samedi 2 juillet 2011

Israël doit renoncer à son intransigeance politique

01.07.11
Le Moyen-Orient change. Israël, frappé de stupeur, se fige dans une attitude de repli. Il est clair que le "printemps arabe" qui affecte tous ses voisins représente une nouvelle donne pour l'Etat juif. Son opinion publique s'en inquiète, mais, du côté du gouvernement, l'immobilisme prévaut. En effet, à l'ordre des régimes autocratiques succèdent des mouvements qui, selon cette opinion, pourraient déboucher sur un chaos, voire sur la formation de gouvernements contrôlés par des mouvements islamistes radicaux. Ces craintes sont sans doute excessives, mais il est probable que la mise en place de gouvernements démocratiques conduira les pays arabes à promouvoir des politiques plus fermes et plus exigeantes à l'égard d'Israël.
On sent déjà une inflexion de la part des Egyptiens qui, par la voix du nouveau ministre des affaires étrangères, entendent développer à l'égard d'Israël une politique étrangère qui ne remet pas en cause la "paix froide" des accords de Camp David, mais sera plus soucieuse de refléter les sentiments d'une population restée fondamentalement hostile à Israël. S'agissant des Palestiniens, les mouvements constatés ont été pour l'instant limités, mais, à l'image des autres peuples arabes, ils ne peuvent qu'affirmer plus vigoureusement leurs aspirations démocratiques.
Dans ce contexte, le premier enjeu est, pour les Palestiniens, d'affirmer leur unité. La population a manifesté nettement son aspiration à mettre fin aux divisions et aux affrontements entre les différents mouvements. L'évolution du Hamas, inquiet de la situation en Syrie, et l'engagement efficace des nouvelles autorités égyptiennes ont conduit à l'accord du Caire conclu le 27 avril avec le Fatah. Le processus de mise en oeuvre est en cours avec le choix d'un premier ministre qui serait Mohamed Mostafa, président du Fonds palestinien pour l'investissement. Il reste encore à former un gouvernement chargé d'organiser les futures élections.
Le deuxième enjeu est celui de la création d'un Etat palestinien viable, ayant tous les attributs de la souveraineté. Comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale l'ont reconnu, toutes les conditions techniques sont maintenant réunies grâce notamment au succès de la politique menée par le premier ministre, Salam Fayyad. Or le temps presse : sur le terrain, un tel Etat est en train de "s'évaporer". Si l'on additionne les terres se trouvant entre le mur de séparation et la frontière de 1967, les emprises des colonies et des routes réservées aux colons et la vallée du Jourdain que l'armée israélienne veut conserver sous contrôle pour des raisons de sécurité, cet Etat disposera d'un territoire réduit, avec une surface de l'ordre de 2 500 km², soit la moitié d'un département français moyen.
Faute de perspectives sérieuses de négociations et malgré les réticences de son premier ministre, Mahmoud Abbas s'est engagé sur la voie de la reconnaissance d'un Etat palestinien. Le Comité exécutif de l'OLP vient de trancher en décidant de saisir la prochaine Assemblée générale des Nations unies d'une demande de reconnaissance de l'Etat palestinien et de son adhésion comme membre de l'organisation. Cent treize Etats l'ont déjà reconnu et il est probable que l'Assemblée générale se prononcera à une large majorité, même si, en définitive, le Conseil de sécurité ne pourra entériner cette adhésion en raison du veto américain.
Pour Israël, quels sont les enjeux ? Il s'agit d'abord de préserver sa sécurité. Après la vague d'attentats-suicides du début des années 2000, Israël vit maintenant en sécurité, ponctuée de quelques rares cas de violence. Les tirs sporadiques à partir de Gaza ont cessé. Cependant, la possibilité de nouvelles formes d'action existe, par exemple des manifestations spontanées et massives, comme celles qu'ont connues les pays arabes voisins.
Une première alerte a eu lieu au moment de la célébration de la Nakba ("catastrophe", expulsion des Palestiniens en 1948) marquée par des mouvements d'une ampleur nouvelle. Tsahal, d'abord prise au dépourvu, a réagi et se prépare à ce type de manifestations, dont l'enchaînement pourrait conduire à une troisième Intifada. De même on ne peut exclure un "printemps arabe" lancé à l'initiative des Arabes israéliens eux-mêmes.
L'enjeu est aussi diplomatique. Il s'agit tout d'abord d'éviter dans la conjoncture trop incertaine de s'engager dans de véritables négociations, comme en témoigne le discours de M. Nétanyahou au Congrès. Celui-ci a affiché des bases de discussion inacceptables pour l'Autorité palestinienne. Il s'agit d'une énumération de refus : refus des frontières de 1967, du droit au retour, de l'arrêt des constructions de colonies, du partage de Jérusalem comme capitale, etc. Certes, M. Nétanyahou se déclare favorable à la création d'un Etat palestinien, mais les conditions de création de cet Etat sont telles qu'elles le réduiraient à une sorte de bantoustan.
Réagissant vivement à l'accord avec le Hamas, il a d'ailleurs exclu de négocier avec le gouvernement qui pourrait en résulter. Ce discours signifie aussi un refus de s'engager sur les bases proposées par le président Barack Obama, pourtant très favorables à Israël. Il existe cependant un risque de tsunami diplomatique. Même avec un veto américain au Conseil de sécurité, un vote de l'Assemblée générale, à une forte majorité comprenant notamment des pays européens, ferait apparaître l'ampleur de l'isolement diplomatique d'Israël.
Enfin, l'enjeu est politique. A l'évidence, le discours prononcé devant le Congrès a été pour M. Nétanyahou bénéfique en termes de politique intérieure. L'opposition a du mal à se positionner. Les sondages marquent une nette augmentation de la popularité du premier ministre.
L'enjeu ne serait-il pas en définitive de laisser le fait accompli se poursuivre ? A cet égard, en se référant à la "terre de nos ancêtres" et en faisant observer qu'"en Judée-Samarie (la Cisjordanie), le peuple juif n'est pas un occupant", ce discours apparaît comme exprimant la volonté de maintenir un contrôle sur l'essentiel de la Cisjordanie. Ces propos restent dans la continuité de la politique du fait accompli menée avec succès depuis de nombreuses années par Israël, et qui a contribué à installer dans les territoires occupés plus de 400 000 colons depuis les accords d'Oslo.
Dans un Moyen-Orient en effervescence, la raison voudrait qu'Israël exploite la "fenêtre d'opportunité" et montre sa volonté de s'intégrer dans un Moyen-Orient qui aspire à la démocratie. L'option choisie jusqu'à maintenant fait craindre que les perspectives de création d'un Etat palestinien ne soient compromises. Il est pourtant sûr que seule la création d'un tel Etat assurerait à terme la sécurité d'Israël. Ce constat rend impérative une initiative de la communauté internationale avant qu'il ne soit trop tard.
Denis Bauchard, conseiller à l'Institut français des relations internationales (IFRI)Lien