la société, est une forme de « pouvoir en douceur », invisible, qu’on ne peut voir mais qui est universellement ressenti par tous ceux qui le subissent. Pour ceux qui sont ciblés par le profilage racial, il crée un sentiment de victimisation, d’impuissance et de désespoir, pendant que ceux qui en bénéficient sont revalorisés, avec plus de pouvoir et complètement aveugles à la souffrance que le racisme provoque.
Les bénéficiaires de ce genre de système perdent tout sens d’empathie humaine tout simplement parce qu’il est beaucoup plus facile de fermer les yeux devant la discrimination. On l’a vu dans l’Amérique du Sud d’avant les droits civils, dans l’Algérie française et dans l’Afrique du Sud de l’apartheid.
Compte tenu de ces précédents, et de l’état de fracture et d’instabilité que connaît la direction palestinienne, il semble presque impossible qu’un règlement négocié puisse offrir la sécurité et la paix aux Israéliens, tout en donnant aux Palestiniens, souveraineté et justice.
Les négociations en cours ne seront même pas près de traiter cette question fondamentale, sauf sous la forme d’une exigence israélienne pour une reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat juif, ce qui ne ferait que réaffirmer le système ethnocentrique et de le cimenter pour les générations à venir.
publié par Miftah
traduction : JPP pour l’AFPS