vendredi 30 avril 2010

Les Palestiniens ne croient pas tous au projet d’état en 2011 de Fayyad

par Associated Press
publié le vendredi 30 avril 2010.

27/04/2010
Le premier ministre palestinien Salam Fayyad fait doucement bouger les lignes du conflit israélo-arabe avec un credo simple : les Palestiniens doivent construire leur état maintenant et ne peuvent plus attendre un accord de paix avec Israël toujours remis à plus tard.
Son ambition étant de préparer les Palestiniens à la proclamation d’un état en août 2011, il essaye de le bâtir de fond en comble : construction de routes, réforme judiciaire, planification des villes nouvelles.
Cet économiste formé aux USA a été couvert d’éloges, d’argent et de soutien par les États-unis et l’Europe. Les dirigeants israéliens n’ont pas dit grand’chose, même si certains en Israël se montrent inquiets que Fayyad soit le fer de lance d’une stratégie palestinienne consistant à se passer de négociations, déclarer un état de facto et en demander la reconnaissance internationale.
Fayyad croit que le succès appelle le succès, que fournir des arguments convaincants pour la création d’un état palestinien rendra celle-ci inéluctable. Mais il ne va pas jusqu’à dire que les Palestiniens déclareraient l’indépendance tous seuls.
"Le raisonnement a été que, vers mi-2011, si le processus politique n’a pas abouti à une fin de l’occupation... la réalité d’un état palestinien s’imposera d’elle-même au processus politique, au monde", a-t-il récemment déclaré lors de l’interview qu’il a donnée depuis son cortège de voitures sur les routes de Cisjordanie.
Ces derniers mois, Fayyad s’est appliqué à faire renaître l’enthousiasme chez les Palestiniens désabusés par des années de vaines promesses de paix.
Il leur tend la main en court-circuitant la hiérarchie du Fatah, mouvement de son patron, le président Mahmoud Abbas. Indépendant, Fayyad parle toutes les semaines à la radio, voit régulièrement des journalistes palestiniens et a embauché un consultant pour gérer ses comptes Facebook et Twitter.
Et contrairement aux politiciens du Fatah, qui se bornent généralement à recevoir leur cour dans leurs bureaux, il ne reste pas plus de quelques jours sans se rendre ici et là en Cisjordanie.
En apparaissant ainsi de façon très visible, Fayyad a détourné l’attention [du public] d’Abbas, dont les cinq ans de présidence n’ont pas abouti à grand’chose en matière de négociations de paix et qui consacre le plus clair de son temps à des missions diplomatiques à l’étranger.
Âgé de 75 ans, Abbas affirme qu’il ne cherchera pas à être réélu, et certains imaginent que Fayyad pourrait un jour être candidat à la présidence. Fayyad dit toutefois qu’il fait campagne pour un projet, pas pour un mandat politique.
Cependant, l’écart entre réalité et ambitions reste énorme.
Fayyad, qui a été nommé à son poste par Abbas en 2007, n’a un pouvoir limité que sur 40% de la Cisjordanie, dont le reste est totalement sous contrôle israélien. La bande de Gaza, qui est censée composer avec la Cisjordanie un état palestinien, est aux mains des militants du Hamas, qui ont évincé les forces d’Abbas en 2007.
Fayyad vit dans une Jérusalem-Est annexée par Israël. Son épouse, Bashayer, y a un permis de résidence permanent en tant que native de Jérusalem. En tant que Cisjordanien, Fayyad vit à Jérusalem avec un permis de séjour renouvelé tous les quelques mois par Israël.
Au cours d’une journée de travail à Ramallah, Fayyad reçoit souvent des VIPs étrangers. Il rentre à la maison en passant par un checkpoint israélien.
"Si, ne serait-ce qu’une minute, je devais penser que c’est quelque chose je vais devoir supporter toute ma vie... je pourrais me dire ’laisse tomber, c’est vraiment trop absurde’ ", dit Fayyad, 58 ans. "Mais c’est une [période de] transition. Pour moi, tout cela est une transition vers la liberté, vers un état [palestinien]."
La stratégie de Fayyad est à l’inverse de la démarche du tout-ou-rien des dirigeants palestiniens plus traditionnels, et a même suscité des comparaisons avec le père-fondateur d’Israël, David Ben Gurion.
Son approche est un mélange équilibré de coopération et de confrontation avec Israël.
Israël a réagi au fait que Fayyad a réussi à restaurer l’ordre dans les villes autrefois chaotiques de Cisjordanie en diminuant le nombre de ses troupes et en réduisant les restrictions de déplacement. Ceci a permis à l’économie palestinienne, durement frappée, de rebondir un peu. Conjugué avec la transparence des dépenses de Fayyad et son projet de construction d’état, ce mini-boom a convaincu les pays donateurs de maintenir une aide [financière] massive.
Toutefois, Fayyad soutient également le mouvement de protestation populaire palestinien contre Israël et a poussé à construire dans les 60% de la Cisjordanie interdits au développement palestinien.
Le plus grand défi de Fayyad est de devoir marcher sur la corde raide entre la coordination avec Israël que requiert son projet de construction d’état et l’opposition à Israël qu’exigent les Palestiniens et qui les attirent, a déclaré Robert Blecher, analyste du comité d’experts International Crisis Group.
Israël a distribué de bonnes notes à Fayyad parce qu’il a amélioré la sécurité. Mais plusieurs hommes politiques ont critiqué ce qu’ils interprètent comme son projet de proclamation d’état unilatérale.
"Je pense que çà ne servira à rien", a déclaré Benny Begin, ministre ultra-nationaliste. "Même si elle reçoit un accueil positif, aucune déclaration ne fera que nous nous retirions."
Certains palestiniens disent craindre que la stratégie de Fayyad nuise à leur cause en créant quelque chose qui aurait tous les attributs d’un état sans vraiment en être un, —ce dont Israël pourrait profiter pour dire qu’un accord définitif n’est plus nécessaire.
Toutefois, Fayyad séduit de plus en plus en Cisjordanie.
Récemment, Fayyad s’est rendu dans le village cisjordanien d’Arura, dont les habitants tentaient d’obtenir le record du monde Guinness du plus grand plat de musakhan, spécialité de poulet locale. Noyé dans la foule, Fayyad a inspecté l’énorme bac de nourriture sur la place du village, puis emporté une pleine assiette de poulet vers son siège et s’est mis à manger avec les doigts.
Les hommes qui regardaient assis sous un arbre ne partageaient pas tous la même opinion.
Certains l’ont félicité d’être venu en disant que c’était la première fois qu’une personnalité politique se déplaçait au village. D’autres ont dit estimer qu’après des années de soulèvements et de pourparlers de paix échoués, Fayyad était le seul leader qui ait un plan.
Mais Moawiya Rimawi, ingénieur de la région, a déclaré que Fayyad vendait des illusions.
"Ça n’endort absolument personne", a-t-il dit. "L’Autorité Palestinienne n’a aucun contrôle sur les personnes ni sur le territoire ; alors comment pourrions-nous avoir un état dans deux ans ?"
Fayyad dit qu’il rencontre encore beaucoup de scepticisme, mais que l’atmosphère est en train de changer.
Comme on lui demandait s’il croit devenir un symbole d’espoir, il a déclaré : "En toute modestie, je pense que oui".