lundi 8 février 2010

Tribunal Russell sur la Palestine

publié le dimanche 7 février 2010
Sabastien Boussois

Un an après la guerre destructrice à Gaza, alors qu’il n’a jamais respecté les condamnations des Nations unies depuis soixante ans, Israël pourrait bien rapidement rendre des comptes grâce à cette instance dont la première session aura lieu en mars [1].
Le 16 décembre dernier, a eu lieu à Bruxelles la journée d’introduction à la première session du tribunal Russell sur la Palestinehttp://www.russelltribunalonpalesti.... Il a été lancé à l’initiative de Leila Shahid, déléguée générale de Palestine auprès de l’Union européenne, Nurit Peled, prix Sakharov 2001 et militante de la paix, et Ken Coates, politicien britannique et président de la fondation Bertrand- Russell pour la paix. Il se réfère notamment à la décision rendue le 24 juillet 2004 (1) par l’Assemblée générale des Nations unies, condamnant une nouvelle fois l’État hébreu pour l’occupation des territoires « demandant à Israël, la puissance occupante, de respecter ses obligations mentionnées dans le texte » et « appelant les États membres des Nations unies à se conformer à leurs obligations pareillement ».
À un tournant de l’Histoire
Le tribunal pour la Palestine a été fondé sur le modèle du tribunal Russell pour la guerre du Viet-Nâm dirigé par Jean-Paul Sartre. À l’époque (1966), son fondateur, lord Russell, le formulait de la sorte : une instance « chargée d’expertiser et de juger la situation politique, diplomatique et humanitaire » issue de la guerre menée par les États-Unis contre les Vietnamiens. Il s’ouvrira officiellement le 1 er mars 2010 en Espagne, à Barcelone, la ville où l’idée symbolique d’une union des pays méditerranéens avait vu le jour en 1995.
Son comité d’organisation est prestigieux : Stéphane Hessel ancien ambassadeur français et corédacteur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1948, Pierre Galand ancien sénateur belge, François Maspero, écrivain et ex-éditeur français, et Marcel Francis Kahn ancien participant au tribunal Russell pour le Viet-Nâm. La liste des parrains ne l’est pas moins : l’ancien secrétaire égyptien des Nations unies Boutros Boutros-Ghali, l’ancien président algérien Ahmed Ben Bella, l’ex-vice-présidente du Parlement européen Luisa Morgantini, le réalisateur Costa-Gavras, l’ancien footballeur Éric Cantona, le pacifiste Michel Warschawski, la professeure Judith Butler, l’historien Ilan Pappé, ou encore le sociologue Jean Ziegler, pour ne citer qu’eux (2) .
Des réunions de préparation sont chargées de recenser tous les arguments qui permettront au droit de prendre sa juste place dans les relations entre Israéliens et Palestiniens et à la justice d’être rendue. Le tribunal Russell sur la Palestine n’est donc nullement un acte de militants illuminés, mais un travail d’avocats et de juristes. Son but est bien de faire respecter le droit international, non d’avoir un parti pris pavlovien contre l’État hébreu. Rappelons qu’une centaine de résolutions des Nations unies n’ont jamais été respectées par Israël depuis plus de soixante ans.
L’initiative intervient à un tournant de l’actualité et de l’Histoire pour l’établissement de cette instance. Car après le rapport Winograd en 2006 condamnant Israël pour sa guerre meurtrière menée au Liban, après le rapport Goldstone (3) établissant de possibles poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à la suite de l’opération « Plomb durci » menée par Israël à Gaza en 2008-2009, la sensibilisation de l’opinion internationale rend possible un tribunal Russell pour la Palestine. « Israël a été trop loin », a déclaré, lors de cette réunion inaugurale à Bruxelles, l’ambassadeur Stéphane Hessel, de retour de Gaza avec sa femme. Ajoutant : « Israël doit être jugé pour ce qu’il a fait subir aux Palestiniens au nom du droit. » Leila Shahid considère aussi que c’est le moment pour agir : « Je suis optimiste pour plusieurs raisons. D’abord le rapport Goldstone, mais aussi le mandat d’arrêt lancé contre Tsipi Livni, premier ministre l’année dernière, qui lui a fait vivre quelques moments désagréables en décembre, lors de son voyage au Royaume-Uni où elle a dû se cacher pour ne pas être arrêtée. Je crois aussi que la décision rendue dès 2004 par la Cour pénale internationale contre l’illégalité du mur (4) prend tout son sens aujourd’hui. Saluons aussi la Suède qui, en tant que pays dirigeant l’Union européenne les six derniers mois, a résisté et fait adopter par le Conseil européen des Affaires étrangères un avis très critique à l’égard d’Israël (5). Il s’agit plus que jamais d’être avec le droit, rien de plus. Mais rien de moins. »
Pourquoi une telle initiative depuis la Belgique ? Parce que ce pays dispose d’une compétence universelle et peut ainsi juger des responsables gouvernementaux pour crimes de tous ordres hors du territoire. Comme au Royaume-Uni par exemple. Ce qui explique les désagréments de l’ancienne premier ministre Tsipi Livni (6). Leila Shahid a salué l’acte : « C’est la preuve aujourd’hui que les gens agissent dorénavant en citoyens et plus seulement au nom de l’État. »
Soutien indéfectible des États-Unis
Quels arguments le futur tribunal pourra-t-il invoquer pour justifier des crimes commis par Israël ? Lors de la réunion préparatoire à Bruxelles, Marcel Francis Kahn est revenu sur la démesure de l’opération israélienne à Gaza, mais aussi sur l’illégalité des armes employées, un argument de droit fort : « Israël disposait d’un surplus de bombes à fragmentation datant du Viet-Nâm et qui ont été données aux Israéliens qui les ont utilisées lors de la guerre au Liban . » Autre argument consistant : la multiplication des avis légaux contre la politique israélienne et, donc, contre les soutiens sans faille à Israël : « Le rapport Goldstone, l’avis de la Cour de justice de La Haye ont condamné Israël. Seuls les États-Unis soutiennent indéfectiblement Israël. Des ambiguïtés persistent en France (7) mais, finalement, l’avortement de la visite du ministre Bernard Kouchner à qui on a refusé l’entrée est la preuve que la France se plie à la volonté d’Israël », explique Marcel Francis Kahn. Ajoutant : « Contrairement au tribunal Russell du Viet-Nâm, celui sur la Palestine ne se construit pas sur rien. ».
 [2]

Vidéo : présentation du Tribunal Russell le 4 mars 2009
[1]

Première Session Internationale du Tribunal Russell sur la Palestine Barcelone, 1,2,3 mars 2010

La première session internationale du Tribunal Russell sur la Palestine TRP aura lieu à Barcelone, les 1, 2 et 3 mars 2010. Le Tribunal constitué à Barcelone aura pour mission d’examiner dans quelle mesure l’Union européenne et ses Etats membres sont complices de la prolongation de l’occupation des Territoires palestiniens et des violations par Israël des droits du peuple palestinien. Un jury composé de personnalités d’exception siègera pour rendre ses conclusions. Après avoir entendu l’exposé des violations du droit international commises par l’Etat israélien, le jury du TRP s’attachera à examiner la politique et la pratique de l’Union européenne et de ses Etats membres dans leurs relations avec Israël, puissance occupante, et de voir dans quelle mesure celles-ci sont compatibles avec leurs obligations découlant du droit international.
Six questions principales, exposées par des experts et témoins, seront présentées au jury du Tribunal :
1. L’Union européenne et ses Etats membres ont-ils manqué à leur obligation de promouvoir et de faire respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ? Ont-ils coopéré afin de mettre fin à toute violation grave de ce droit ? Ont-ils prêté aide ou assistance à une violation de ce droit ?
2. L’Union européenne et ses Etats membres ont-ils manqué à leur obligation de faire respecter le droit international humanitaire à l’égard du peuple palestinien en ce qui concerne le blocus de la bande de Gaza et l’opération militaire israélienne « Plomb durci » qui s’est déroulée du 27 décembre 2007 au 18 janvier 2009 ? Ont-ils coopéré afin de mettre fin à toute violation grave de ce droit ? Ont-ils prêté aide ou assistance à une violation de ce droit ?
3. L’Union européenne et ses Etats membres ont-ils manqué à leur obligation de faire respecter le droit international humanitaire et le droit du peuple palestinien à la souveraineté sur ses ressources naturelles en ce qui concerne l’installation de colonies de peuplement et de pillage des ressources naturelles par Israël dans les Territoires palestiniens ? Ont-ils coopéré afin de mettre fin à toute violation grave de ces droits ? Ont-ils prêté aide ou assistance à une violation de ces droits ?
4. L’Union européenne et ses Etats membres ont-ils manqué à leur obligation de faire respecter le droit international humanitaire, le principe de non acquisition de territoire par la force et le droit à l’autodétermination du peuple palestinien en ce qui concerne l’annexion par Israël de Jérusalem-Est ? Ont-ils coopéré afin de mettre fin à toute violation grave de ces droits ? Ont-ils prêté aide ou assistance à une violation de ces droits ?
5. L’Union européenne et ses Etats membres ont-ils manqué à leur obligation de faire respecter le droit international en ce qui concerne l’édification du mur par Israël dans les Territoires palestiniens ? Ont-ils coopéré afin de mettre fin à toute violation grave de ce droit ? Ont-ils prêté aide ou assistance à une violation de ce droit ?
6. Au regard de ce qui précède, l’Union européenne et ses Etats membres ont-ils manqué à leur obligation de faire respecter le droit international et le droit européen dans le cadre des accords signés entre l’Union européenne et l’Etat israélien ?
Les personnalités suivantes ont donné leur accord pour être membre du jury :
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Mairead Corrigan Maguire Prix Nobel de la Paix en 1976, Irlande du Nord *
Juan Tapia Guzman juge, Chili *
Gisèle Halimi avocate, ancien ambassadeur auprès de l’UNESCO, France *
Cynthia McKinney femme politique américaine, Green Party, USA *
Michael Mansfield avocat, Président de Haldane Society of Socialist Lawyers, Grande-Bretagne *
José Antonio Martin Pallin Magistrado Emérito Sala II, Cour Suprême, Espagne *
Ronnie Kasrils Auteur et activiste, Afrique du Sud, *
Aminata Traoré Auteur, femme politique et activiste, Mali. * Alberto San Juan : Acteur et activiste, Espagne
Enfin, les Chefs de Gouvernement et Ministres des Affaires étrangères des pays de l’Union Européenne, ainsi que le Président de la Commission européenne José Manuel Barroso, le Président du Conseil Européen Herman Van Rompuy et la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Catherine Ashton, ont été informés de la tenue de la session du Tribunal et invité à venir présenter des arguments pour la défense, s’ils le souhaitent.
[2] (1) Résolution ES-10/15 AG Nations unies.
(2) Liste complète sur le site du tribunal ci-dessous.
(3) Près de 10 000 documents, 1 200 photos et vidéos, rapports, livres ont été étudiés et visionnés par la mission indépendante condamnant Israël lors de l’opération à Gaza en décembre 2008. L’Assemblée générale des Nations unies a approuvé ce rapport, considéré comme équilibré car condamnant fermement le lancement des roquettes par des militants du Hamas sur Israël, en particulier sur Sderot.
(4) Avis du 9 juillet 2004 de la Cour de justice de La Haye.
(5) Conclusions du conseil des ministres des Affaires étrangères des vingt-sept pays membres de l’Union européenne. Ils réaffirmaient clairement que Jérusalem devait être la capitale d’Israël et de l’État palestinien, que la colonisation des Territoires et de Jérusalem-Est restait illégale au regard du droit international, et rejetaient le blocus sur Gaza, entre autres.
(6) Auprès de laquelle David Miliband, le ministre des Affaires étrangères britannique, avait dû s’excuser, prouvant parfois la difficulté diplomatique de certains pays à exprimer leur bonne volonté à l’égard du droit...
(7) Par exemple, lors du conseil des ministres des Affaires étrangères cité en (5), l’ambassadeur de France en Israël émettait des « réserves importantes » sur le texte choisi.
publié par Alternatives
http://www.alternatives.ca/fra/jour... modification du titre, ajout de vidéo et de la note 1 : C. Léostic, afps