mardi 3 août 2010

Au-delà de la violence et de la non-violence : la Résistance comme culture

Palestine - 02-08-2010
Par Ramzy Baroud

Ramzy Baroud est un éditorialiste international et rédacteur en chef de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, « My Father Was A Freedom Fighter: Gaza’s Untold Story » (Mon père était un combattant de la liberté : l’histoire non dite de la Bande de Gaza) (Pluto Press, Londres) est maintenant disponible sur Amazon.com (en anglais) 
La Résistance n’est pas une bande d’hommes armés acharnés à faire des ravages. Ce n’est pas une cellule de terroristes complotant pour faire exploser des immeubles. La véritable résistance est une culture. C’est une réponse collective à l’oppression.
















Mars 2010 : la résistance palestinienne à AlQods

Comprendre sa vraie nature n’est cependant pas facile. Aucun octet d’information ne serait assez approfondi pour expliquer pourquoi des gens, en tant que peuple, résistent. Même si une tâche aussi ardue était possible, les médias pourraient ne pas vouloir la transmettre, car elle entrerait directement en conflit avec les interprétations majoritaires de la résistance violente et non-violente. L’histoire de l’Afghanistan doit rester fidèle au même langage : al-Qaeda et les Talibans. Le Liban doit être représenté en termes de Hezbollah menaçant soutenu par l’Iran. Le Hamas de Palestine doit être à jamais montré comme un groupe militant ayant juré la destruction de l’Etat juif. Toute tentative d’offrir une lecture alternative revient à sympathiser avec des terroristes et à justifier la violence.
L’amalgame volontaire et l’utilisation abusive de la terminologie a rendu presque impossible de comprendre, et donc de résoudre réellement les conflits sanglants.
Même ceux qui se présentent comme des sympathisants des nations résistantes contribuent souvent à la confusion. Les militants des pays occidentaux ont tendance à adhérer à une compréhension académique de ce qui se passe en Palestine, en Irak, au Liban ou en Afghanistan. C’est ainsi que certaines idées se perpétuent : les attentats-suicide, c’est mal ; la résistance non-violente, c’est bien ; les roquettes du Hamas, c’est mal ; les frondes, c’est bien ; la résistance armée, c’est mal ; les veillées devant les bureaux de la Croix-Rouge, c’est bien. Nombre de militants citeront Martin Luther King Jr., mais pas Malcom X. Ils distilleront une connaissance sélective de Gandhi, mais jamais de Guevara. Ce discours soi-disant « stratégique » a volé une grande partie de ce qui pourrait être une connaissance précieuse de la résistance – tant comme concept que comme culture.
Entre la compréhension réductionniste dominante de la résistance comme violence et terrorisme et la défiguration « alternative » d’une expérience culturelle fructueuse et convaincante, on a perdu la résistance en tant que culture. Les deux définitions dominantes n’offrent que des représentations étriquées. Les deux montrent ceux qui tentent de relayer le point de vue de la culture de résistance comme des gens qui sont presque toujours sur la défensive. Ainsi, nous entendons régulièrement les mêmes déclarations : non, nous ne sommes pas des terroristes ; non, nous ne sommes pas violents, nous avons vraiment une culture riche de résistance non-violente ; non, le Hamas n’est pas affilié à Al-Qaeda ; non, le Hezbollah n’est pas un agent iranien. Ironiquement, les écrivains, intellectuels et universitaires israéliens ont beaucoup moins de preuves à fournir que leurs homologues palestiniens, bien que les premiers aient tendance à défendre l’agression et les seconds à défendre, ou du moins à essayer d’expliquer, leur résistance à l’agression. Tout aussi ironique est le fait qu’au lieu de chercher à comprendre pourquoi des gens résistent, beaucoup souhaitent débattre de comment réprimer leur résistance.
Par résistance comme culture, je fais référence à la définition d’Edward Said de la catégorie de « culture [comme] moyen de combattre contre l’extinction et l’effacement. » Lorsque des cultures résistent, elles ne magouillent pas et ne jouent pas à la politique. Pas plus qu’elles ne brutalisent avec sadisme. Leurs décisions - qui consistent à s’engager ou non dans la lutte armée ou d’avoir recours à des méthodes non-violentes, de viser des civils ou non, de coopérer avec des éléments étrangers ou non – sont toutes purement stratégiques. Elles ont à peine une incidence directe avec le concept de résistance lui-même. Mélanger les deux suggestions est manipulatoire ou simple ignorance.
Si la résistance est « l’action de s’opposer à quelque chose que vous désapprouvez ou avec lequel vous n’êtes pas d’accord », alors une culture de résistance est ce qui se produit lorsqu’une culture entière parvient à cette décision collective de combattre cet élément désagréable – souvent une occupation étrangère. La décision n’est pas calculée. Elle est engendrée par un long processus dans lequel la conscience de soi, l’affirmation de soi, la tradition, les expériences collectives, les symboles et beaucoup d’autres facteurs interagissent de façon spécifique. Cela peut-être nouveau dans le patrimoine des expériences passées de cette culture, mais c’est essentiellement un processus interne.
C’est presque comme une réaction chimique, mais encore plus complexe car il n’est pas toujours aisé d’en séparer les éléments. Ainsi, ce n’est pas non plus facile à comprendre pleinement et, dans le cas d’une armée d’invasion, pas facile à supprimer. C’est ainsi que j’ai essayé d’expliquer le premier soulèvement palestinien de 1987, que j’ai vécu dans son intégralité à Gaza.
« Il n’est pas facile d’isoler les dates ou les événements spécifiques qui déclenchent les révolutions populaires. Une authentique rébellion collective ne peut pas être rationnalisée par une ligne cohérente de la logique qui passe au-delà du temps et de l’espace ; c’est plutôt un cumul d’expériences qui unit l’individuel au collectif, leur conscient et leur subconscient, leurs relations avec leur entourage immédiat et avec celui qui est plus éloigné, tous entrant en collusion et explosant dans une fureur qui ne peut pas être réprimée. » (My Father Was A Freedom Fighter: Gaza’s Untold Story).
Les occupants étrangers ont tendance à combattre la résistance populaire par plusieurs moyens. L’un d’entre eux consiste en une quantité variée de violence qui vise à désorienter, détruire ou reconstruire une nation selon l’image désirée (voir Naomi Klein, The Shock Doctrine). Une autre stratégie est d’affaiblir les composantes mêmes qui donnent à une culture son identité unique et ses forces intérieures – et désamorcer ainsi la capacité de résistance de la culture. La première requiert la puissance de feu, tandis que la seconde peut être atteinte par des moyens de contrôle plus souples. De nombreuses nations du « tiers monde », qui se targuent de leur souveraineté et de leur indépendance, pourraient en fait se révéler être très soumises à une occupation, mais à cause de leurs cultures fragmentées et dominées – par la mondialisation, par exemple – elles sont dans l’incapacité d’appréhender jusqu’à l’ampleur de leur tragédie et de leur dépendance. D’autres, qui peut-être se savent effectivement occupées, possèdent souvent une culture de résistance qui rend impossible à leurs occupants de parvenir à aucun de leurs objectifs convoités.

24 janvier 2009 : après trois semaines de massacres perpétrés par les forces sionistes, les enfants de Gaza reprennent l’école.
A Gaza, Palestine, tandis que les médias parlent sans fin des roquettes et de la sécurité d’Israël, et débattent de qui serait réellement responsable du maintien des Palestiniens en otages dans la Bande, on ne prête aucune attention aux petits enfants qui vivent sous des tentes près des ruines des maisons qu’ils ont perdues dans la dernière attaque israélienne. Ces gamins participent à la même culture de Résistance dont Gaza est témoin depuis six décennies. Dans leurs cahiers, ils dessinent des combattants avec des fusils, des gosses avec des frondes, des femmes avec des drapeaux, ainsi que des chars et des avions de guerre israéliens menaçants, des tombes parsemées du mot « martyr » et des maisons détruites. Et le mot « victoire » est omniprésent.
Lorsque j’étais en Irak, j’ai été témoin de la version locale de ces dessins d’enfants. Et bien que je n’aie pas encore vu les cahiers des enfants afghans, je peux facilement imaginer leur contenu.