dimanche 3 août 2014

Le Hamas : ni création israélienne ni filiale des Frères musulmans...

À chaque nouvelle guerre dans la bande de Gaza, le Hamas semble renforcer son statut de principal mouvement de résistance à Israël. En effet, s'appuyant sur sa victoire aux législatives de 2006 et sur sa prise de contrôle de Gaza en juin 2007, le « Mouvement de la résistance islamique » (harakat al-mouqawama al-islamiya) a réussi à s'imposer, notamment par la force, comme l'emblème de la cause palestinienne. C'est pourtant le même mouvement qui a été placé par l'Union européenne sur la liste des organisations terroristes et qui est accusé, principalement par Israël, de prendre en otage la population gazaouie pour servir une cause ontologiquement islamiste. C'est également le même mouvement qui est soupçonné d'utiliser dans sa propagande les thèses de l'antisémitisme du XIXe siècle et d'avoir tout tenté, au début des années 1990, pour contrecarrer les accords de paix d'Oslo.
Quel est alors le véritable visage du Hamas ? Pour qui et pourquoi combat-il ? Quel rapport a-t-il entretenu et continue-t-il d'entretenir avec Israël, l'Iran, la Syrie et l'Égypte ?
Depuis sa fondation en 1987, deux versions, a priori antagonistes, de la genèse du mouvement ont été diffusées. La première version le présente comme une création des services secrets israéliens visant à affaiblir les nationalistes et à diviser ainsi la résistance palestinienne. La seconde version décrit le Hamas comme une filiale des Frères musulmans, instrumentalisant la cause palestinienne au service de la maison mère.
À vrai dire, ces versions semblent toutes les deux incomplètes à l'aune de la trajectoire singulière de ce mouvement protéiforme. En effet, la complicité d'Israël est tout à fait exagérée même s'il a effectivement encouragé au départ l'alternative islamiste. À l'époque, le Hamas n'existait pas encore et l'ancêtre du mouvement islamiste, la Jamaa islamiya, prenait la forme d'un réseau associatif dirigé par cheikh Yassine et dont les membres étaient très présents sur le terrain. Dans un premier temps, Israël, par le biais de son gouverneur à Gaza, a favorisé l'émancipation de ce mouvement, mais ensuite, après avoir découvert un stock d'armes caché dans une mosquée administrée par l'association, il arrête cheikh Yassine et le condamne à treize ans de prison. La rupture entre Israël et le Hamas semble alors consommée. Cette présence sur le terrain, par le biais du système des réseaux associatifs des Frères musulmans, va lui permettre d'échapper à la tension extérieure/intérieure qui affaiblit considérablement le Fateh de Yasser Arafat et de devenir, à partir de la seconde moitié de la décennie 80, un véritable mouvement de résistance islamique complètement intégré à la population locale.
Toutefois, appréhender les rapports Fateh/Hamas à partir de la dualité nationaliste/islamiste ne semble pas être tout à fait pertinent pour au moins deux raisons. La première est que la majorité des chefs historiques du Fateh sont d'anciens membres de la confrérie et que même s'il s'en dissocie, le mouvement va émerger à partir de la matrice idéologique des Ikhwane. La seconde, c'est que le Hamas n'a pas toujours entretenu les meilleures relations avec les Frères musulmans d'Égypte, même s'il s'en défend aujourd'hui, et qu'il faudra attendre octobre 2011 pour qu'il rejoigne officiellement l'organisation internationale des Frères en ajoutant à son sigle la mention section des Ikhwane. En d'autres termes l'islamité du Hamas ne doit pas nécessairement amener à mésestimer son nationalisme et inversement en ce qui concerne le Fateh.
Ou bien, ou bien...
Si la relation du Hamas avec l'Iran a été formalisée par un accord en 1992, ce dernier s'engageant à lui verser 30 millions de dollars par an, les reconfigurations politiques à la suite du printemps arabe ont considérablement modifié son approche stratégique. Témoin de l'évolution de la guerre en Syrie, le Hamas, qui n'avait pas hésité à (se) féliciter et à récupérer la chute des régimes tunisiens et égyptiens, se trouvait dans une situation des plus compliquées.
Soit il dénonçait les atrocités commises par un régime allié de l'Iran qui l'avait toujours soutenu, soit il devenait, aux yeux du monde sunnite, un complice de la répression du régime alaouite. Le Hamas prit la décision de quitter Damas, qui abritait une partie de ses dirigeants et d'affermir son alliance, c'était le moment ou jamais, avec l'Égypte de Mohammad Morsi, fraîchement élu président et issu des Frères musulmans, et avec le Qatar, soutien inconditionnel de la confrérie.
De ce fait, le coup d'État mené contre M. Morsi en Égypte et la chasse aux Frères lancée par Abdel Fattah al-Sissi et soutenue par l'Arabie saoudite ont placé le Hamas dans une position extrêmement délicate. En effet, le mouvement ne pouvait plus s'appuyer ni sur ses alliés d'autrefois ni sur l'ouverture de la frontière avec son voisin égyptien, tout en étant toujours asphyxié par un blocus à Gaza et concurrencé par l'Organisation de libération de Palestine (OLP). De là à justifier la prise de risque d'une nouvelle guerre avec Israël, il n'y a qu'un pas.
Exactement comme le Hezbollah l'a fait en 2006, lorsqu'il a enlevé deux soldats israéliens, déclenchant ainsi la guerre de juillet de sinistre mémoire.
« Si j'avais su », avait dit quelques jours plus tard Hassan Nasrallah. Les dirigeants du Hamas auraient-ils eu le même réflexe ?
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