mercredi 6 janvier 2010

Un an après, la bande de Gaza toujours meurtrie

publié le mardi 5 janvier 2010
Pierre Barbancey
Israël maintient un blocus inhumain sur le territoire palestinien en partie détruit lors de l’offensive de décembre 2008 et janvier 2009. Reportage dans les ruines, avec un population à la recherche d’un hypothétique avenir.

Bande de Gaza, Envoyé spécial.

Pourquoi  ? Madjid Abdallah Atebra a beau se poser la question quinze fois par jour depuis maintenant un an, il ne comprend toujours pas. Pourquoi les avions de chasse israéliens ont détruit sa maison  ? Revêtu d’un lourd manteau de laine bleu, il montre d’un geste las tout ce qu’il reste de son habitation. C’était une solide bâtisse, grande, apte à accueillir toute la famille, plusieurs générations même. Mais face au missile, le béton ce n’est que du carton-pâte. Derrière Madjid, on dirait que quelques mauvais techniciens ont mal rangé le décor. La maison par terre, il a vécu sous la tente. Puis, au bout de quelques semaines, le Hamas lui a fourni une sorte de mobile-home. Une pièce pour lui, sa femme et ses six enfants. « Vous, les Français, vous pensez que les Israéliens sont bien  ? », demande-t-il, assez agressif. « Votre président… » Il ne termine pas sa phrase, bougonne quelques insultes. « Avant Sarkozy, on avait beaucoup d’estime pour la France, le pays qui avait accueilli Yasser Arafat. On avait confiance dans le peuple français. » Ni Hamas, ni Fatah, comme il se plaît à le dire, Madjid est vraiment en colère. « En 1948, les Israéliens nous ont expulsés. En 2009, ils ont recommencé. » Il a cette phrase, terrible  : « Soixante et un ans après, on se retrouve à nouveau sous des tentes. »

L’image n’est pas exagérée. Non content d’avoir détruit des hameaux entiers de la bande de Gaza, endommagé des maisons et des immeubles, pris pour cible des écoles, Israël empêche maintenant tout matériau de construction d’arriver dans ce territoire palestinien. « On n’a pas de fer, pas de ciment, se plaint Khader Youssef. On travaille avec la terre, on ne peut pas faire de pilier alors il faut construire des ogives. » D’incroyables constructions qu’on croirait sorti d’un film historique. « Ma génération ne connaissait pas ça, avoue Mohammad Zaker, les mains encore pleine de terre. C’est un ingénieur qui m’a appris. » L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, 
l’UNRWA, tente de venir en aide aux plus démunis et finance une partie de ces habitations. Comme pour Khader dont la maison a été détruite. « J’avais construit une cabane en tôle. Nous étions douze, ça devenait impossible. »

Il y a un an, je quittais cette bande de Gaza. Sous le choc. Des corps mutilés, des pères qui racontaient comment leurs enfants avaient été abattus, des femmes en pleurs, des yeux rougis, partout. Des images encore de ces confettis de phosphore blanc, incandescents. Des brûlures hallucinantes, des blessures jamais vues, comme l’ont révélé des médecins étrangers présents sur place. Des particules métalliques dans les entrailles alors qu’apparemment il n’y avait qu’un minuscule point d’impact sur la peau. Des hurlements encore. Des bébés, des petits garçons, des petites filles, qui crient, qui pleurent. Des éclairs qui déchirent la nuit. Ils entendent la mort arriver et ils ne savent pas ce que c’est. Des sifflements, des explosions terribles. Du feu et de la fumée. Des odeurs de cadavres en décomposition, des humains et des animaux. Et puis, dans le nord-est de la bande de Gaza, des destructions comme un tremblement de terre. Des bombes, des obus et, comme si ça ne suffisait pas, des explosifs placés au pied des maisons encore debout. Rien ne doit rester. Israël a décidé d’agrandir la zone tampon entre sa « frontière » et les premières habitations palestiniennes.

Mohammad Abed Rabbo a vu tout ça. Sans bouger de sa chaise en plastique, de sa canne, il désigne un terrain, plat, sans aucune végétation, aucun arbre, aucune culture. « Là, je cultivais des orangers, des citronniers, crie-t-il. Regardez, il n’y a plus rien. » Il en veut à Israël, c’est entendu. Mais sa colère n’est pas seulement tournée vers Tel-Aviv. « Ma maison a été détruite à cause du Hamas, assure-t-il. C’est donc au Hamas de reconstruire. Ils refont les postes de police, qu’ils s’occupent de ma maison. » Il raconte comment une association avait été créée, tout de suite après la guerre, El Falah, qui avait fourni des tentes. « Mais le Hamas est venu et a arrêté Abou Sana Tambura, le responsable de l’association. Maintenant, l’aide est géré par le Hamas. » Des critiques partagées par ceux qui l’entourent. Abou Jamal, lui aussi un vieux de la vieille, explique  : « Depuis 1948, on espère un État palestinien. Mais pour le Hamas, il faut choisir entre résister et gouverner. » Il fait ainsi remarquer que « le Hamas empêche maintenant de tirer des roquettes sur Israël. Il sent qu’il s’affaiblit. Les gens en ont marre, ils ont compris ». Et Mohammad Abed Rabbo de rajouter  : « Le Hamas se prépare pour les élections. » Responsable du mouvement islamiste, Ahmed Youssef préfère dire qu’« il faut encourager la communauté internationale à la reconstruction de Gaza. C’est pour ça qu’il n’y a plus de tirs de roquettes ».

Jamil Mazalawi, membre du Conseil législatif palestinien (le parlement) et du Bureau politique du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), pense un peu la même chose que Mohammad Abed Rabbo et Abou Jamal. « À Gaza la résistance ne s’est pas arrêtée », assure-t-il. Il donne en exemple deux accrochages qui se sont produits la veille. Des forces spéciales sont, semble-t-il, entrées pour éliminer des militants, à Beit Hanoun et dans le camp de El Bouraij. « Mais le Hamas est contre, regrette Mazalawi. Il a placé ses soldats aux zones frontalières. Tous les membres des forces de sécurité sont du Hamas. Quand ils pensent que ce n’est pas dans l’intérêt de leur organisation, ils essaient d’empêcher les autres groupes d’attaquer. Ils arrêtent même ceux qui veulent tirer des roquettes. »

Walid Al Awad, du comité central du Parti du peuple palestinien (PPP, communiste), souligne d’abord qu’Israël « n’a pas atteint son but. Il voulait approfondir la division entre Gaza et la Cisjordanie, pousser Gaza vers l’Égypte et prendre des terres en Cisjordanie avec le mur ». Selon lui, parce que les Israéliens n’y sont pas parvenus, « ils continuent le blocus sur le Gaza et continuent les pressions sur les dirigeants en Cisjordanie ». D’où l’importance de parvenir à la réconciliation entre les divers mouvements palestiniens. Si toutes les organisations ont approuvé le document présenté par l’Égypte, le Hamas tergiverse. Et dans la bande de Gaza, il est difficile d’être un militant laïque. « Le Hamas nous interdit d’ouvrir nos bureaux », se plaint Mohammad El Nhal, membre du Conseil révolutionnaire du Fatah. Il a lui-même été arrêté à sept reprises et détenu plus de 115 jours dans les prisons du Hamas. Il fait remarquer que le blocus israélien profite au Hamas qui peut ainsi contrôler tous les moyens d’existence de la bande de Gaza. Ce qui confirme Walid Al Awad qui parle de problème « pour la démocratie et les droits de l’homme à Gaza », tout en regrettant qu’en Cisjordanie le Fatah procède également à des arrestations arbitraires.

Maintenir la division géographique et politique des Palestiniens semble donc l’un des buts d’Israël. Il empêche ainsi la fourniture de carburant nécessaire à la principale usine d’électricité de la bande de Gaza. Les tunnels, qui passent sous la frontière égyptienne, remplissent les caisses du Hamas. Aucun trou ne peut être creusé sans être associé avec un membre du Hamas, explique Mohammad El Nhal. « Il faut payer pour avoir un permis. Il y a même des abonnements pour utiliser l’eau et l’électricité. » Et les prix ne cessent d’augmenter. Le litre d’essence est passé de 1,5 shekel à 4 shekels. Les murs souterrains que commence à installer l’Égypte vont également créer de l’inflation. « Je souhaite qu’ils fassent ce mur, parce que les problèmes vont s’aggraver et après ils seront obligés de trouver une solution », affirme le vieux Hadj Abed Rabbo. Il note qu’il y a un gouvernement à Gaza, un autre en Cisjordanie « et entre nous il y a les juifs. Si on ne règle pas les problèmes entre nous, rien ne changera ». Il n’est guère optimiste, mais comment le serait-on au milieu d’un champ de ruines  ? « Le jour qui se termine est meilleur que le jour qui arrive », dit-il. Son fils lui prend la main, sans un mot. « On n’a jamais vu une guerre comme ça, murmure le vieil homme. Pourquoi ont-ils détruit nos maisons  ? »

Pierre Barbancey

http://www.humanite.fr/2010-01-04_I...
http://www.france-palestine.org/article13661.html