mercredi 6 janvier 2010

Entretien avec Ilan Pappe

mardi 5 janvier 2010 - 06h:47

Fatla Elshhati, Miho Seki et Anthony Löwstedt
Counterpunch

Je pense que des gens comme vous, devriez devenir des VIP. Vous devriez vous rendre sur place, vous informer et protester. Et quand vous saurez ce qui se passe : aller le dire aux autres. Et protestez par des moyens non violents, pour que les choses changent. Mais il est important aussi de ne pas oublier la société israélienne.
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Nettoyage ethnique : ici dans le village palestinien de Beit Daras, en 1948


Le nettoyage ethnique de la Palestine

Le livre révolutionnaire de l’historien israélien Ilan Pappe, Le Nettoyage ethnique de la Palestine (*), sur les évènements de 1947 à 1949 qui ont conduit à la formation de l’Etat d’Israël, vient d’être publié en traduction allemande. L’historien est venu en Autriche pour sa promotion.

C’était quelques semaines avant le déclenchement de la guerre contre Gaza (12/2008-01/2009). Pappe a répondu à nos questions d’une telle façon que tout ce qu’il a abordé reste aujourd’hui pertinent, autant qu’il y a un an.

(JPG) Gaza étouffe toujours sous un blocus israélien imposant, Jérusalem-Est et la Cisjordanie sont toujours envahies par des colons juifs en toute illégalité. Plus que jamais, il est clair qu’Israël ne se défend pas ; il s’étend. Les poches de terres palestiniennes qui restent ressemblent aux bantoustans sud-africains du 20ème siècle et, pire, aux réserves indiennes d’Amérique du 19è siècle, se raréfiant et disparaissant.

Selon Pappe, le nettoyage ethnique de la Palestine se poursuit aujourd’hui et c’est une politique délibérée de l’Etat d’Israël. La communauté internationale, malheureusement, ne fait pas grand-chose pour arrêter l’expansion illégale d’Israël. Mais le soir Pappe a dynamisé un auditoire d’une centaine de personnes. Il a illustré par des exemples concrets et des témoignages vivants comment toutes et tous, nous pouvions agir pour contribuer à la justice et à la paix au Moyen-Orient. Ses recherches et ses conclusions, autant que ses idéaux, ont été regardés sous un angle négatif par les Israéliens et leurs réactions l’ont conduit à s’exiler hors de son domicile de Haïfa.

L’éminent chercheur et militant convaincu préside actuellement le département Histoire de l’université d’Exeter, au Royaume-Uni, et il poursuit ses recherches sur les évènements et les questions que de nombreux Israéliens aimeraient mieux voir enterrés et oubliés. Il se dépense aussi pour sensibiliser largement sur les injustices subies par le peuple palestinien en donnant des conférences partout dans le monde et en publiant une œuvre journalistique.


Quelles sont les réactions de la communauté scientifique à votre livre ?

La communauté scientifique israélienne dirait que les faits sont exacts mais que l’interprétation que j’en fais est fausse. Que je ne comprends pas qu’Israël ait le droit de faire ce qu’il fait. Mais je crois que dans le monde, pour une grande part, la communauté scientifique accepte les conclusions de mon livre, et accepte que cela soit maintenant intégré à l’histoire et puisse être enseigné dans les écoles, les universités, etc.

Comment votre livre a-t-il été abordé par les médias ?

Je crois malheureusement qu’en Occident, les grands médias ont eu tendance à ignorer le livre, toutefois pas en Angleterre où le livre a été bien accueilli. Je pense que le livre a été mieux accueilli par les autres médias, certains sur Internet, d’autres ailleurs. Il a été difficile d’obtenir une critique du livre et qu’on en débatte, spécialement sur les grandes chaînes de télévision. Pour les journaux, cela a été un peu mieux. Aussi, je ne pense pas que les grands médias soient prêts, encore, à entendre cette version des évènements, surtout aux Etats-Unis. Même en Allemagne, c’est mieux. Die Zeit [hebdomadaire allemand d’information et d’analyse politique] a fait une critique du livre et j’ai fait deux émissions sur les grandes chaînes de télévision allemandes. Mais en Amérique, c’est très difficile.

A quelles recherches vous consacrez-vous actuellement ?

Je travaille sur 1967. Il y a quelques éléments nouveaux. Et j’aimerais montrer comment la politique israélienne dans les territoires occupés a en réalité été déterminée en 1967. Et elle n’a pas vraiment changé depuis. Les Israéliens se sont décidés à propos des territoires en 1967. Et rien de ce qui s’est passé depuis n’a fait changer cette politique. Je veux revenir au cœur de la vision israélienne : la plus grande partie de la Palestine appartient aux Israéliens et ils ne voient aucune place pour les Palestiniens en Palestine.

Comment les Palestiniens peuvent-ils être réhabilités et comment leur rendre leur place légitime dans la communauté humaine ?

Je pense qu’il y a trois choses par lesquelles ils doivent passer avant que cela n’aille mieux. Je pense qu’Israël et l’Occident doivent admettre le nettoyage ethnique de 1948, et le nettoyage ethnique qui a suivi. Je pense qu’Israël doit également en être tenu pour responsable. Cela ouvrirait la voie à une vie normale pour les Palestiniens. Et je pense que c’est seulement alors qu’on pourra demander aux Palestiniens d’accepter les Israéliens. Il y a eu des évènements semblables dans l’histoire où des peuples ont dû passer par ce processus : d’abord reconnaître ce qui a été fait et ensuite, en prendre la responsabilité. C’est la partie israélienne de la transaction. Et puis après, de l’autre côté, on oublie, et on accepte la vie nouvelle.

Finalement, comment voyez-vous l’avenir du peuple palestinien ? Pensez-vous réellement qu’une solution puisse être apportée et que les réfugiés palestiniens puissent un jour revenir dans leur pays ?

Oui, je suis optimiste. Je pense qu’il y une chance qu’au bout du compte, ces droits soient garantis aux Palestiniens. Je crains qu’il s’agisse là d’une perspective à long terme. Ma grande préoccupation, c’est le proche avenir. Il y a un gros danger pour que les choses empirent encore, avant de s’améliorer.

Que conseilleriez-vous à des jeunes de faire pour éveiller les consciences sur les violations flagrantes des droits humains qui ont lieu en Israël et en Palestine, et que pourraient faire ces jeunes pour aider à ce que ces violations cessent ?

Je pense que des gens comme vous, devriez devenir des VIP. Vous devriez vous rendre sur place, vous informer et protester. Ce n’est pas facile, je sais, mais vous devriez essayer de voir de vos propres yeux, et ne pas compter seulement sur les autres. Et quand vous saurez ce qui se passe : allez le dire aux autres. Et protestez par des moyens non violents, pour que les choses changent. Mais il est important aussi de ne pas oublier la société israélienne pour prendre en compte, comprendre ses craintes et ses problèmes, il est important d’avoir une vision globale. Je pense que cela aidera à faire progresser le processus de paix.

Pourriez-vous, s’il vous plaît, ajouter un commentaire sur le contexte plus général, plus particulièrement la communauté internationale, dont l’Union européenne et l’Autriche ?

Il y a un contexte international à cette question. Et sans aborder ce contexte, vous n’aurez jamais une solution. Il y a une multitude de gens qui sont aujourd’hui opprimés, ou qui se sentent opprimés, ce sont les musulmans. Et ils estiment qu’il y a un lien entre la façon dont les musulmans sont maltraités en Palestine et la façon dont ils sont maltraités ailleurs. Et ce lien existe. Il y a le sentiment que l’Amérique, et la Grande-Bretagne, et l’Occident traitent Israël d’une manière très extraordinaire. Cela soulève une question, pourquoi cette attitude n’a-t-elle jamais été prise à l’égard de ce qui n’est pas israélien, au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique, en Amérique latine. Il s’agit donc bien d’un contexte international.

Il y a aussi un contexte allemand et autrichien qui est particulier. Il est lié au fait qu’une grande partie de ce que fait Israël est justifié par ce qui a été fait aux juifs dans ces deux pays. Et je pense que c’est aux Allemands et aux Autrichiens de faire face, courageusement, à ce qu’ils ont fait pour qu’ils puissent à leur tour dire aux Israéliens de faire face, courageusement, à ce qu’ils ont fait. Tout cela fait partie de la solution.

L’entretien a eu lieu le 6 décembre 2008, à Amtshaus Wäring, à Vienne, Autriche.

(*) - Le Nettoyage ethnique de la Palestine - Fayard - 2006

Voir aussi le commentaire sur le livre : Le nettoyage ethnique de la Palestine

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Counterpunch - Edition du week-end du 1 au 3 janvier 2010 - traduction : JPP

http://info-palestine.net/article.php3?id_article=7916