dimanche 27 avril 2014

Réconciliation aux dépens de la cause palestinienne

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Publié sur Al-Akhbar en anglais le 25 avril 2014. La version originale en arabe est ici.
S'il était si simple de parvenir à un accord de réconciliation nationale entre le Fatah et le Hamas comme cela a eu lieu en moins de 24 heures cette semaine, pourquoi les deux parties n'ont pas réussi à le faire ces sept dernières années ?
Paris : Pourquoi les nombreuses réunions, discussions et tentatives arabes de médiation de ces dernières années n'ont pas réussi à combler le fossé entre le Fatah et le Hamas, alors que le bref séjour d'une délégation représentant l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), envoyée par le président de l'Autorité Palestinienne (AP) Mahmoud Abbas dans la Bande de Gaza, a pu le faire sans aucune médiation ? Pourquoi l'Accord du Caire de 2011 et la Déclaration de Doha de 2012 ont échoué à l'époque, alors que la proclamation de la réconciliation se produit aujourd'hui, sur la base des conditions des deux accords précédents ?
Réconciliation aux dépens de la cause palestinienne
Gaza-ville, le 23 avril 2014, la photo de la réconciliation entre le Hamas et le Fatah. Au milieu des participants souriants et applaudissant, l'air accablé de Mahmoud al-Zahar (3ème en partant de la gauche), dirigeant du Hamas et partisan de la résistance, ne laisse rien présager de bon pour la cause palestinienne (Photo: AFP-Said Khatib)
Pourquoi les deux partis ont-ils accablé le peuple palestinien du fardeau de leur différend pendant tout ce temps s'ils étaient en mesure d'y mettre un terme ? La question la plus importante et vitale est : si le litige entre le Fatah et le Hamas était le résultat de leurs programmes nationaux et visions politiques discordants, comme ils le prétendent, cela veut-il dire qu'ils ont enfin réussi à élaborer un programme national commun ?
L'accord de réconciliation nationale qui a été annoncé prévoit clairement la formation d'un gouvernement technocratique composé de personnalités qualifiées dans les 5 semaines, des élections législatives et présidentielles 6 mois après et le renouvellement des institutions de l'OLP pour permettre au Hamas de rejoindre l'organisation.
Cela soulève une question évidente sur le programme national commun qui sera présenté aux Palestiniens d'abord, et à la communauté internationale ensuite. Les divergences fondamentales entre un parti qui voit la paix comme la seule voie pour parvenir à un Etat palestinien dans les frontières de 1967, et un autre qui croit en la résistance sous toutes ses formes comme voie pour libérer la Palestine historique ont-elles été résolues ? Ou bien un côté s'est-il plié à la stratégie de l'autre ?
Les déclarations faites par les deux partis indiquent que l'accord de réconciliation reconnaît les Accords d'Oslo comme cadre de l'AP, qui renouvellera ses institutions par des élections. Le responsable Fatah Azzam al-Ahmed a dit très clairement : "En tant que Palestiniens, nous acceptons à l'unanimité un Etat palestinien indépendant dans les frontières de 1967, la résolution du problème des réfugiés, la pleine souveraineté sur tout notre territoire et pas de reconnaissance d'Israël en tant qu'Etat juif." Saeb Erekat a précédé Ahmed en soulignant que "la réconciliation est nécessaire pour parvenir à la paix." Abbas lui-même n'a pas manqué l'occasion d'affirmer que "il n'y a pas de contradiction entre la réconciliation et les négociations." Les dirigeants du Hamas, d'autre part, ont parlé en termes généraux. Moussa Abu Marzouk, membre du bureau politique du Hamas, a dit : "Les Palestiniens sont les principaux partisans et sponsors de la fin de la division," soulignant que "l'occupation est le seul bénéficiaire de la fragmentation palestinienne." Il n'a pas nié que la mise en œuvre de cet accord rencontrera beaucoup de difficultés, mais il a insisté sur la nécessité de "secouer la poussière et tourner une nouvelle page en s'unissant et en allant de l'avant vers la réconciliation."
Mais Abu Marzouk doit nous dire comment il est possible d'aller de l'avant si son parti politique ne répond pas aux questions posées en 2006. Que va-t-il se passer si la communauté internationale impose au Hamas ses conditions antérieures ? Quelle est sa réponse à ce qu'a dit Ahmed sur l'unanimité palestinienne au sujet de la solution de deux Etats ? Pense-t-il avec Erekat que la réconciliation est la voie vers la paix ?
La clarté avec laquelle les dirigeants du Fatah ont confirmé leurs positions traditionnelles tandis que les dirigeants du Hamas étaient évasifs dans leurs réponses indique clairement que le Hamas est le maillon faible de cette réconciliation. Même si Abbas recourt à la réconciliation comme manœuvre après avoir échoué à obtenir du gouvernement de Benjamin Netanyahu le minimum de ses exigences, le Hamas a été contraint de s'y plier après avoir perdu les Frères musulmans - sa principale source de soutien - ainsi que la Syrie et l'Iran comme alliés, sans gagner le Qatar.
Cela signifie que les deux côtés ont eu recours à la dite réconciliation nationale pour améliorer leurs positions politiques, et non parce qu'elle va servir la cause palestinienne, comme ils le disent. Il est absolument impossible de servir cette cause en l'absence d'un accord clair et précis sur la nature des principes nationaux fondamentaux, et sur la façon de les atteindre, que ce soit par la résistance, par les négociations ou par un compromis entre les deux. On ne peut pas servir l'intérêt de la cause palestinienne quand une des parties s'est embourbée dans de vaines négociations pendant 20 ans et que l'autre adopte une position fluctuante en fonction des circonstances régionales et internationales, en appelant à la résistance mais en hésitant y recourir depuis 2006.
La réconciliation dont ils se vantent confirme une fois de plus que l'AP en tant qu'institution ayant les Accords d'Oslo comme cadre de référence est devenue un point de consensus entre tous les partis. Ils sont en désaccord sur leur part, mais ils ne sont pas en désaccord sur le fond, sinon quel est l'intérêt du Hamas de revenir à cette autorité par de nouvelles élections après avoir essayé cette voie avant, qui a prouvé sans l'ombre d'un doute que manœuvrer depuis l'intérieur de cette institution est une tâche impossible ? Si le parti a justifié sa participation aux élections de 2006 par la mort des Accords d'Oslo au cours de la Deuxième Intifada, quelle est leur justification, cette fois ? Comment Abbas peut-il menacer de remettre les clés de cette autorité au moment où il appellera demain le peuple palestinien à renouveler sa légitimité ?
Si Abbas avait lancé sérieusement cette menace, il aurait utilisé l'accord de réconciliation nationale comme une opportunité pour demander à toutes les parties palestiniennes de se lancer dans un atelier national ouvert visant à formuler des scénarios et des alternatives pour l'ère post-AP. Si le Hamas adhère encore à l'idée de la Palestine historique, il aurait refusé de participer à la réconciliation sur la base d'élections régies par les Accords d'Oslo.
Mais que toutes ces questions en suspens restent sans réponse, notamment venant du Hamas, indique que ce qui s'est passé hier dans la Bande de Gaza n'est pas autre chose qu'un spectacle, une forme d'adolescence politique et d'hypocrisie pratiquée par les dirigeants des deux partis contre le peuple palestinien. C'est aussi une question de partage d'intérêts, pas d'interruption de la scission. Mais même si nous convenons que cette réconciliation met vraiment fin à la division, alors c'est sans aucun doute au détriment de la cause palestinienne et de ses principes fondamentaux.
Note ISM-France : Sur le même thème, lire l'analyse d'Ali Abunimah (Electronic Intifada) traduite et mise en ligne par la CCIPPP : "Encore une « réconciliation » palestinienne mort-née"
Source : Al Akhbar
Traduction : MR pour ISM
http://www.ism-france.org