lundi 25 avril 2011

Une nouvelle nakba ?

Mya Guarnieri
Counterpunch
Ayant remplacé ces autres « autres » - les Palestiniens -, les travailleurs étrangers et leurs enfants sont devenus le nouveau champ de bataille du nationalisme israélien.
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Cet enfant tient une pancarte qui dit, à gauche : « Oh, mon pays, ma patrie ». Et à droite : « Bibi (Netanyahu) ne mérite pas d’Oscar », en référence au film documentaire lauréat d’un Oscar, sur une école dans le sud de Tel Aviv, où la star est menacée d’expulsion.
Photo : Mya Guarnieri
Il y a quelques semaines, les autorités israéliennes ont arrêté M., une femme enceinte, et son fils de trois ans, né israélien. Cette petite famille - sans le père qui a déjà été expulsé plusieurs mois auparavant - a été mise en détention un court moment puis expulsée du pays.
Mais ne sortez pas tout de suite vos drapeaux palestiniens. Il s’agit d’une famille de travailleurs migrants.
Le père est thaïlandais ; la mère, philippine. Tous deux sont arrivés en Israël, très légalement, avec des visas de travail de l’État. Ils se sont rencontrés ici, et ils sont tombés amoureux. Et voilà comment ils sont devenus « illégaux ».
Le père a été privé de son visa à cause d’une politique israélienne qui interdit les relations sentimentales entre travailleurs migrants (lire : non juifs). La mère a perdu son statut légal à cause d’une politique gouvernementale qui oblige les femmes à choisir entre leur visa et leur bébé. M. a fait le choix qu’auraient fait la plupart des femmes - après avoir donné la vie à leur enfant -, elle a refusé d’envoyer son enfant vivre avec une famille nombreuse dans un pays lointain. C’est ainsi qu’elle est devenue « illégale », avec son petit.
Une semaine environ après que M. et son bébé aient été expulsés, la Haute Cour israélienne casse cette politique gouvernementale (soulignant dans son arrêt qu’elle est effectivement contraire à la législation du travail de l’État). Si les futures familles vont peut-être être épargnées, les expulsions en cours où quelque 500 enfants vont être refoulés hors du pays, avec leurs parents, ont déjà commencé. Et, jusqu’à présent, rien ne montre que l’arrêt de la Haute Cour sera applicable rétroactivement. (Étant donné la tendance de l’État à ignorer les décisions des tribunaux qui penchent à gauche - notamment la décision de 2007 demandant de rectifier le tracé de la clôture de séparation qui coupe en deux le village palestinien de Bil’in, en Cisjordanie -, on peut se demander si la politique sera effectivement modifiée.)
Et donc, les déportations se poursuivent - une famille à la fois - au nom de la préservation d’un État « juif et démocratique ».
Au premier abord, les travailleurs migrants peuvent sembler n’avoir aucun lien avec la lutte palestinienne. Mais les travailleurs migrants ont été introduits en Israël pendant la Première Intifada pour remplacer les travailleurs journaliers palestiniens venant des territoires occupés. Même si le siège de Gaza est souvent considéré comme ayant commencé soudainement en 2006, il est la manifestation la plus grave d’un bouclage progressif que les Israéliens ont commencé lors de la Première Intifada. Bien que la résistance palestinienne à l’occupation ait été à l’époque, et de façon générale, non violente, ce bouclage graduel incluait des restrictions aux déplacements. Dans certains cas, il empêchait les travailleurs palestiniens d’arriver sur leurs lieux de travail - pour des emplois sous-payés dont ne voulaient pas les Israéliens, et qui sont aujourd’hui occupés par des travailleurs migrants.
Ayant remplacé ces autres « autres » - les Palestiniens -, les travailleurs étrangers et leurs enfants sont devenus le nouveau champ de bataille du nationalisme israélien. Le ministre de l’Intérieur, Eli Yishai, a qualifié ces enfants de « menace démographique... susceptible de nuire à l’identité juive de l’État ». Alors qu’il était ministre des Finances, Benjamin Netanyahu a dit des citoyens palestiniens d’Israël qu’ils étaient un « problème démographique ». Et une fois Premier ministre, Netanyahu a étendu cette rhétorique raciste aux étrangers non juifs en général, regroupant les demandeurs d’asile africains et les travailleurs migrants sans papiers dans un même groupe représentant « une menace concrète pour le caractère juif et démocratique du pays ».
Mais le nationalisme avance dans les deux sens. Et ceux qui s’opposent aux expulsions tendent aussi à fourbir leurs arguments en des termes patriotiques.
Le mouvement Enfants israéliens est le plus important mouvement populaire créé en réaction à ces expulsions planifiées, il comprenait au départ 1200 enfants et il s’est déclaré durant l’été 2009 (la même année où Israël délivrait un nombre record de visas pour faire venir de nouveaux travailleurs migrants). Comme son nom l’indique, les dirigeants et militants du mouvement mettent l’accent sur la façon dont ces gosses, on ne peut plus israéliens, risquent d’être expulsés.
En mai dernier, un grand rassemblement contre les expulsions s’est tenu sous une banderole bleue et blanche qui disait, « Nous n’avons pas d’autre pays ». Un peaufinage du titre d’une chanson populaire israélienne bien connue, « Je n’ai pas d’autre pays ». L’initiative a attiré plus de 10 000 sympathisants.
Mais le mouvement contre les expulsions a été victime de son propre succès.
En août 2010, le cabinet israélien a voté, sur des critères arbitraires, une décision qui permettra à la plupart des enfants en âge scolaire d’être naturalisés. Autrement dit, ces 700 gosses ont été considérés suffisamment israéliens pour pouvoir rester. Mais oubliés les droits humains pour les plus petits (et pour les plus grands qui sont déjà diplômés des écoles israéliennes).
Maintenant, alors que les expulsions sont en cours, Enfants israéliens se bat pour attirer l’attention des médias sur cette question.
« Quand les gens sont contre les expulsions, ils imaginent toujours un enfant de dix ans, parlant hébreu et allant dans une école israélienne » dit Rotem Ilan, cofondatrice d’Enfants israéliens. « Quand il est question d’un enfant de 3 ans, alors ils ne le voient plus de la même façon... »
« Quand nous parlons d’enfants plus jeunes, nous, nous parlons de droits humains fondamentaux », ajoute-t-elle, « (je ne peux pas) dire qu’un enfant d’un an soit un Israélien. Et pourtant, je ne crois pas que cet enfant doive être mis en prison ».
Le succès du mouvement et, aujourd’hui, son échec, semblent montrer que la question opposant l’État « juif et démocratique » aux droits de l’homme, est vidée de sa substance, purement et simplement.



Avec des amis et collègues, j’ai parlé avec colère de ces expulsions, comme d’une nouvelle nakba. Mot arabe pour catastrophe, ce mot évoque la dépossession qui s’est abattue sur des centaines de milliers de Palestiniens quand Israël a été créé en 1948. Comme mes amis et collègues ont tenu à me le rappeler, parler de nakba à propos des expulsions en cours est une erreur, cela retire au mot toute sa force.
Mais il nous faut un mot. Quelque chose doit être dit sur un État qui fait venir des travailleurs migrants non juifs et qui, niant leur droit humain fondamental à l’amour et à faire l’amour, les traite guère mieux que des machines. Quelque chose doit être dit sur un État qui, il y a quelque soixante ans, a traité des êtres humains comme des objets pour les refouler hors de ses frontières nouvellement fixées, et continue encore aujourd’hui. Quelque chose doit être dit sur un État qui arrête et expulse des enfants dont le seul « crime » est d’être nés d’une mère non juive.
(JPG) Mya Guarnari est journaliste indépendante, basée à Tel Aviv. Elle écrit régulièrement pour The Huffington Post et The Jerusalem Post. Ses articles sont publiés en anglais notamment sur Al Jazeera, The National (Abu Dhabi), Ha’aretz, Electronic Intifada, The Jewish Daily Forward, Maan News Agency, Mondoweiss... Elle possède une maîtrise des Beaux-Arts de l’université d’État de Floride.
Elle peut être contactée par courriel : myaguarnieri@gmail.com
Son site : Mya Guarnieri
22 avril 2011 - Mya Guarnieri - Counterpunch - traduction : JPP
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