Benjamin Barthe
Les onze mille réfugiés de Qalandia ont  pâti les premiers de l’asphyxie de la Cisjordanie.
Le trafic est redevenu fluide  sur la route qui mène au point de passage de Qalandia, contrôlé par les  Israéliens, sas d’entrée vers Jérusalem pour les habitants du nord de  la Cisjordanie. Les bacs à ordures, les pierres et les pneus calcinés  qui jonchaient le bitume, stigmates d’une semaine de confrontation avec  les soldats israéliens, ont été déblayés
Ahmed, un étudiant de 27 ans, observe le défilé des  voitures de l’entrée du camp de réfugiés voisin, un dédale de ruelles  poussiéreuses, qui servit de base de repli aux lanceurs de pierres.  "Pour nous, c’est la routine, c’est notre vie", dit-il de ces  affrontements qui ne firent que quelques dizaines de blessés légers,  mais ameutèrent tous ceux à l’affût du déclenchement d’une troisième  Intifada. "Si l’Autorité palestinienne nous avait laissés faire, les  heurts se seraient étendus, assure le jeune homme. Mais au lieu de  porter nos rêves de libération, ce régime les réprime. Il nous oblige à  réduire nos aspirations au minimum vital : manger, nous vêtir."
Déclenchées par l’annonce d’un nouveau projet de  colonisation à Jérusalem-Est, les violences sur la route de Qalandia  comme dans le reste de la Cisjordanie culminèrent à la mi-mars, lors de  l’inauguration d’une synagogue dans la vieille ville de Jérusalem. Un  événement vécu comme une provocation par les Palestiniens, persuadés que  des fanatiques juifs conspirent contre la mosquée Al-Aksa, le troisième  lieu saint de l’islam.
Dans le souci de préserver la stabilité qui fait  l’admiration des pays donateurs et de ne pas offrir à Israël un  dérivatif aux pressions de la communauté internationale, l’Autorité  palestinienne a ordonné à ses troupes de maintenir le calme. Un discret  barrage de police fut érigé en surplomb du camp de réfugiés, que des  dizaines de shebabs (jeunes), la rage au ventre, s’empressèrent de  contourner. En dépit des appels du Hamas à un soulèvement généralisé,  les affrontements sur la route de Qalandia s’étiolèrent au bout de  quatre ou cinq jours.
"Il y avait un parfum d’Intifada dans l’air, dit Yacoub  Asaf, le patron local du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas.  Mais le mouvement a vite capoté parce que les gens sont désemparés. Ils  ne comprennent pas le jeu de l’Autorité qui, d’un côté, refuse de  négocier et, de l’autre, empêche les manifestations. Il n’y a pas de  consignes, pas de stratégie claire." Durant la seconde Intifada,  commencée en 2000, Qalandia a enterré vingt-cinq shuhada (martyrs). Une  centaine d’habitants sont encore en prison. Un tribut modeste comparé à  celui payé par le camp de Balata, près de Naplouse, capitale de la  résistance armée qui fut saoulée d’incursions et de bombardements  israéliens.
Les onze mille réfugiés de Qalandia, en revanche, ont  pâti les premiers de l’asphyxie de la Cisjordanie. "Avant l’Intifada, le  check-point était à deux kilomètres de chez nous, raconte M. Asaf. Puis  l’armée israélienne l’a avancé sous nos fenêtres. Elle a construit le  mur et un mirador en béton. Si nous lançons une troisième Intifada, elle  est capable d’encercler chacune de nos maisons par un grillage. Alors,  quand on a senti que les jeunes s’étaient défoulés, nous les avons  calmés."
Signe du désarroi, de l’impuissance et du déficit de  mobilisation ambiants, la fin de la partie a également été sifflée par  les usagers de la route. "Ils nous ont dit que les pierres faisaient  plus de mal à leurs voitures qu’aux jeeps blindées de l’armée, dit,  navré, Jamal Abou Leïl, l’un des cadres du camp. Sans une meilleure  organisation, ce mouvement n’ira nulle part."
"Les gens vivotent"
Une chape d’ennui et de misère est aujourd’hui retombée  sur Qalandia. Les dix minutes de voiture qui séparent le camp des cafés  branchés de Ramallah ressemblent à une année-lumière. Ici, le dynamisme  du premier ministre, Salam Fayyad, choyé par la communauté  internationale et les 7 % de croissance enregistrés en 2009  n’impressionnent personne. "Les affaires n’ont jamais été aussi  mauvaises depuis le début de l’Intifada, en 2000, dit Farès, qui vend  des matériaux de construction. Les gens vivotent grâce aux programmes  d’urgence des Nations unies ou grâce à leurs maigres salaires de  fonctionnaire. Ils ne peuvent plus aller travailler en Israël."
Les débats qui agitent la société civile de Ramallah sur  l’importance de la résistance non violente ne semblent pas non plus  avoir d’écho. "Pour vaincre notre ennemi, tous les moyens sont bons,  c’est écrit dans le Coran, professe Youssef, qui vient d’achever une  peine de cinq ans de prison pour un projet d’attentat à Jérusalem. Il y  aura une troisième Intifada, un jour ou l’autre. Ce n’est pas le Hamas  qui décidera. Ce n’est pas l’Autorité qui nous en empêchera. C’est le  peuple, comme à chaque fois, qui prendra l’initiative. Et les partis  seront forcés de suivre."
publié par le Monde http://www.lemonde.fr/proche-orient...
 
 
