samedi 11 septembre 2010

Gaza : il y a quelque chose d’empoisonné dans l’eau...

jeudi 9 septembre 2010 - 06h:31
PCHR Gaza
Des milliers de Palestiniens fréquentent les plages de Gaza alors qu’ils savent qu’elles sont lourdement polluées.
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Pour une population piégée dans un minuscule territoire et subissant quotidiennement les effets intenables de l’occupation et du blocus, la mer, cette compagne de toujours, reste le seul lieu capable d’offrir un peu de répit.
Pour une population piégée dans un minuscule territoire et subissant quotidiennement les effets intenables de l’occupation et du blocus, la mer, cette compagne de toujours, reste le seul lieu capable d’offrir un peu de répit.
Tout au long de la plage de Gaza-Ville sont plantés des écriteaux portant les mots : « PLAGE POLLUEE ». La mise en garde est on ne peut plus claire : se baigner dans ces eaux équivaut à exposer sa santé à de graves dangers. Ces écriteaux pourtant ne semblent pas avoir d’autre fonction que de servir de décor vaguement ludique aux nombreux enfants qui se ruent vers la mer.
Pour se convaincre du sérieux de la mise en garde, il suffit de marcher un peu. A environ deux cents mètres vers le nord, une conduite d’eau d’égout brute se déverse dans la Méditerranée. Elle n’est que l’un des seize sites de décharge qui polluent la côte de Gaza. Cette pollution n’empêche cependant pas des milliers de gens d’envahir les plages et de se baigner. Pour le million et demi de Palestiniens piégés à gaza, privés de leur liberté de mouvement et subissant dans leur vies quotidienne les effets épuisants du blocus, la mer reste un des rares lieux capables d’offrir un peu de détente. A peu de frais, il faut le souligner, pour cette population qui a, dans sa majeure partie, été privée de ses moyens de subsistance. A la mer, on joue, on pêche, on se rencontre en famille, on rit. C’est là qu’on se sent vivre un peu. « Gaza ne serait pas Gaza sans la mer » nous dit Abdel Halim Abou Samra, chargé des relations publiques pour la Branche de Khan Younis du Centre Palestinien des Droits de l’Homme de Gaza.
Il faut connaître le lien intime entre les Gazaouis et la mer pour comprendre la profonde tristesse qu’ils ressentent face à l’état actuel du littoral. A cause du blocus complet qui leur est imposé depuis 2007, il n’y a ni matériaux pour entretenir ou construire des stations de traitement des eaux usées, ni pièces détachées pour assurer leur entretien ni suffisamment de carburant et d’électricité pour opérer correctement les cycles de traitement des eaux usées. La conséquence de cette situation est qu’environ 20 000 mètres cubes d’eau d’égouts non-traitées sont directement déversées chaque jour dans la Méditerranée selon l’estimation de Monther Shablack, Directeur général du Service des Eaux des Municipalités du Littoral, estimation qui ne manque pas de noter que le chiffre atteint par endroits de 70 000 à 80 000 mètres cubes/jour.
Les conséquences de la défaillance, due au blocus, des systèmes de traitement des eaux usées ne se limitent pas à lourdement souiller ces eaux jadis limpides. Les choses sont plus graves : la Bande de Gaza subit un véritable empoisonnement. 90% de l’eau disponible à Gaza, laquelle provient d’une seule source, à savoir l’aquifère côtier, est non-potable. Ses teneurs en chlore et en nitrates, en effet, atteignent, respectivement, six et sept fois celles que fixent les normes pour la sécurité de l’eau potable définies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Directeur du Service des Eaux, Monther a pour devoir de lutter contre cet empoisonnement mais il ne peut pas faire grand-chose parce que le blocus multiforme mis en place par Israël depuis 1991 le prive du minimum de moyens nécessaires.
Comme la plupart des Palestiniens de Gaza, Monther et son personnel du Services des Eaux des Municipalités du Littoral doivent faire avec les moyens de bord. Peu de gens pourraient faire autant avec si peu de moyens, car leur mission ne se limite pas à évacuer les eaux usées que produit une population de un million et demi de personnes enfermée dans un minuscule territoire. Ils doivent aussi assurer l’approvisionnement en eau potable pour tous, une eau propre et qui réponde autant que possible aux normes de sécurité internationales. Un défi, semble-t-il, insurmontable mais qui doit être relevé en dépit de tout car il faut vivre. Il s’agit de faire face à une situation où près de 80% des habitants vivent dans des camps de réfugiés, un des lieux les plus densément peuplés au monde, où les équipement collectifs de base- tels que des réseaux de distribution d’eau- en bon état de fonctionnement sont rares et où toutes sortes de maladies- dont ceux à transmission hydrique- trouvent les meilleures conditions pour se répandre.
Monther compare le combat dans lequel sont engagés les Services de l’Eau de Gaza à celui que mènerait une vieille voiture forcée chaque jour de parcourir de longues distances alors qu’il n’y a pas de pièces de rechange pour l’entretenir. Cet engin se met alors à dégager d’épaisses et polluantes fumées noires- une image familière à Gaza où, à cause des restrictions sévères dues au blocus, les véhicules roulent au carburant frelaté.
Pour encore ajouter à l’ampleur du défi, Monther et son personnel doivent faire face, avec des installations de traitement des eaux qui ne cessent de se dégrader, à l’augmentation continuelle, due à la croissance démographique, du volume des eaux usées. Les installations actuelles ont une capacité de 32.000 mètres cube/jour. Avec un taux de croissance démographique de 3,6 % -l’un des plus élevés au monde- taux cumulé pendant des années, le volume quotidien des eaux usées atteint maintenant, selon l’estimation de Monther, au moins 65.000 mètres cubes/ jours. Submergées par ces flux, les installations n’en traitent que la moitié, le reste étant directement transporté vers la mer où il y est déversé tel quel. Ces eaux d’égout, retournées au rivage par le ressac polluent lourdement les plages et empoisonnent ces eaux dans lesquelles des milliers de Gazaouis, enfants comme adultes, se baignent pour fuir l’intense chaleur estivale.
Nulle part cependant la situation n’est aussi critique qu’à Beit Lahia, dans le nord de la Bande de Gaza . La station de traitement des eaux usées de Beit Lahia -une des trois que possède l’ensemble du territoire- reçoit 25.000 mètres cubes/ jour, le double de sa capacité. Mais là, pour encore aggraver les choses, la station est coupée de l’accès à la mer, avec pour conséquence que les eaux usées sont tout simplement déversées dans les terres alentour créant une sorte de lac nauséabond qui s’étend sur 450 dunums. La situation de Beit Lahia constitue l’un des exemples les plus extrêmes des effets désastreux du blocus israélien sur la santé et l’environnement. En mars 2007, cinq personnes périrent entraînées par l’inondation causée par la rupture des digues du « lac ». Mais cet incident n’est qu’une des parties visibles du drame. Les matières polluantes, en effet s’infiltrent et contaminent la nappe phréatique. Par endroits, comme nous l’avons dit plus haut, la teneur en nitrates est sept fois plus élevée que celle fixée par les normes de sécurité de l’eau potable de l’OMS.
« Les nitrates sont des tueurs silencieux » nous dit Monther. Ils n’ont ni couleur, ni odeur ni goût mais quand on en prend de façon continuelle, même à des niveaux beaucoup plus bas que ceux de l’eau de Gaza, ils réduisent la capacité de transport de l’oxygène vers les différents tissus de l’organisme, dont les organes vitaux tels que le cerveau. L’ingestion de nitrates est particulièrement dangereuse pour les nourrissons chez lesquels elle peut entraîner des dégâts dans le cerveau, voire la mort. Pour l’heure, on ignore totalement les effets à long terme de cet état de fait. Mais comme l’a remarqué un donateur pour Gaza « nulle part au monde une population aussi importante n’a été sujette à des niveaux de nitrates aussi élevés pendant une aussi longue période. Il n’ y a tout simplement pas de précédent et donc pas d’études pour nous dire ce qui arrive aux gens dans le long terme quand ils subissent un tel empoisonnement et dans de telles conditions. »
La croissance rapide de la population de la Bande de Gaza entraîne, comme on peut s’en douter, une croissance rapide de la demande en eau potable. C’est un des deux grands défis auxquels doivent faire face Monther et son équipe. L’aquifère côtier, qui s’étire sur une grande partie du territoire, n’est pas seulement la seule source d’eau potable, c’est la ressource naturelle la plus importante pour les Gazaouis. Cette nappe est comme l’artère qui irrigue leur vie et cela, pas seulement aujourd’hui mais depuis les temps plus reculés, car c’est elle qui a rendu l’agriculture, et notamment les célèbres plantations de citronniers, possible. « Il y eut un temps, nous dit Monther, avant le blocus imposé par Israël au début des années 90, où il suffisait de creuser dans la limite d’environ cent mètres à partir de la plage pour trouver de l’eau potable. Maintenant, nos services ont été contraints d’adresser à la population un avertissement contre le creusement de puits à moins de 2 kilomètres de la plage. Quand on y ajoute la zone-tampon unilatéralement imposée par les Forces de Défense Israéliennes à la frontière, zone dont la profondeur tacitement reconnue est de 300 mètres mais qui, dans la pratique, est parfois très largement dépassée, il ne reste que très peu d’espace pour creuser de nouveaux puits. »
Aussi douloureuse que soit cette décision, elle est dictée par des raisons dont on ne peut ignorer la gravité : la nappe phréatique, outre qu’elle est lourdement polluée est, du fait des besoins croissants qu’elle ne peut plus couvrir, exploitée à un rythme qui la menace d’épuisement. A présent, seulement 10% de l’eau de la nappe répond aux normes internationale autorisant sa consommation. Mais si rien n’est fait, s’inquiète Monther, ce chiffre va vite descendre à 0%. Un rapport du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) publié en septembre 2009 a établi que la nappe était exploitée à un rythme double de sa capacité de renouvellement. Devant cette situation, les Gazaouis sont contraints de creuser de plus en plus de puits et à des profondeurs de plus en plus grandes, poussant toujours plus loin la pollution provoquée par la remontée des eaux de l’aquifère salin situé à l’est de Rafah (sud de la Bande Gaza) et de la mer.
Devant une situation qui ne cesse de se dégrader et alors qu’Israël les prive des moyens nécessaires, Monther et son équipe sont forcés de recourir à des méthodes peu conventionnelles pour faire face au problème des eaux usées. A Rafah et Khan Younis, villes du Sud de la Bande de Gaza, « le problème des eaux usées, explique Monther, a atteint un seuil critique ». Comme c’est le cas à Beit Hanoun, en l’absence d’installations de traitement des eaux d’égouts et de matériaux pour en construire, ces eaux sales étaient directement déversées dans les terres environnant les villes, menaçant de priver d’eau potable une population de 350 000 personnes.
Pour affronter cette situation, Monther et son personnel ont eu recours à une pratique répandue chez les Palestiniens vivant dans les décombres causées par la dernière attaque israélienne. Ils se sont mis à collecter les agrégats parmi les ruines de la Route de Philadelphie. (Il faut rappeler que cette route, située à proximité et faisant frontière entre la Bande de Gaza et l’Egypte, fut partiellement détruite en 2008 quand des milliers de Palestiniens affluèrent vers l’Egypte à la recherche d’approvisionnements). Avec ces matériaux de seconde main, le Service des Eaux de la Bande de Gaza est arrivé à construire une installation de traitement des eaux « presque de pointe » comme nous le dit fièrement Monther. En dépit de sa teneur élevée et toujours croissante dans les eaux (6 fois la norme internationale), l’autre grand polluant qu’est le chlore « sauve » la population de Gaza en atténuant les effets des nitrates et en « traitant » les eaux usées des agglomérations urbaines densément peuplées.
Ainsi se battent Monther et son équipe pour préserver la propreté de l’eau potable de Gaza mais « ce que nous faisons n’est pas suffisant, la qualité de l’eau de Gaza se détériore rapidement et tant que nous n’aurons pas trouvé une autre source d’approvisionnement, de graves menaces continueront de peser sur la santé de la population. » En dépit des efforts et de toute l’ingéniosité déployées, peu de choses peuvent être faites tant que le blocus est maintenu. Aucune amélioration du traitement des eaux usées n’est possible tant qu’Israël continuera de restreindre l’entrée des matériaux de construction, de l’électricité et des carburants. Et avec l’augmentation rapide de la population, la situation ne pourra que continuer à se dégrader. Dans les conclusions du rapport de la Mission d’Etablissement des Faits sur le Conflit de Gaza, Desmond Travers, un membre de cette mission, note : « si rien n’est fait, Gaza risque de devenir inhabitable selon les normes de l’OMS. » Par ailleurs, le rapport, publié en septembre, du Programme des Nations Unies pour l’environnement avertit : « A moins que la tendance ne soit inversée immédiatement, les dégâts pourraient être ressentis pendant des siècles. » Tant que le blocus dure, cependant, les gens de Gaza restent impuissants devant ces problèmes. Passer des moments à la plage leur permet d’oublier un peu cette pollution qui ne cesse de s’accumuler.
5 août 2010 - PCHR Gaza - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.pchrgaza.org/portal/en/i...
Tradution de l’anglais : Najib Aloui
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