lundi 22 février 2010

La vérité sur le Mossad

publié le dimanche 21 février 2010
Ian Black
 
Le Mossad, comme tout autre service de renseignement, cherche à attirer l’attention simplement quand quelque chose va mal, ou pour se vanter d’un succès spectaculaire et qu’il veut envoyer un avertissement à ses ennemis.
En novembre dernier, une femme israélienne vigilante, nommée Niva Ben-Harush, a alerté la police parce qu’un jeune homme était en train de fixer quelque chose qui ressemblait étrangement à une bombe sous une voiture, dans une rue tranquille du port de Tel-Aviv. Quand la police arrêta le jeune homme, celui-ci prétendit qu’il était un agent du service secret Mossad, et qu’il participait à un exercice d’entraînement : son histoire était vraie, même si la bombe était factice.
Aucun commentaire à ce sujet n’a été fait par le cabinet du Premier ministre israélien qui est la voix officielle – parlant systématiquement pour ne rien dire – de l’organisation d’espionnage du pays, mondialement célèbre. Le poseur de bombe maladroit n’eut droit qu’à quelques mots laconiques aux infos locales du soir.
Il existe, cependant, un autre action, plus importante – et qui fut diffusée dans le monde entier –, il y a eu deux ans cette semaine -, où une bombe explosa dans un jeep Pajero, à Damas, décapitant un homme du nom de Imad Mughniyeh. Mughniyeh était un chef militaire du mouvement chiite Hezbollah, allié de l’Iran, et qui était recherché par les Etats-Unis, la France et une demi-douzaine d’autres pays. Israël s’en est toujours tenu au sibyllin, hochant la tête et faisant des clins d’œil, quand il était question de cet assassinat au cœur de la capitale syrienne, mais beaucoup ont pensé qu’il s’agissait là de l’une de ses opérations clandestines les plus audacieuses et les plus raffinées.
Le Mossad, comme tout autre service de renseignement, cherche à attirer l’attention simplement quand quelque chose va mal, ou pour se vanter d’un succès spectaculaire et qu’il veut envoyer un avertissement à ses ennemis. L’assassinat le mois dernier d’un haut responsable du Hamas à Dubaï, au cœur aujourd’hui d’une agitation diplomatique brûlante entre Israël et la Grande-Bretagne, est un curieux mélange des deux.
Avec ses passeports étrangers clonés, ses multiples camouflages, ses moyens de communication ultramodernes et le présumé contrebandier d’armes Mahmoud al-Mabhou – l’un des rares points de l’intrigue non enregistré par les caméras de vidéosurveillance de l’Emirat -, il y a tout pour un conte fascinant sur le culot, la violence et la froide détermination de la profession. Et avec le mouvement islamique palestinien qui maintenant promet de se venger, il semble qu’il y ait un certain acharnement pour qu’un nouveau bain de sang suive.
Les images en provenance de Dubaï entrent dans la logique de l’injonction biblique (et de la vieille devise du Mossad) : « Par la tromperie, la guerre mèneras ». Le travail de l’agence, comme son site l’explique plus prosaïquement, est de « collecter l’information, d’analyser les renseignements et d’effectuer des opérations spéciales clandestines au-delà des frontières (d’Israël). »
Fondé en 1948 en même temps que le nouvel Etat juif, le Mossad est surtout resté dans l’ombre dans ses premières années. Yitzhak Shamir, un ancien du gang terroriste Stern et futur Premier ministre, monta des opérations avec pour cibles des scientifiques allemands qui aidaient l’Egypte de Nasser à fabriquer des missiles – préfigurant les futures campagnes israéliennes visant à perturber les tentatives iraquiennes et (toujours en cours) iraniennes pour acquérir des armes nucléaires ou autres.
Parmi les exploits les plus célèbres du Mossad, il y a l’enlèvement du criminel de guerre nazi en fuite, Adolf Eichmann, qui fut par la suite jugé et pendu en Israël. Egalement, la préparation de la défection du pilote iraquien qui amena son Mig-21 en Israël, et le soutien aux rebelles kurdes iraquiens contre Bagdad. Les secrets militaires soutirés par Elie Cohen, le tristement célèbre espion qui infiltra la direction syrienne, ont aidé Israël à s’emparer du plateau du Golan pendant la guerre du Moyen-Orient en 1967.
Ce n’est que par la suite que le rôle du service s’est élargi au combat contre les Palestiniens qui avaient été galvanisés sous Yasser Arafat dans leur résistance à Israël en Cisjordanie et la bande de Gaza nouvellement occupées. Les années 70 connurent ce que l’on a appelé la « guerre des espions » avec des agents du Mossad opérant sous couverture diplomatique étrangère, recrutant et dirigeant des informateurs au sein du Fatah et d’autres groupes palestiniens. Baruch Cohen, un indic prêté au Mossad par le Shin Bet, les services de sécurité intérieurs, a été abattu dans un café à Madrid par son propre agent. Bassam Abu Sharif, du Front populaire pour la libération de la Palestine, parti marxiste, a été défiguré par un colis piégé que le Mossad lui avait envoyé à Beyrouth.
Le film de Steven Spielgerg, Munich, en 2006 a participé à créer le mythe d’un Mossad à la poursuite des terroristes de Septembre Noir qui avaient massacré 11 athlètes israéliens aux Jeux olympiques de 1972. Onze d’entre eux avaient été éliminés dans des assassinats en Europe, spécialement dans la petite ville norvégienne de Lillehammer, où un garçon de café marocain avait été pris par erreur pour Ali Hassan Salameh, le cerveau du complot du Munich. Salameh fut par la suite assassiné par une voiture piégée à Beyrouth, en 1979, le genre d’incident qui fait que les Libanais et les Palestiniens font particulièrement attention à l’épisode de l’entraînement bâclé de l’année dernière à Tel-Aviv.
Certains détails de l’assassinat de Mabhouh le mois dernier rappellent la campagne contre Septembre noir – qui s’est terminée par l’arrestation catastrophique de cinq agents du Mossad. Sylvia Raphael, chrétienne née en Afrique du sud de père juif, a passé cinq ans dans une prison norvégienne ; elle a pu faire partie de ces jeunes Européens d’Israël qui furent discrètement contactés, dans des bureaux anonymes à Tel-Aviv, pour savoir s’ils aimeraient se porter volontaires pour des missions sensibles touchant à la sécurité d’Israël. D’autres agents qui avaient été brûlés ont dû être rappelés, des maisons sûres abandonnées, des numéros de téléphone changés et des méthodes opérationnelles modifiées.
Au fil des années, l’image du Mossad s’est sérieusement ternie, en Israël comme à l’étranger. Il lui était reproché notamment de n’avoir pas su éventer les projets égypto-syriens de l’attaque dévastatrice qui déclancha la guerre du Yom Kippur en 1973. Les critiques se sont demandés si les espions n’avaient pas eu comme première priorité de traquer les combattants palestiniens dans les banlieues des cités européennes, au lieu d’avoir à s’emparer des secrets du Caire et de Damas. Le Mossad a aussi joué un rôle important, bien que toujours méconnu, dans la fourniture clandestine d’armes à l’Ayatollah Khomeini pour l’aider à combattre l’Iraq de Saddam Hussein, partie intégrante du scandale de l’Iran-Contra (Irangate) sous la présidence Ronald Reagan.
Il a, en outre, encaissé des coups, par moment, venant de ses propres agents mécontents. En 1990, un ancien agent, né au Canada, et qui s’appelait Victor Ostrovsky, dénonça sa propre organisation interne, pour sa formation et ses méthodes, révélant des noms codés comme « Kidon » (baïonnette), l’unité qui a la charge des assassinats. Une campagne de diffamation officielle n’a pas réussi à empêcher la sortie du livre d’Ostrovsky, aussi l’agence est restée calme quand une autre accusation intérieure fut portée ostensiblement en 2007. Celle-ci évoquait l’usage de radios ondes courtes pour l’envoi de transmissions codées, les opérations en Iran pour recueillir des échantillons du sol, et des opérations communes avec la CIA contre le Hezbollah.
Mais la pire des missions s’est présentée en 1997, pendant le premier mandat de Premier ministre de Benjamin Netanyahu. Les agents du Mossad essayèrent, en vain, d’assassiner Khaled Mash’al – ce même dirigeant Hamas qui menace aujourd’hui de représailles pour l’assassinat de Mabhouh – en lui injectant du poison dans l’oreille, à Amman, Jordanie. Utilisant des passeports canadiens falsifiés, ils avaient fui vers l’ambassade israélienne, provoquant l’indignation et une énorme crise diplomatique avec la Jordanie. Danny Yatom, alors chef du Mossad, avait été obligé de laisser tomber. Ephraim Halevy, ancien membre du Mossad, londonien, fut sorti de sa retraite paisible pour remettre de l’ordre.
L’assassinat de Dubaï, cependant, pourrait s’avérer plus dommageable – notamment parce que le contexte politique et diplomatique a changé lors de la dernière décennie. La réputation d’Israël a pris des coups comme jamais, pour descendre au plus bas lors de l’opération Plomb durci de l’an dernier, contre la bande de Gaza. « Dans le climat actuel, les traces que va laisser Dubaï sont susceptibles de causer de sérieux préjudices à l’image internationale d’Israël, » estimait hier l’ancien diplomate Alon Liel.
Même si Israël maintient sa politique rituelle d’ « ambiguïté » à l’égard des opérations clandestines, refusant de confirmer ou d’infirmer toute implication dans l’affaire de Dubaï, personne au monde ne semble sérieusement la remettre en question. Y compris quasiment toute la presse israélienne, liée par les règles de la censure militaire, dans un petit pays bavard où les secrets sont souvent assez largement découverts.
Il serait surprenant que cette extraordinaire histoire ne révélât pas, comme élément clé, le rôle joué par les Palestiniens. La pratique du Mossad a toujours été de recruter des agents doubles, comme il le fit avec l’OLP dans les années 70. La nouvelle de l’arrestation à Damas d’un autre agent de premier plan du Hamas – malgré le démenti de Mash’al – semble aller dans cette direction. Deux autres Palestiniens extradés de Jordanie vers Dubaï, membres de la branche armée du Hamas, les Brigades Izzedine al-Qassam, laissent supposer l’existence d’une possible trahison. Des assassinats antérieurs avaient impliqué un agent palestinien pour identifier la cible.
Yossi Melman, spécialiste des renseignements au quotidien Ha’aretz d’Israël, craint que, comme avant la guerre de 1973, le gouvernement israélien ne fasse l’erreur de se focaliser sur le mauvais adversaire – les Palestiniens – au lieu de donner la priorité à l’Iran et au Hezbollah.
« Le Mossad n’est pas une société d’assassins, comme la Mafia ; son but n’est pas de se venger de ses ennemis, » écrit-il cette semaine. « Les ‘opérations spéciales’ comme l’assassinat à Dubaï – si c’est effectivement une opération du Mossad – ont toujours représenté une proportion relativement faible de son activité globale. Néanmoins, ce sont des opérations qui donnent son auréole à l’organisation, son image brillante. Cela risque en fin de compte d’aveugler ses propres rangs, de les intoxiquer par leur propre succès, et ainsi, de détourner leur attention de leur mission première. »
D’un point de vue israélien officiel, le Mossad a une tâche importante à remplir. Sa réputation d’insensibilité et de ruse reste un atout puissant, poussant à ce qui semble être parfois comme une admiration réticente, ou une répugnance dans le monde arabe – où une prédisposition pour les théories de conspirations stimule l’action de la guerre de désinformation et psychologique, à laquelle on dit que les Israéliens excellent.
D’après la version officielle du gouvernement, naturellement, le Hamas est une organisation terroriste qui a mis au point des attentats suicides atroces, tiré des milliers de missiles sur des cibles civiles israéliennes et – malgré des signes occasionnels de pragmatisme ou de disponibilité à une trêve temporaire ou à un échange de prisonniers – qui reste voué à la destruction de l’Etat juif. Le gouvernement refuse de reconnaître que sa colonisation toujours en cours en Cisjordanie reste l’obstacle important à la paix.
Dans les pays occidentaux, notamment en Grande-Bretagne, une colère générale s’est manifestée devant les 1 400 victimes palestiniennes de la guerre de Gaza. Barack Obama a qualifié l’occupation d’ « intolérable ». Netanyahu dirige la coalition la plus à droite de l’histoire d’Israël ; sa célèbre boutade comme quoi le Moyen-Orient serait un « voisinage difficile » ne semble plus justifier de la jouer en traître.
Pourtant, les Israéliens, et pas seulement ceux de droite, s’inquiètent de voir leur existence même, en tant qu’Etat indépendant, en train de perdre sa légitimité. Et, à en juger par la rubrique Emplois du site du Mossad, il y a toujours bien des opportunités pour les espions en herbe : des postes motivants sont disponibles pour les chercheurs, les analystes, les agents sécurité, les cryptographes et autres techniciens. Ceux qui parlent arabe et perse sont invités à déposer une candidature comme agents de renseignements. La fonction implique des déplacements à l’étranger et un environnement « jeune et peu conventionnel ».
C’est une nouveauté dans cet histoire que des citoyens israéliens ordinaires soient furieux que leur identité semble avoir été volée par des agents secrets de leur propre gouvernement – une raison pour laquelle les jours du chef du Mossad, Meir Dagan, pourraient bien être comptés. Mais il est difficile de ne pas sentir, sous-jacente, une admiration populaire pour les assassins de Mabhouh. Le lendemain où les images sensationnelles de vidéosurveillance et les photos des passeports ont été diffusées, le champion de tennis israélien, Shahar Pe’er arrivait en quart de finale dans une compétition internationale importante aux Emirats. « Nouvelle opération réussie à Dubaî », titrait le site Ynet.
Ofer Kasti, correspondant pour l’enseignement à Ha’aretz, n’a pas eu son passeport cloné, mais il ressemble de façon frappante au membre du commando nommé Kevin Daveron. « Ma maman a appelé et m’a gentiment demandé si je m’étais rendu à l’étranger récemment », écrit-il. « Des amis m’ont demandé pourquoi je n’avais pas ramené des cigarettes de la boutique duty free de Dubaï. Je sentais les regards admiratifs sur moi dans la rue. "Bien joué" a dit une vieille femme en venant vers moi dans un supermarché et en me tapant sur l’épaule. "Vous en avez fait voir aux Arabes" ».