lundi 22 février 2010

Cibler le mauvais type de tunnels

Jérusalem - 22-02-2010
Par Ahmad Barqawi 
A une époque où des mesures extrêmes et même impensables sont prises pour couper les quelques artères de vie dont Gaza dispose encore par les tunnels de Rafah, d’autres tunnels d’une autre nature différente et d’un but différent sont creusés ailleurs chaque jour, en pleine lumière, au vu et au su du monde entier, à Jérusalem Est occupée, sous le site de la Mosquée Al-Aqsa et ses environs. Ces excavations israéliennes illégales – creusées sous des zones peuplées de civils – ne menacent pas seulement les fondations mêmes du troisième lieu saint de l’Islam, mais elles constituent aussi une menace grave à la sécurité des habitants des quartiers sous lesquels ces « explorations archéologiques » non stop ont lieu. La dernière victime de ces creusements fut la rue Wad Hilwa, à Silwan, qui s’est effondrée la semaine dernière, provoquant un fossé de 10m de profondeur près duquel un enfant est tombé et s’est donc blessé.


Dessus : les tunnels sous la Mosquée al-Aqsa - Dessous : les tunnels de Gaza (Fahed Bahadi/Al Jazeera.net)

L’« incident » n’est qu’un épisode d’une série continue d’effondrements qui compromettent la sécurité des résidents et des passants, à Silwan comme dans la vieille ville de Jérusalem.
Rien que l’an dernier, ce fut une école des Nations Unies à Jérusalem Est qui en a pris un coup quand un glissement de terrain à provoquer l’effondrement d’un des étages de l’école sur les têtes des élèves abasourdis, blessant 14 écolières palestiniennes.
La menace imminente de dommages structurels et de fissures dangereuses est omniprésente dans la vieille ville, hantant chaque citoyen palestinien qui vit dans le secteur ; demain cela pourrait être la maison ou le magasin de n’importe qui, ou même la mosquée ; et bien sûr, si l’un de ces immeubles survivait aux risques cités plus haut, il faudra toujours s’attendre à de futures confiscations de terre et ordres de démolition arbitraires.
Aujourd’hui, la véritable « contrebande » passe par ces tunnels israéliens (et contrairement à Gaza, ce n’est pas un trafic de nourriture en boîte, de lait ou de médicaments), car selon un rapport diffusé par la Fondation Al-Aqsa pour les biens religieux et le patrimoine, de nombreux objets de l’ère islamique et des antiquités précieuses sont volés par les forces israéliennes d’occupation et enlevés du territoire palestinien pour on ne sait où.
Considérant que le réseau de tunnels souterrains de Gaza qui arrivent du côté égyptien de Rafah sont construits à partir de désespoir et de la nécessité absolue d’une population assiégée et acculée, le minage souterrain de Jérusalem est réalisé par et sous la garde vigilante de l'armée israélienne, prétendument pour déterrer la preuve historique de la présence du roi David dans ce secteur alors qu'en réalité, ces opérations sont uniquement dictées par le désir vorace de judaïser la ville toute entière et de modifier radicalement son identité palestinienne.
Inutile de dire que ces tunnels israéliens sont creusés librement et ouvertement ; ses activités de creusement et de construction accélérées et quotidiennes se font sans relâche et sans contestation de la communauté internationale, personne n’a surgi des « sentiers battus » pour débarquer avec un projet brillant de mur d’acier et de technologie de surveillance dernier cri pour tenter de stopper ces tunnels clandestins, il n’y a même pas de couverture médiatique, et bien sûr c’est parfaitement normal, parce qu’il évident que de nos jours, les médias sont là lorsqu’il s’agit d’une mauvaise querelle montée en épingle autour d’un match de football ou d’un môme de six ans sur un ballon d’hélium fait maison ; les histoires de Jérusalem Est occupée ne font pas les Unes.
Et avec chaque violation israélienne à Jérusalem, la Ligue arabe insupportablement incohérente et la lamentable Organisation de la conférence islamique ont tendance à faire le gros dos, barbotant dans l’eau sûr et familière du pragmatisme politique, publiant les mêmes vieilles condamnations « énergiques » recyclées (qui soit dit en passant ne leur coûtent rien), sans jamais faire les grandes enjambées nécessaires en dehors des limites de ce à quoi nous sommes tous accoutumés depuis des années, en dépit des menaces existentielles en augmentation constante sur Al-Aqsa et le Dôme du Rocher, qui sont considérés comme les plus anciens exemples survivant de l’ancienne architecture islamique et du patrimoine religieux.
Tout est un mythe jusqu’à ce qu'il soit trop tard pour faire face au fait que c'est la réalité, et c'est exactement le cas avec notre perception de ce qui se passe en ce moment à Jérusalem. Malheureusement, il semble que nous soyons passés maître, au cours des années, dans l'art de nous en ficher ; nous détournons les yeux des exercices quotidiens des forces israéliennes d'occupation d’humiliation des citoyens de la Ville et de profanation de ses lieux saints, nous savons qu'il est plus "facile" de mettre la poussière sous le tapis et de prétendre que nous n’en sommes pas encore là.
Mais ne nous y trompons pas, le pire absolu de ce qui pourrait arriver à Jérusalem se passe en ce moment, les signaux d’alerte sont loin derrière nous, et le fait que nous ayons réussi à échouer lamentablement à les reconnaître ne rend pas ce qui se passe moins réel et effrayant.