mercredi 2 avril 2014

J-​​P. Cha­gnollaud : « le chemin à par­courir entre Israé­liens et Pales­ti­niens reste long »

RFI, Anne Verdaguer, mercredi 2 avril 2014
Jean-​​Paul Cha­gnollaud, pro­fesseur des uni­ver­sités, directeur de l’Iremmo, Ins­titut de recherche et d’études médi­ter­ranée Moyen-​​Orient, est interrogé sur la récente décision du gou­ver­nement israélien de ne pas libérer un qua­trième et dernier contingent de pri­son­niers pales­ti­niens, comme cela a été prévu par l’accord signé dans le cadre des pour­parlers de paix.
RFI : Comment peut-​​on expliquer ce refus du côté israélien ?
Jean-​​Paul Cha­gnollaud : Je crois que ça fait partie de ces ten­sions, lorsqu’il y a des négo­cia­tions de longue durée. Et donc c’est un moyen de pression cer­tai­nement, de la part des Israé­liens. Mais je crois que c’est surtout focalisé sur le fait que la date butoir théo­rique de la fin de ces négo­cia­tions, en tout cas de la pre­mière phase qui devait conduire à un accord-​​cadre, se ter­minera le 29 avril.
Et mani­fes­tement on ne sera pas prêt et donc il y a une pression pour aller au-​​delà. Les Pales­ti­niens étaient assez réti­cents et par consé­quent cette volonté israé­lienne de ne pas – aujourd’hui en tout cas, parce que c’était prévu pour aujourd’hui – relâcher ces pri­son­niers, va dans ce sens-​​là. C’est-à-dire qu’on va finir par trouver un accord. D’autant plus qu’il n’est pas question de ne pas libérer ces pri­son­niers, mais sim­plement de dif­férer. Si on prend le texte officiel qui est sorti en Israël, il serait différé peut-​​être d’une quin­zaine de jours. Donc ça fait partie de cette négociation.
Y a-​​t-​​il eu des pré­cé­dents des enga­ge­ments dif­férés de la même manière par les Israéliens ?
Je pense que dans toute négo­ciation, il y a for­cément des actions de ce genre. Et les Israé­liens l’ont fait à plu­sieurs reprises. La grande question est de savoir si ensuite ça va être un obs­tacle majeur pour aboutir. Mais si on regarde les choses de plus près, il faut bien com­prendre que cette affaire est un incident important, certes, mais il y a tel­lement d’autres ques­tions beaucoup plus graves qui risquent d’empêcher ces négo­cia­tions d’aboutir, que fina­lement je pense qu’on va dépasser cet obs­tacle et on va en trouver d’autres qui sont beaucoup plus importants.
Où en est-​​on jus­tement, de ces dis­cus­sions de paix, après neuf mois de négo­cia­tions ? Elles arrivent à échéance fin avril…
Oui. C’est dif­ficile de savoir où elles en sont exac­tement parce que le principe même de ces négo­cia­tions, c’est qu’elles sont secrètes. John Kerry a encore dit il y a quelques jours, qu’il iro­nisait sur les gens qui font des pro­nostics parce qu’on ne sait pas vraiment quel est vraiment le contenu.
On ne sait pas et en même temps il y a des indi­ca­tions. C’est-à-dire qu’on a vu que tout récemment Mahmoud Abbas a été très cri­tique à l’égard de l’état d’avancement, en disant qu’on n’avançait pas du tout. Et puis du côté israélien, Neta­nyahou a rappelé la cen­tralité de la recon­nais­sance par les Pales­ti­niens du caractère juif d’Israël. Et ça, c’est évi­demment quelque chose que les Pales­ti­niens ne pourront pas accepter. Donc, on sent bien que pour le moment, d’après ce qu’on peut voir de l’extérieur, avec les décla­ra­tions des uns et des autres, on n’a pas beaucoup avancé.
Et le fait même que très pro­ba­blement le 29 avril ne sera pas cette date-​​butoir, montre bien qu’il y a encore énor­mément de chemin à faire. Kerry vient de dire il y a 48h qu’on allait sans doute repartir pour une nou­velle période de neuf mois. En tout cas, de plu­sieurs mois. Je vous rap­pelle que pour le 29 avril, il était question d’avoir un accord-​​cadre. Et dans la décla­ration de Kerry il y a quelques jours, il a dit que nous avons mis – je cite ce qu’il a dit – nous avons mis sept mois pour com­prendre les posi­tions des uns et des autres. C’est vous dire que le chemin à par­courir est encore extrê­mement long.
Ce contre­temps dans les pour­parlers, si l’on peut appeler cela un contre­temps, est-​​il aussi la marque d’un échec quelque part, de la diplo­matie américaine ?
Je pense que la diplo­matie amé­ri­caine joue beaucoup dans cette affaire, parce qu’elle a perdu beaucoup en cré­di­bilité par rapport à ce qui s’est passé en Irak, par rapport à ce qui va se passer en Afgha­nistan. Puisque vous savez, les troupes amé­ri­caines doivent se retirer d’Afghanistan dans quelques mois, à la fin de l’année.
En Syrie, on a vu la volte-​​face – l’hésitation d’abord et la volte-​​face ensuite – d’Obama. Donc il s’est trouvé dans une position de grande fra­gilité où il a perdu énor­mément de cré­di­bilité, surtout si on compare avec son dis­cours au Caire en juin 2009, où il avait eu une rupture avec ce qu’avait pu faire Bush. Donc, on est dans cette posture où fina­lement la question israélo-​​palestinienne pour l’administration amé­ri­caine devient extrê­mement impor­tante. Donc, c’est sûr qu’ils ont tout intérêt à essayer d’avancer.
Et en même temps, quand on fait l’analyse des obs­tacles du côté pales­tinien et surtout du côté israélien, on se dit que vraiment les chances sont faibles. On ne peut pas du tout anti­ciper le pire. Il faut laisser tou­jours une porte ouverte à l’espoir. Mais la réité­ration, par exemple, de la cen­tralité de l’État juif, ou bien encore tout récemment, c’était la semaine der­nière, Lie­berman, le ministre des Affaires étran­gères, a énoncé un plan de transfert des Arabes israé­liens dans un éventuel État pales­tinien. De telles décla­ra­tions ne peuvent que durcir le climat qui est de toute façon struc­tu­rel­lement difficile.
Il y a peut-​​être une autre carte impor­tante dans ce jeu des dis­cus­sions entre Israé­liens et Pales­ti­niens. C’est celle de la libé­ration de Jonathan Pollard. Est-​​ce que vous pensez que ça peut jouer dans l’avancement des discussions ?
On peut l’interpréter de dif­fé­rentes façons. Et d’abord ce n’est pas fait. Il est question de le faire, on envisage de le faire mais ce n’est pas fait. En tout cas, pas à ce jour. Cet espion qui tra­vaillait pour les Israé­liens et qui est condamné à per­pé­tuité, sa libé­ration serait un geste vis-​​à-​​vis de Neta­nyahou qui l’a réclamée. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. C’est presque anec­do­tique quand on le rap­porte à l’ensemble du dossier israélo-​​palestinien.
Donc, peut-​​être que ce sera, peut-​​être que ce ne sera pas… Mais fran­chement, je ne crois pas que ce soit important, sauf éven­tuel­lement pour faire avancer la négo­ciation juste dans les jours qui viennent. Ce serait un élément de pression pour les Amé­ri­cains. Mais je vous répète, il faut revenir à l’essentiel. Et l’essentiel c’est : où en est-​​on vraiment ? Est-​​ce qu’on a avancé ? Par exemple, on sait qu’on a avancé sur la question du Jourdain, sur la question que les Israé­liens veulent garder toute la vallée du Jourdain. Donc on est tout de même, d’après ce qu’on peut savoir, dans une situation extrê­mement tendue. Et c’est ça, la vraie question. C’est-à-dire, où on en est vraiment. Le reste, c’est quelque part un peu anecdotique.