mercredi 27 janvier 2010

« Jérusalem est en danger »

lundi 25 janvier 2010 - 17h:15
Nimer Sultany - The Electronic Intifada
Salah a transformé Al-Aqsa en un cri de guerre pour défendre l’identité arabe et islamique de Jérusalem et de la Palestine — une identité qu’Israël nie et essaye d’effacer, écrit Nimer Sultany.
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Les autorités israéliennes ont tenté de faire taire Sheikh Raed Salah (au centre) par la violence physique, des restrictions dans les déplacement, et de la prison - Photo : Megged Gozani/Activestills.org
Une fois de plus, Israël a recours à des jugements qui se veulent des exemples. Cheik Raed Salah, un dirigeant politique et religieux connu de la minorité palestinienne, a été condamné le 13 janvier par une cour israélienne à neuf mois d’emprisonnement. C’est sa deuxième condamnation ces dernières années. Cette fois-ci, l’accusation était qu’il aurait assailli un policier et empêché le travail de la police pendant une manifestation à la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem.
Malgré le jargon juridique, la persécution dont Salah fait l’objet s’inscrit dans deux processus déjà en cours - la répression contre les dirigeants arabes et les militants politiques à l’intérieur d’Israël, et la campagne israélienne pour imposer des faits accomplis sur le terrain à Jérusalem afin de renforcer l’occupation.
En effet, ces dernières années Israël a intensifié sa judaïsation de Jérusalem en construisant de nouveaux quartiers juifs, en expulsant les familles arabes de leurs maisons, en démolisant des maisons, en refusant d’accorder des permis de construire aux Palestiniens jérusalémites afin de les forcer à partir, les privant de leur statut de résidents sous des prétextes douteux, isolant Jérusalem du reste de la Cisjordanie et limitant le nombre et l’âge des Palestiniens autorisés à prier à la mosquée Al-Aqsa.
La volonté de changer la géographie et la démographie de Jérusalem est un projet israélien constant depuis l’occupation de la ville en 1967 puis la proclamation de son annexation. Tandis que cette annexation « officielle » était rejetée par la communauté internationale comme violation du droit international, les réactions se sont limitées aux protestations et condamnations verbales.
Ce projet prouve qu’Israël fait son maximum pour miner les perspectives de paix en compliquant les questions au cœur du conflit en excluant unilatéralement certaines options et en transformant les aspirations légitimes palestiniennes en demandes peu réalistes, ces politiques rendent toutes les négociations futiles et renforcent l’absurdité du défunt « processus de paix. » La gravité de ces politiques ne peut être réellement comprise que si l’on prend compte la perspective israélienne expansionniste de « Jérusalem. »
Le rapport entre le cheik [Raed Salah] et la ville est bien connu. Salah, qui a été empêché ces derniers mois par des ordres israéliens d’entrer dans Jérusalem, et empêché par d’autres ordres de quitter le pays, a activement contesté ces politiques. Quand Israël a limité l’accès d’Al-Aqsa aux Palestiniens de Cisjordanie, Salah a conduit des milliers de citoyens palestiniens venus prier dans la mosquée et visiter Jérusalem. Quand Israël a creusé des excavations aux alentours d’Al-Aqsa, Salah et ses partisans étaient les premiers à protester. Quand les extrémistes israéliens ont fait connaître leurs plans pour la destruction de la mosquée d’Al-Aqsa, Salah a organisé des rassemblements pour éveiller les consciences. Quand lsraël a essayé de séparer les citoyens palestiniens de leurs frères dans les territoires occupés, Salah et son mouvement ont organisé l’aide à ces derniers. En bref, Salah a transformé Al-Aqsa en un cri de guerre pour défendre l’identité arabe et islamique de Jérusalem et de la Palestine — une identité qu’Israël nie et essaye d’effacer.
Salah a également une perspective pour donner plus de pouvoir aux citoyens palestiniens, nommant cela « la société autosuffisante. » Salah qui était maire d’une des plus grandes communautés arabes à l’intérieur d’Israël, a tiré la conclusion qu’il y avait besoin de construire des institutions de société civile pour offrir les services sociaux que l’Etat [juif] ne fournit pas. Ce besoin existe à cause de la discrimination collective, systématique et de longue date contre la minorité palestinienne.
Etant donné ce contexte, et la vive opposition de Salah aux pratiques israéliennes dans les territoires occupés, il n’est pas surprenant qu’Israël veuille criminaliser son activité politique, le faire taire, limiter son mouvement et décourager ceux de sa communauté. Transformer des luttes idéologiques en procédures judiciaires devant les tribunaux est une vieille ruse. C’est une tentative d’éviter une contestation politique et un dialogue public sur les tabous israéliens. C’est une tentative de stigmatiser les adversaires du régime comme hors-la-loi.
Il est cependant difficile de cacher la nature politique du procès de Salah. Salah, la tête du mouvement islamique extra-parlementaire, a été classé par l’appareil de sécurité comme une menace pour l’idéologie de l’Etat et il a été la cible de plusieurs attaques physiques de la part de policiers, et on a même tiré sur lui en octobre 2000. Certaines des organisations non gouvernementales de son mouvement ont été fermées par des ordres militaires et leurs journaux frappés d’ordres provisoires de fermeture. Et il est démonisé de façon répétée dans les médias israéliens depuis plus d’une dizaine d’années.
Aussi, il est difficile de croire que dans le système judiciaire israélien qui condamne d’une façon disproportionnée plus d’Arabes que de juifs, un juge moyen traiterait avec impartialité ce musulman pieux et politiquement actif. En effet, le juge ne pouvait pas s’empêcher d’exprimer par des grimaces durant le procès son aversion pour Salah. Et celui-ci était donc censé respecter cette comédie de justice se déguisant en loi...
Ce n’est nullement la seule ironie constatée. Face à un groupe de « témoins » de la police, le témoignage de Salah n’était d’aucun poids. Tandis que Salah va en prison, les policiers israéliens qui ont assassiné 13 manifestants arabes en octobre 2000 restent à l’air libre. Dans des jugements aussi exemplaires que ceux-ci, dans lesquels les résultats sont prévus à l’avance, le système judiciaire n’est rien de plus qu’un outil aux mains du pouvoir politique pour mettre en oeuvre ses objectifs idéologiques.
Israël espère que réduire au silence une voix de protestation de premier plan fera avancer ses projets de colonisation de la Palestine et de judaïsation de Jérusalem en particulier. Mais l’intensification de l’oppression invite à une intensification de la protestation. Aussi, les manoeuvres israéliennes n’amèneront la paix ni à l’intérieur ni en dehors des frontières de 1967.
Alors que la répression israélienne contre les militants palestiniens s’aggrave, il devient nécessaire pour tous ceux qui s’inquiètent de la liberté, de l’égalité et de la justice d’exprimer leur condamnation. Car comme Salah le dirait, « Jérusalem est en danger. »
* Nimer Sultany est un citoyen palestinien d’Israël et doctorant à Harvard Law School. Il a écrit Citoyens sans citoyenneté, Israël et la minorité palestinienne (2003), et Israël et la minorité palestinienne (2004).
21 janvier 2010 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction : Naguib
http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=8055