vendredi 12 février 2010

En Israël, les défenseurs des droits de l’homme redoutent une " chasse aux sorcières "

publié le jeudi 11 février 2010
Laurent Zecchini

 
Le mouvement Im Tirtzu et des députés reprochent à des ONG d’avoir collaboré au rapport Goldstone sur Gaza et les qualifient de " traîtres "
Les intéressés parlent de climat de " chasse aux sorcières ", et Gideon Levy, éditorialiste franc-tireur du quotidien Haaretz, n’hésite pas à dénoncer l’orientation " maccarthyste " du mouvement Im Tirtzu. Se drapant dans la défense des " valeurs du sionisme ", celui-ci a lancé une violente campagne contre le New Israel Fund (Nouveau fonds israélien, NIV), une fondation qui finance les principales organisations de défense des droits de l’homme israéliennes, et sa présidente, le professeur Naomi Chazan.
Selon Im Tirtzu, qui a reçu le puissant soutien du quotidien populaire Maariv, le NIV finance les seize organisations non gouvernementales (ONG) qui ont fourni " 92 % des références négatives " contenues dans le rapport du juge sud-africain Richard Goldstone, lequel accuse Israël d’avoir commis des " crimes de guerre " lors de la guerre de Gaza de décembre 2008-janvier 2009. Connu pour son orientation d’extrême droite, Im Tirtzu est proche des milieux évangélistes américains.
Il vient d’obtenir une première victoire : Naomi Chazan, qui était depuis dix ans une éditorialiste respectée du Jerusalem Post, a reçu un courriel lui annonçant que sa collaboration était terminée. Mais la confrontation n’est pas finie : à la Knesset, le Parlement israélien, plusieurs députés mènent une offensive brutale, qualifiant les ONG visées de " traîtres " appartenant à une " cinquième colonne ".
Une proposition de création de commission d’enquête parlementaire a été déposée, dont le but serait de dévoiler les sources de financement du New Israel Fund. Celui-ci, qui a été créé en 1979, a son siège à Washington. Il reçoit des donations des milieux juifs américains, et a versé depuis sa création plus de 200 millions de dollars à de très nombreuses organisations partageant des idéaux de démocratie et de justice sociale.
On compte parmi elles B’Tselem, Breaking the Silence, l’Association pour les droits civiques en Israël, le Comité public contre la torture, Médecins pour les droits de l’homme, Yesh Din, Adalah, Hamoked, etc., soit les principales organisations qui défendent les droits des Palestiniens, donnent la parole aux soldats israéliens muselés par la censure militaire et, d’une manière générale, mènent le combat de la liberté d’expression. [1]
Mouvement de répression
Au nom de treize de ces organisations, B’Tselem a écrit au président Shimon Pérès, au premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et au speaker de la Knesset, Reuven Rivlin, pour dénoncer une " campagne croissante et systématique ". " Une démocratie ne doit pas réduire au silence les voix critiques ; défendre les droits de l’homme est vital ", souligne ce manifeste.
Les organisations humanitaires israéliennes redoutent que la campagne de Im Tirtzu s’inscrive dans un mouvement plus général de répression, comme celle qui frappe les militants palestiniens et israéliens qui protestent contre la " clôture de sécurité " et les expulsions de familles palestiniennes du quartier Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est.
[1] voir aussi dans l’Humanité :

« À Gaza la seule règle c’était  : tirez »

L’ex-soldat Yehuda Shaul a choisi avec d’autres 
de rompre le silence.
« L’idée fixe de l’armée était d’envahir Gaza sans avoir de pertes. Il fallait une victoire à tout prix contre le Hamas pour effacer la défaite de 2006 au Liban. »
Yehuda Shaul explique ainsi ce qui s’est passé il y a un an à Gaza. Ce juif religieux n’a pas le profil habituel des contestataires israéliens. Né dans une famille orthodoxe d’origine nord-américaine, rien ne le destinait à jouer les imprécateurs. Mais, à dix-huit ans, son service militaire l’a conduit à Hébron, ville occupée où les exactions de l’armée et des colons l’ont fait réfléchir.
Avec 65 membres de son unité, il crée en 2004 Breaking the silence (1), pour « tendre un miroir à la société israélienne ». L’organisation a publié en 2009 son second recueil de témoignages. Il confirme les boucliers humains, les bombes au phosphore et « d’autres dont je ne peux pas parler à cause de la censure militaire ».
Mais surtout cette philosophie terrible  : « La seule règle d’engagement, à Gaza, c’était  : tirez et ne vous posez pas de questions. »
Françoise Germain-Robin