jeudi 29 octobre 2009

"Le blocus israélien de Gaza enrichit le Hamas"

publié le mercredi 28 octobre 2009

Karim Lebhour
L’économie s’est effondrée sous le coup du blocus, mais l’économie clandestine prospère pour certains, alors qu’une majorité de Palestiniens vit sous le seuil d’extrême pauvreté

Longtemps négligé, faute de clients, l’hôtel Commodore, situé sur le front de mer de Gaza, a retrouvé son éclat. L’établissement rénové accueille désormais mariages et réceptions de la bourgeoisie du Hamas. Son nouveau propriétaire s’appelle Abdel Aziz Al Khaldi, un investisseur parmi les plus influents de Gaza, partisan du mouvement islamiste. Considéré comme l’un des intermédiaires du Hamas, l’homme rachète à tour de bras terrains et biens immobiliers.

« Les gens du Hamas ont les poches pleines, assure Nasser El Helou, un entrepreneur de Gaza qui s’est vu proposer de vendre son hôtel Al Qods. Ils investissent leur surplus de liquidités dans l’immobilier et dans l’achat de terres. Cela sécurise leurs actifs et évite le risque que ces fonds soient gelés par les banques. » Ruiné par le blocus, Nasser El Helou n’a plus qu’un commerce de fromages, l’un des rares produits encore autorisés par les points de passage avec Israël. « Le blocus contribue à enraciner de plus en plus le Hamas à Gaza. Les grands esprits qui sont derrière cette stratégie d’isolement ont fait l’erreur de leur vie », lâche-t-il avec amertume.

Quand le Hamas a renversé l’Autorité palestinienne en juin 2007, Israël a fermé les points de passage vers la bande de Gaza, ne laissant plus rentrer que les denrées de première nécessité. L’économie s’est effondrée. Pour Israël, l’objectif affiché était d’asphyxier le Hamas. Deux ans plus tard, le pouvoir islamiste s’accommode fort bien de ces restrictions. Alors que les retards de paiement des fonctionnaires de l’Autorité palestinienne de Ramallah, sous perfusion de l’aide internationale, sont de notoriété publique, le gouvernement du Hamas à Gaza paient ses 30 000 salariés rubis sur ongle. Une banque liée au Hamas, la Banque nationale islamique, a même ouvert ses portes et se targue d’être la seule du territoire à ne pas souffrir d’une crise de liquidités, en shekels ou en dollars.

« Nous avons beaucoup d’amis »

Le secret de cette opulence ? « Nous avons beaucoup d’amis », concède, évasif, le ministre de l’économie, Ziad El Zaza, à la tête d’un budget de 15 à 20 millions d’euros par mois, en grande partie couvert par les donations des généreux contributeurs étrangers. « Des individus plutôt que des États, précise le ministre. L’argent ne passe pas par les banques. Nous n’avons pas de difficultés à contourner le contrôle israélien », sourit-il. L’argent transite par les tunnels de Rafah ou parfois même dans les valises des dirigeants du mouvement, parmi les rares à pouvoir voyager facilement par l’Égypte. En février dernier, Ayman Taha, l’un des hauts responsables du mouvement islamiste, a été arrêté à la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza, en possession de plus de 10 millions de dollars en espèces.

À Gaza, l’économie clandestine supplante désormais l’économie traditionnelle. Dans les magasins, 70 à 80 % des produits viennent d’Égypte, par les tunnels de Rafah. « Si j’enlève ce qui vient des tunnels, il ne reste que les lessives, les shampooings et les produits de base », témoigne le gérant d’une épicerie de Gaza. Animaux, vêtements, appareils électriques, etc., passent par les galeries clandestines, avec un surcoût de 30 à 40 % supporté par les Gazaouis. Le Hamas contrôle étroitement cette industrie souterraine. Chaque nouveau tunnel doit être enregistré et le propriétaire acquitter une taxe de 10 000 shekels (1 800 €). Les contrebandiers doivent aussi faire preuve de largesses. « Si on passe un chargement de ciment, le Hamas prélève une tonne », témoigne l’un deux.

« La politique de cordon sanitaire n’a pas été efficace. L’embargo a créé une économie parallèle qui prospère, constate le sénateur français Philippe Marini (UMP), de passage à Jérusalem, chargé d’une mission d’information pour Nicolas Sarkozy. Plus le temps passe, plus le Hamas s’impose. » Il recommande plus de « flexibilité » sur la politique d’isolement de ce mouvement. La misère, elle, s’envole. Le nombre de Palestiniens de Gaza vivant sous le seuil d’extrême pauvreté (0,80 € par jour) a triplé depuis le début de l’année, passant de 100 000 à 300 000 personnes, selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa). L’agence a mis en place une collation pour les élèves dans ses écoles : un sandwich, un fruit et un verre de lait. Trop d’enfants venaient à l’école l’estomac vide. « L’appauvrissement et les souffrances de Gaza ne sont pas la conséquence d’une catastrophe naturelle, s’est indigné John Ging, son directeur à Gaza. C’est une crise voulue par l’homme. Le résultat d’un échec politique. »