dimanche 3 août 2014

Licence to kill

On serait tenté de paraphraser Clemenceau qui parlait, lui, de justice et de musique : « La logique des États est à la logique ce que le souci d'équité des États est à l'équité. »
Elle porte un prénom de sainte et un nom qui fleure bon l'Irlande médiévale. Hier, Mme Bernadette Meehan, porte-parole du National Security Council, y est allée de sa dénonciation – sacrilège!– d'un crime perpétré par les soudards israéliens, mais cela, elle ne l'a pas dit : « Les USA condamnent le bombardement d'une école de l'Unrwa, à Gaza, qui aurait fait des victimes palestiniennes innocentes, tuées ou blessées, ainsi que des travailleurs sociaux des Nations unies », a-t-elle courageusement osé, se disant en outre « vivement préoccupée par le sort de milliers de Palestiniens déplacés, pour qui les abris prévus par l'Onu ne sont plus considérés comme sûrs ». Admirons au passage l'adéquat conditionnel et surtout le fait qu'on chercherait en vain dans ces quelques mots insipides une allusion même vague à Israël. Enfin, on admirera la concordance entre cette condamnation qui, en définitive, n'en est pas une et l'annonce par Washington de la livraison de matériel militaire à Tel-Aviv.
Car, on en tremble rétrospectivement, Israël a failli se trouver à court de munitions, en ce vingt-quatrième jour de pilonnage intensif de Gaza. Imaginez un peu les vaillants combattants de cet avant-poste de la civilisation occidentale, la fleur au fusil mais le fusil en berne, dépourvu de ce qui, avec la discipline, fait la force des armées : cette poudre et ces balles de « l'enfant grec ». Ils auraient été obligés, les pauvres, de tirer ; les enfants s'en seraient retournés à la plage, les épouses derrière leur fourneau et les hommes à l'usine ou au champ. La vie comme autrefois, quoi, quand les vaillants-combattants-etc. (voir plus haut) leur fichaient la paix. Quand couler des jours heureux signifie pour ces jeunes gens, par ailleurs pas plus mauvais que d'autres, tuer tout Arabe qui bouge, histoire d'en faire un Arabe qui ne bouge plus...
En fait de livraisons, il s'agissait, a précisé le Pentagone, d'autoriser Israël à puiser dans un stock d'une valeur d'un milliard de dollars, entreposé dans le pays et dont l'utilisation venait à expiration. D'où la nécessité de s'en servir au plus tôt. Dans le lot, des obus de mortier de 120 millimètres, des grenades de 40 mm pour RPG, des fusées avec leurs lanceurs, des chargeurs, le tout vendu et non pas offert par le grand frère yankee à l'État hébreu reconnaissant.
Le vice-amiral John Kirby, porte-parole du Pentagone, a quand même tenu à rappeler à l'adresse de ceux qui auraient la mémoire trop courte, que son pays est « fermement engagé à assurer la sécurité d'Israël et il est vital pour nous de l'aider à développer et entretenir un système de protection efficace ». C'est, a-t-il dit, conformément à ce principe que nous avons décidé de répondre à la demande du gouvernement Netanyahu, formulée dès le 20 juillet, soit moins de deux semaines après le déclenchement de l'opération Protective Edge. Étant entendu que, de son côté, le Congrès travaille à un plan renforçant le système Iron Dome en place, dont l'efficacité, est-il apparu, n'est pas sans faille.
C'est peu de dire que John Kerry ne porte pas dans son cœur Bibi et ses compagnons, à commencer par Avigdor Lieberman. Cette tiédeur toutefois, et celle de Barack Obama, ne pèsent pas lourd face à l'empressement mis à chaque fois par le ministère de la Défense à répondre – à les devancer parfois – aux requêtes du petit protégé, menacé de toutes parts par les ogres arabes.
Si seulement il n'y avait pas les bonnes âmes de l'organisation internationale, toujours soucieuses de déranger le beau désordre établi. Fallait-il donc rappeler qu'à dix-sept reprises dans un passé récent, les responsables de l'Unrwa avaient communiqué aux Israéliens les coordonnées de l'école bombardée avant-hier mercredi ? Que l'on en était au sixième établissement touché de plein fouet ? Que l'implication de l'artillerie ne nécessitait pas d'autres preuves que celles déjà réunies et communiquées à qui de droit ? Enfin que ce jour-là, ils étaient 3 300 à s'être réfugiés en ces lieux et qu'aucune activité militaire suspecte n'y était signalée ? À quoi Marie Harf, parlant devant les micros du département d'État, a répondu : « Nous ne savons pas s'il y avait ou non des missiles prêts à être tirés. »
Tweet le même jour de Pierre Krähenbühl, commissaire général de l'Unrwa : « Ce qui s'est passé est intolérable et représente un point de non-retour. »
Il y a des moments, fort rares, où les grisâtres ronds-de-cuir du Palais de Verre se croient autorisés à revêtir l'habit des héros de l'Antiquité...