lundi 31 août 2009

Du service militaire à la défense des droits de l’homme

dimanche 30 août 2009 - 07h:14

Nissrine Messaoudi
Generaldelegation Palaestinas


A Hébron, une ville pleine de haine, Ilan Fathi s’engage pour le droit des Palestiniens.

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Brutalité quotidienne en Palestine occupée : ici l’arrestation par les troupes israéliennes d’un jeune adolescent palestinien - Photo : BBC

Hébron est une ville riche d’Histoire. Elle fut jadis la ville sainte des patriarches Abraham, Isaac et Jacob. Sainte pour les juifs comme pour les musulmans. Mais il ne reste pas grand-chose de l’éclat passé. Depuis des années, dans cette ville qui est la plus grande de Cisjordanie, Israël commet à l’encontre les Palestiniens des crimes contre l’humanité.

« On ne peut comparer Hébron à quoi que ce soit d’autre. La plupart des Israéliens ne savent pas ce qui se passe ici, et ils ne veulent d’ailleurs pas le savoir » explique à notre délégation de journalistes invitée par Medico International, Ilan Fathi de ‘Breaking the Silence’, organisation partenaire de Medico International fondée par d’anciens soldats israéliens. Ils veulent rompre le silence sur les violations des droits humains durant leur service militaire. Dernièrement ils ont attiré l’attention par leurs « Testimonies » - témoignages sur la guerre de Gaza (décembre 2008-janvier 2009) - qui démontrent que l’armée israélienne a violé les droits de l’homme délibérément.

« Un bon arabe est un arabe mort »

Ilan Fathi lui aussi a été soldat. « Trois ans et cinq mois » dit-il en baissant les yeux. Comme la plupart des Israéliens, lui aussi s’est réjoui de partir pour le service militaire. « Je viens d’une famille de droite. J’ai grandi dans l’idée qu’un bon arabe est un arabe mort ». A l’école, on ne prêchait ni la tolérance ni le vivre-ensemble pacifique. « Les cartes géographiques nous montraient exclusivement des villes israéliennes, sans les frontières de 1967. En outre on nous enseignait que pendant la guerre d’indépendance de 1948 les Palestiniens étaient partis de leur plein gré, sans être expulsés » dit cet homme de 27ans. Jusqu’à son service militaire il n’a même jamais su ce que sont des territoires occupés. Nous sommes d’autant plus impressionnés par sa métamorphose, qui ne suscite que rarement la sympathie réciproque.

Normalement cette tournée de l’organisation est accompagnée par un groupe de sécurité, car les colons d’Hébron agressent souvent les anciens soldats ainsi que les visiteurs. Récemment des représentants du Parlement allemand ont été assaillis de pierres et de couches souillées alors qu’ils faisaient cette même visite. Nous sommes quelque peu préoccupés par l’absence de protection. Cela ne nous empêche pas de prendre la route de Jérusalem à Hébron. Nous roulons dans un tunnel. Une particularité, car d’habitude seuls les Palestiniens doivent se déplacer sous la terre, tandis que les larges routes bien construites sont réservées aux Israéliens.

Nous nous arrêtons à Kiryat Arba, en bordure d’Hébron. En 1970 le Parlement israélien, la Knesset, a décidé d’implanter ici une colonie. L’environnement est propre, des plantes en fleurs entourent les hautes habitations des colons. Après 1980 et l’attentat palestiniens qui tua sept colons au centre d’Hébron, en réponse à l’attentat le nombre de colons augmenta encore. Ils ne restèrent pas à Kyriat Arba mais s’installèrent aussi dans la vieille ville et dans le centre commercial d’Hébron. 1994 fut le tournant critique dans l’histoire d’Hébron, lorsque le pédiatre et colon Baruch Goldstein assaillit la mosquée Ibrahim pendant la prière du vendredi, tuant 29 Palestiniens et en blessant plus d’une centaine avant d’être lui-même tué. Afin de protéger les colons - quelques centaines - d’actes de vengeance éventuels, le gouvernement israélien opta pour une politique de ségrégation avec « zones stériles » (càd interdites aux Palestiniens), qui empira de plus en plus après la deuxième Intifada de l’an 2000.

A Kyriat Arba nous visitons la tombe de Goldstein. Elle occupe une place d’honneur dans un petit parc. C’est un lieu de pèlerinage pour les familles de colons ultra-nationalistes qui viennent rendre hommage à leur « héros ».

Une ville fantôme

Nous poursuivons vers Hébron. A droite et à gauche de la rue principale, les rues latérales sont bloquées avec de gros blocs de béton ou du fil barbelé, car la rue où nous nous trouvons est interdite aux voitures palestiniennes. Puis nous parvenons au centre de la ville. Ici aussi, nous nous heurtons partout à des barricades. Les rues sont vides. C’est une ville-fantôme, comme dans les westerns. Tous les magasins qui appartenaient à des Palestiniens sont verrouillés. Sur beaucoup de portes on a bombé à la peinture blanche « mort aux arabes », « tuez les arabes » ou « les arabes à la chambre à gaz ».

77% de tous les commerces ont été fermés en cours d’année et 42% des maisons palestiniennes confisquées. « Il y a deux raisons pour lesquelles les Palestiniens ont quitté leur maison et leur commerce. La première est la violence des colons. La seconde, les actions des militaires », explique Ilan Fathi, qui a été basé à Hébron pendant toute l’année 2001. Presque tous les soldats prestent ici une partie de leur service. Alors qu’en 1997, 300.000 Palestiniens et 500 colons vivaient ici, le nombre de Palestiniens s’est réduit à 189.000 en 2009. Par contre celui des colons est passé à 800.

« J’ai moi-même participé à des évacuations de maisons. Nous avons tambouriné sur les portes, la nuit, et donné aux gens une heure pour évacuer leur maison. S’ils n’obtempéraient pas, nous faisions usage de violences. Puis nous avons déclaré ces maisons bases militaires, dit Fathi. Sur les 1500 commerces fermés, 400 l’ont été par les militaires. Nous avons tout fait pour que la vie des Palestiniens devienne un enfer. Des perquisitions nocturnes. On contrôlait les Palestiniens aux checkpoints deux ou trois fois par jour. On tirait en l’air un peu partout, juste pour faire du bruit ». Le jeune homme fait une petite pause pour rassembler ses esprits, puis il évoque les couvre-feux. « Tous les trois ou quatre jours nous laissions sortir les Palestiniens de leur maison pour deux heures seulement. En 2002 il y a eu 182 jours de couvre-feu. Cela ne concernait jamais les colons ».

Les colons d’Hébron sont extrêmement violents et lourdement armés. Au cours de notre visite guidée nous rencontrons quelques jeunes. Ils peuvent avoir 16 ans, 18 ans tout au plus. Ils portent des pantalons amples, des baskets, un T-shirt normal, une kippa (le couvre-chef juif - et un fusil-mitrailleur sur l’épaule. Une image que nous avions déjà croisée à Jérusalem-Est. Environ 2.500 soldats et miliciens privés sont basés à Hébron pour la protection des colons. Ce qui est fâcheux, c’est qu’il est strictement interdit aux soldats de toucher aux colons, à plus forte raison de les arrêter. C’est ainsi que les agressions qui ont lieu régulièrement contre des Palestiniens ne sont jamais sanctionnées. « Des familles entières ont été agressées dans leurs maison et battues. Nous ne sommes jamais intervenus ». Toute la ville est équipée de caméras de surveillance - pour protéger les colons. Cela veut dire que toutes les agressions sont démontrables. Mais les enregistrements sont rigoureusement détenus par les militaires.

Le tournant dans la vie d’Ilan

Nous continuons jusqu’à un rond-point. La voix d’Ilan se fait grave. Nous nous asseyons sur le trottoir. Toujours pas une âme en vue. « A cet endroit, j’ai vécu quelque chose que je n’arrive toujours pas à croire. C’était pendant les festivités pour le jour de l’indépendance en 2001. Un soldat se trouvait exactement là-devant » dit-il en désignant un petit arrêt de bus. « Un Palestinien d’une quinzaine d’années est venu vers lui, un morceau de verre à la main. Alors le soldat lui a tiré plusieurs fois dans le ventre. Notre médecin militaire et moi avons couru vers lui et avons tenté de lui sauver la vie. Un groupe de colons est arrivé. Ils nous ont arrachés à lui et se sont mis à le bourrer de coups de pied. Son sang jaillissait de partout. Il était mort. Ils entouraient la mare de sang du garçon et se sont mis à danser en poussant des cris de joie. Cela, je ne l’oublierai jamais ».

Les colons n’ont jamais été jugés. C’est le tournant dans la vie d’Ilan, celui qui a fait du soldat un défenseur des droits de l’homme. « J’ai commencé à me demander pourquoi le gouvernement soutient ces colons ultra nationalistes. Je ne voulais plus me taire ». Quelques-uns de ses collègues ont vécu la même chose. Alors, une fois leur service achevé, ils ont fondé « Breaking the Silence ».

La vie de ces anciens soldats n’est pas sans danger. A côté des agressions physiques, ce sont surtout les réactions des amis et parents qui causent des blessures profondes. « Quand je suis rentré à la maison, on m’a fêté comme un héros. Et pourtant maintenant nous sommes des traîtres ». Ilan a déjà perdu des amis. Il ne peut rester seul dans une pièce avec ses nièces et neveux. Avec ses parents, il a décidé de ne plus jamais parler politique. Quand cet homme grand et mince parle de sa voix douce, on a du mal à se le représenter en soldat armé.

Après quelques heures, nous sommes contents de quitter ce lieu. Pendant le trajet de retour nous parlons à peine. Puis nous demandons à Ilan comment il s’en sort avec les expériences qu’il a vécues. Il soupire : « Je suis coresponsable de ce qui se passe là-bas. Le moins que je puisse faire, c’est d’éclairer les gens ».

* Ilan Fathi dirige des programmes d’éducation pour ‘Breaking the Silence’ et guide des visites à Hébron et aux environs. Ces programmes sont destinés à éduquer les gens sur le prix élevé - physique, moral et environnemental - du conflit en cours. Ilan travaille aussi avec Ta’ayush, une organisation humanitaire arabo-israélienne. Rencontrant des familles arabes qui l’ont connu comme soldat israélien, il se réjouit de les rencontrer sans armes ni uniforme, juste d’humain à humain.

26 août 2009 - Generaldelegation Palaestinas - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.palaestina.org/news/beit...
Traduction de l’allemand : Marie Meert