jeudi 30 octobre 2014

La répression s’accentue contre Bi’lin, village phare de la lutte contre le mur et l’occupation

A Bi’lin où chaque vendredi, depuis des années, s’organisent des manifestations non violentes, avec le soutien de militants israéliens et internationaux, l’armée redouble de répression. Depuis des positions surélevées, les soldats tirent sur les manifestants, et envahissent ensuite les maisons du village, les asphyxiant de gaz lacrymogènes.
Israël ne supporte pas la non violence. Elle y répond par encore plus de violence, depuis des années. Plusieurs militants pacifiques ont été tués à Bilin, d’autres, comme le jeune fils de Iyad Byrnat ont été blessés et sont handicapés. Un militant israélien a perdu un oeil étant donné la puissance et la toxicité des cartouches de gaz lacrymogène lancées sur les manifestants du vendredi.
Israël ne leur pardonne pas d’avoir réussi à obtenir, à force de ténacité, la restitution, par un avis de la Cour suprême d’une partie des terres que le mur leur volait. (Il volait la moitié des terres de Bi’lin et "n’en vole plus actuellement que le tiers"). Mauvais exemple pour tous les autres palestiniens qui pourrait croire que la lutte paie.
Par Roy Wagner*
Au cours des dernières semaines, les soldats israéliens attendent les manifestants sur l’ancienne route, près du monument en souvenir du regretté Bassem Abu Rahma, qui a été abattu à bout portant par une grenade de gaz lacrymogène tirée à grande vitesse et vraisemblablement assassiné intentionnellement. (L’armée israélienne a refermé l’enquête sur le meurtre sans acte d’accusation.)
Depuis des positions surélevées, les soldats tirent sur les manifestants qui tentent de se frayer un chemin le long de la "route de la liberté." Ensuite, les soldats descendent vers les zones habitées du village et remplissent les maisons avec des gaz lacrymogènes.
Les soldats ont récemment mis le feu à un bâtiment qui se dresse entre l’ancienne route et la nouvelle. L’armée a émis un ordre de démolition pour un terrain de jeu qui y était construit. Lors de la dernière manifestation, un résident du village m’a dit que 20 de ses oliviers, qui sont situés de l’autre côté du mur, avaient été incendiés. L’arrestation de manifestants et les agressions en garde à vue, pratiques qui étaient devenues plus rares ces dernières années à Bil’in, redeviennent courantes.
Selon le photojournaliste Haitam al-Hatib, les soldats ont attaqué le village samedi dernier, confisquant des outils agricoles et menaçant de démolir une autre maison. Abdallah ABURAHMA, l’un des leaders de la lutte non-violente dans le village, qui a été reconnu comme un "défenseur des droits de l’homme" par l’Union Européenne et un "prisonnier de conscience" par Amnesty International, a de nouveau été reconnu coupable par la cour militaire israélienne de "Résistance à l’Occupation" (« entrave au travail d’un soldat") et est susceptible de retourner en prison.

L’objectif des manifestants n’a pas changé depuis 2005. Ils ne sont pas "protestants." Ils ne sont pas « l’expression d’une opinion". Ils ne participent pas dans le « jeu de la démocratie », dont les règles ne s’appliquent pas aux territoires occupés, où chaque manifestation est considérée comme illégale. L’objectif des manifestants est d’abattre le mur et passer de l’autre côté afin d’atteindre leurs terres (sur lequelles siègent des positions militaires et la colonie de Modi’in Illit).

Palestiniens, internationaux et militants israéliens manifestent contre la barrière de séparation et l’occupation dans le village de Bil’in en Cisjordanie, le 17 Octobre 2014. (Photo par Ahmad Al-Bazz / Activestills.org)

Les chances que les terres volées soient rendues à leurs propriétaires légitimes par une sorte d’arrangement juridique ou politique est proche de zéro. Les habitants de Bil’in le savent. La demande de rejoindre les terres de l’autre côté de la barrière est celle qui incarne la demande de mettre fin à l’occupation et au régime de l’Apartheid sur les deux côtés du mur. La réponse aux protestations reste la même, qu’il s’agisse de chants ou de jets les pierres, que les manifestants soient en mesure d’approcher le mur ou restent loin de là, l’armée utilise des grenades assourdissantes et de gaz lacrymogène, des balles enrobées de caoutchouc ou des tirs réels. La violence contre la vie par des soldats surarmés et blindés contre des manifestants non armés.
De temps en temps, quelqu’un dans l’armée en arrive à la conclusion que son temps est venu de mettre un terme à ces manifestations. Il invente de nouvelles" tactiques ", de nouvelles « armes », les nouvelles "menaces." Mais après plus de 10 ans de protestations, il n’y a vraiment rien de nouveau. Les manifestants savent tous les scénarios. Malgré tout, les manifestations continuent et aussi loin que je peux voir, ils vont continuer à avancer pour de nombreuses années à venir. Comme ils le font dans Ni’lin, Ma’asara, Kufr Qadum, Nabi Saleh et d’autres villages.
Je ne sais pas si l’escalade à Bil’in aujourd’hui, qui se passe près de 10 ans après la première manifestation en 2005, a à voir avec l’opération "Bordure protectrice", ou avec la résistance croissante à Jérusalem-Est, ou avec les caprices du commandement local. Je ne sais également pas combien de temps durera l’escalade. Peut-être une semaine ou deux ? Peut-être un autre manifestant sera tué.
Chaque semaine quelques dizaines d’Israéliens et d’internationaux viennent à Bil’in rejoindre quelques dizaines de Palestiniens pour protester. Chaque fois après un certain temps, une grande manifestation a lieu.
Je ne vais pas prétendre que les Israéliens supplémentaires à venir pour les manifestations feront pencher la balance. Le public israélien, qui est incapable de faire pression efficacement sur le gouvernement pour modifier ses politiques de santé, de logement et d’aide sociale, ne sera probablement pas le seul à mettre fin à l’occupation. Ceux qui ne parviennent pas à protéger les droits des pauvres et des citoyens israéliens vulnérables vivant en Israël ne seront probablement pas en mesure de sauver les habitants de Bil’in. Les manifestations hebdomadaires continueront avec nous ou sans nous.
Mais dans un endroit où quelqu’un comme le pacifique Abdullah AbuRahma est condamné pour "incitation", peut-être, à tout le moins, cela peut aboutir à inciter les autres à se battre contre l’occupation. Pour continuer et résister à Bil’in et dans d’autres endroits. Pour continuer et résister sur les deux côtés du mur qui divise Bil’in. Pour continuer et résister afin de maintenir une infrastructure de résistance, de sorte qu’un jour, quand les conditions politiques changeront, quand quelque chose changera ici, cela aussi changera à Bil’in.
Roy Wagner est un activiste israélien qui a assisté aux manifestations à Bil’in les cinq dernières années. Cet article a été publié sur le site 972.
(Traduction AMM pour CAPJPO-EuroPalestine)