lundi 8 février 2010

« La judaïsation forcée de Jérusalem-Est »

publié le dimanche 7 février 2010
Serge Dumont

 
Chaque vendredi, des Palestiniens et des militants israéliens pour la paix manifestent contre l’expulsion de deux familles, dont les logements ont été occupés par des colons juifs
« Jérusalem-Est ne deviendra pas Hébron. » Chaque vendredi, de 400 à 500 Palestiniens et militants israéliens pour la paix se réunissent à Cheikh Jarrah, l’un des quartiers arabes de la Ville sainte. Ils protestent contre l’expulsion, en août dernier, de deux familles palestiniennes et leur remplacement quasi immédiat par des colons juifs liés à une fondation d’extrême droite.
Retranchés dans les deux immeubles, ces derniers vivent en autarcie. Ils sont armés de fusils-mitrailleurs et de M16 et bénéficient d’une escorte policière pour aller faire leurs courses à Jérusalem-Ouest, la partie juive de la ville. Quant aux familles expulsées Al-Ghawi et Al-Kurd, elles campent sur le trottoir, à proximité de leur ancien domicile. « Les colons nous provoquent quotidiennement avec des insultes et des bras d’honneur », affirme Nasser al-Ghawi.
A intervalle régulier, la police descend sur les lieux et saisit la tente des expulsés au nom du « maintien de l’ordre public ». Elle n’hésite d’ailleurs pas non plus à arrêter les manifestants dont certains, d’origine étrangère, sont aussitôt conduits à l’aéroport de Tel-Aviv. Publicité
Dossier complexe
L’expulsion des familles Al-Ghawi et Al-Kurd a été décidée par un tribunal de Jérusalem. Mais de nombreuses associations israéliennes remettent ce jugement en cause. A commencer par le mouvement La Paix maintenant, qui a décidé de remobiliser ses troupes pour l’occasion. Quant aux personnalités dites « du camp de la paix », elles ont également fait leur réapparition sur le terrain. Outre l’ex-ministre Yossi Sarid et des députés progressistes, l’ancien président travailliste de la Knesset Avraham Burg manifeste désormais à Cheikh Jarrah. « Ce qui se passe ici m’écœure », a-t-il dit.
Dans la foulée, l’écrivain David Grossman est également sorti du silence pour défiler devant les maisons occupées par les colons. « En implantant des colons dans ce quartier, le gouvernement israélien veut empêcher la reprise du processus de paix, estime-t-il. Tout cela dépasse le cadre purement local. »
Le dossier des expulsés de Cheikh Jarrah est complexe. En effet, dans le cadre d’un programme de relogement des réfugiés, les maisons dans lesquelles ces Palestiniens résidaient leur avaient été données dans le courant des années 1950-60 par l’Unwra (l’agence des Nations unies chargée d’aider les Palestiniens) ainsi que par la Jordanie, dont Jérusalem-Est faisait alors partie.
Cependant, quelques mois après avoir conquis cette partie de la ville, en 1967, Israël a prétendu que les immeubles appartenaient à des juifs qui en avaient été chassés avant la création de l’Etat hébreu. Faute de moyens, leurs habitants palestiniens n’ont pas pu retrouver les actes de propriété, qui remontent bien souvent à l’Empire ottoman et se trouvent quelque part à Istanbul.
A contrario, les organisations de colons ont fourni de nombreux documents datant de la période du mandat britannique sur la Palestine (1922-1948). Ceux-ci ont certes emporté la conviction de la justice israélienne mais pas celle des ONG israéliennes de défense des droits de l’homme, qui mettent leur authenticité en doute.
2200 immeubles menacés
« Quoi qu’il en soit, nous assistons à la judaïsation forcée de Jérusalem-Est, fulmine Maher al-Hanoun, un représentant d’une autre famille d’expulsés. Parallèlement à l’implantation de colons, la municipalité de Jérusalem poursuit une politique consistant à ne jamais délivrer de permis de bâtir aux familles arabes. Résultat ? Celles-ci construisent ou agrandissent illégalement leur maison, au risque de la voir rasée à n’importe quel moment. »
Pour l’heure, plus de 2200 immeubles abritant de 30 000 à 40 000 personnes sont ainsi menacés. Jeudi, le maire de Jérusalem, Nir Barakat, a d’ailleurs annoncé la prochaine destruction de 200 bâtisses « illégales » à Silwan, un quartier arabe au sud de la vieille ville. A ses yeux, la mesure est « obligatoire » mais elle « provoquera des violences d’une ampleur que Jérusalem n’avait encore jamais connue ».