lundi 25 avril 2011

Nabi Saleh : La lutte d'un village minuscule contre l'occupation (vidéo de la manifestation de vendredi 22)

Nabi Saleh - 23 avril 2011
Par Idan Landau
Idan Landau est linguiste à l'université Beer-Sheba. Ce post est initialement paru en hébreu sur son blog. Il a été traduit en anglais par Dena Sunra et publié sur +972 avec l'autorisation de l'auteur.
En à peine une année de manifestations non armées à Nabi Saleh, petite communauté palestinienne de Cisjordanie, 155 des 500 habitants du village ont été blessés (dont une soixantaine d'enfants), 35 maisons ont été endommagées et des dizaines de villageois ont été détenus. Pourtant, même après que l'armée ait mis son leader derrière les barreaux, la lutte pour la terre de Nabi Saleh continue.
Nabi Saleh : La lutte d'un village minuscule contre l'occupation (vidéo de la manifestation de vendredi 22)
Nabi Saleh, 8 avril 2011 (photo Tamimi Press)
Ce qu'on voit sur cette photo : un chargeur attaché à un fusil d'assaut Tavor, et un crâne humain, attaché à un cou. Le fusil est à la verticale, le cou à l'horizontale. On peut dire qu'il y a contact.
Dans le chargeur : 12 à 16 boules de métal recouvertes de caoutchouc. Dans le crâne : du tissu cervical doux et gris. Des pensées et des souvenirs. Une âme.
L'objectif de l'arme : disperser des manifestations à une distance minimum de 40 mètres. L'objectif du cerveau : vivre. Pour se souvenir de tels moments.
La balle caoutchouc-acier traversera-t-elle ce cerveau ? Probablement pas. Cependant, cette pensée va sans aucun doute traverser l'esprit de cette homme. On peut dire que c'est en fait ce qui se passe au moment où la photo est prise. Est-ce que la pression du chargeur sur la tête de l'homme étendu au sol constitue "la dispersion de manifestations" à une distance minimale de 40 mètres ?
Peu importe. Ici, ce n'est pas la question. Le but ici est de semer la peur et la terreur, une terreur émotionnelle.
La photo a-t-elle été prise hors contexte ? Le manifestant avait-il "provoqué" les soldats, peut-être en jetant des pierres ? C'est une question fallacieuse. Comme si la "provocation" et les jets de pierres n'avaient pas de contexte ; comme si ils ne se produisaient pas en fonction d'un contexte fondamental, inchangé, de l'occupation et de la dépossession. Que vient foutre un soldat israélien sur une terre palestinienne ? Pourquoi protège-t-il une colonie illégale qui vole ses voisins palestiniens, et comment peut-il même espérer que le Palestinien se contente de rester assis, à ne rien faire, lorsqu'il est confronté à une conduite aussi révoltante ?
Cela pourrait être la fin de cet article. Pour ceux qui connaissent quelque chose aux événements de Nabi Saleh, c'est tout à fait suffisant. Mais tout le monde ne sait pas, et que peut-on même réellement comprendre de ce titre laconique qui apparaît de façon routinière sur les sites d'information en hébreu, tous les vendredis, "Émeutes à Nabi Saleh" ? Il faut donc en dire plus. Pour que chaque citoyen israélien sache ce qui est fait en son nom, toutes les semaines, depuis 15 mois maintenant.
Les confrontations à Nabi Saleh, au cours de la dernière année, sont considérées comme les plus violentes en Cisjordanie . En dépit du fat que le côté palestinien adhère à une forme de protestation populaire non violente, avec la participation de femmes et d'enfants, l'armée israélienne y a battu plusieurs records de brutalité.
En mars 2010, Ihab Barghoutti, 14 ans, a été blessé par une balle caoutchouc-acier pendant une manifestation. La balle l'a frappé à la tête et il est entré dans le coma. Sur les 500 habitants du village, 155 ont été blessés depuis le début des manifestations, soit environ 30% de la population ; sur ces 155 personnes, une soixantaine était des enfants. 35 maisons ont été endommagées par les tirs des armes de dispersion des manifestations. Des incendies ont éclaté dans sept d'entre elles. Selon les témoignages des manifestants, l'armée israélienne leur a tiré dessus à balles réelles, là aussi en violation du droit.
Disons-le clairement : jeter des pierres sur une armée d'occupation qui vous empêche de manifester sur votre propre terre ne constitue pas une "protestation violente". C'est la réponse attendue à quelqu'un qui non seulement vole votre terre mais nie aussi votre droit basique à protester contre ce vol. Si l'armée cesse d'agir contre les habitants de Nabi Saleh et fout le camp de ses terres, personne ne jettera de pierres contre elle.
Les habitants de Nabi Saleh n'essaient pas de s'approcher de la colonie voisine de Halamish et ils ne mettent pas la vie des colons en danger. Ils persistent, tous les vendredis, à manifester près d'une source qui leur a été volée.
Photo
Un soldat israélien fait une petite sieste à la source de Nabi Saleh (photo Alison Avigayil Ramer)
L'armée n'attend même pas que les manifestants soient sortis du village. Elle va dans le village et commence à tirer sur tout ce qui bouge - des balles caoutchouc-acier, des grenades lacrymogènes et autres. Quelquefois, elle asperge toutes les rues d'une eau putride : les maisons, les fenêtres, l'eau potable stockée sur les toits. C'est non seulement une punition collective, mais cette pratique révèle qui est le véritable provocateur : les habitants du village, qui manifestent sans menacer aucun Israélien ? Ou l'armée, qui envahit leurs rues ?
Comme à Bil'in et à Silwan, l'armée israélienne essaie de couper la tête de la protestation populaire par des arrestations (est-ce que ça a changé quelque chose à Bil'in et à Silwan ? Non. L'armée en a-t-elle tiré une leçon ? Non plus). Le leader des protestations de Nabi Saleh, Bassem Tamimi, a été arrêté il y a un mois (dans les années 90, il a été torturé par les services de sécurité intérieure israéliens, le Shabak, à la suite de quoi il est resté paralysé pendant un mois). Comme Abdallah Abu Rahme à Bi'lin, son sens moral est infiniment plus élevé que celui de l'armée qui l'a arrêté.
Voici ce qu'il dit :
"Nous voulons offrir à notre peuple un exemple et un cadre de lutte populaire. Depuis le début de la révolution (la création de l'OLP) et de la lutte armée, nous avons accumulé les erreurs, et Israël les a exploitées contre nous, bien qu'elles n'aient été que de simples réponses à l'oppression israélienne. Nous n'avons pas de réponse militaire à opposer à Israël. L'histoire nous enseigne que si nous avons eu des succès partiels, ce fut grâce aux soulèvements populaires, en 1936 et en 1987. C'est par la lutte populaire que nous pouvons prouver à tout le monde notre supériorité morale."
Des gens avec des idées aussi dangereuses doivent être mis derrière les verrous.
La vague d'arrestations à Nabi Saleh est caractérisée par l'éradication de toute différence entre les adultes et les mineurs. Depuis le début des protestations, il y a plus d'un an, au moins 60 villageois ont été arrêtés et emprisonnés (soit environ 13% de la population). 29 d'entre eux étaient mineurs. Pour s'éviter, semble-t-il, l'effort physique de courir après les manifestants, l'armée d'Israël a développé une nouvelle méthode originale : les forces armées envahissent le village de nuit, réveillent les garçons pendant leur sommeil et les photographient.
C'est comme ça qu'ils alimentent une base de données qui sert aux futures arrestations - et au diable les droits civils et la présomption d'innocence. Plus tard, les témoignages extorqués aux mineurs, en violation du droit, sans la présence de leurs parents ou d'un avocat, et en les privant de sommeil, sont utilisés pour incriminer les activistes du village.
Imaginez un jeune israélien de 14 ans, arraché à sa maison, sans la présence de ses parents, et interrogé pendant sept heures d'affilée sur les jets de pierre. Imaginez-le, mis en détention pendant deux mois et demi, imaginez qu'il y ait un droit pour vous - et un autre pour lui.
Depuis des années, les colons convoitent les sources de Cisjordanie . Il faut noter que la plupart d'entre elles ne sont pas naturelles. Elles ont été creusées dans le cadre d'un système d'irrigation, de bassins et de canalisations qui sert les populations palestiniennes. Les colons se sont déjà emparés d'environ 25 de ces sources, pendant que l'Administration civile ignore leurs actions.
En 2008, les colons d'Halamish sont descendus à la source Ein al-Kous, y ont placé des tabernacles et des bancs, y ont peint des étoiles de David et l'ont "convertie" au judaïsme : ils l'appellent maintenant Ma'ayan Meir, pour Meir Segal, l'un des fondateurs de Neve Tzoof, l'ancien nom de Halasmish (c'est toujours une bonne idée de transformer un avant-poste ou une source en lieu de commémoration ; c'est beaucoup plus dur, d'un point de vue politique, de les rendre). L’Administration civile a été convoquée pour renforcer le contrôle juif en affichant une pancarte interdisant l'entrée à un "Site d'antiquités". En d'autres termes, c'était une magouille pour empêcher que les Arabes n'y aillent. Et bien sûr, la main d'un colon a bientôt interprété le texte original et a ajouté : "Interdit aux Arabes".
Ein al-Kous a toujours fait partie de l'héritage des habitants de Nabi Saleh et du village voisin de Deir Nazzam, et servait à donner à boire au bétail. En janvier 2010, les résidents ont présenté les documents attestant de leur propriété à l'Administration civile et depuis - elle n'est pas pressée - les documents sont sous "examen juridique". Entretemps, depuis plus d'un an, les colons et l'armée se comportent comme si la question de la propriété avait été tranchée en leur faveur. Et ils ont bien sûr raison. Les contorsions légalistes sont destinées aux yeux étrangers. Les Palestiniens sont encore et toujours des "infiltrés" sur leur propre terre. Et même si nous faisions la supposition que la question de la propriété de la terre n'est pas "légalement réglée", comment la source est-elle devenue interdite aux Palestiniens mais permise aux Juifs ?
Il est temps maintenant de rédiger la nécessaire note qui est toujours absente des articles sur les "émeutes" dans les territoires occupés : Halamish elle-même est une merveille d'illégalité. D'abord, elle a été construite en territoire occupé, en violation du droit international. Deuxièmement, elle a été créée par un ordre militaire d'appropriation et a été de façon trompeuse convertie en colonie civile. Troisièmement, une grande partie a été construite sans plans ni permis, sachant qu'elle serait rétroactivement autorisée par des canaux légaux. Dans la confrontation entre les habitants d'Halamish et ceux de Nabi Saleh, l'armée israélienne défend les hors-la-loi.
Les gouvernements d'Israël, les uns après les autres, se sont spécialisés dans les mensonges flagrants au public. Une méthode particulièrement efficace fut de dissimuler la voracité expansionniste coloniale derrière des excuses militaires. Par exemple, la décision du gouvernement datée du 2 octobre 1977 qui établit Neve Tzoof/Halamish est formulée ainsi : "Le gouvernement enregistre la décision du Comité ministériel pour les colonies datée du 17 Tishrei 5738 (29 septembre 1977). Les colons peupleront les camps de l'armée en Samaraia [sic] et seront employés selon les besoins de l'armée en tant que travailleurs au service de l'armée. Le gouvernement autorise le déploiement des premiers noyaux de colonies dans le Camp de Samarie, aujourd'hui."
"Travailleurs au service de l'armée." Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ? Que l'armée travaille à leur service. Quelle différence ? Aucune.
Ceci aussi est la raison des mesures particulièrement dures prises par l'armée contre les manifestants de Nabi Saleh, contrairement à d'autres endroits de Cisjordanie . Les manifestations de Nabi Saleh ne menacent pas le mur de séparation (d'apartheid, ndt) mais un territoire que les colons occupent. L'armée joue le rôle de milice pour que les Juifs conservent les terres ; elle perçoit les protestations comme étant dirigée contre elle car il n'y a pas de réelle différence entre les intérêts des colons et ceux des soldats qui les gardent. Sans parler de la présence d'un militaire haut-gradé dans la colonie Halamish - le lieutenant-colonel de réserve Itzik Shadmi, président du Comité des colons Binyamin, un homme dont les opinions se situent entre le rabbin d'extrême-droite Dov Wolfa et l'homme de Kahane, Baruch Marzel.
L'armée israélienne perdra. Les colons perdront, Israël perdra. Sur le chemin de cette perte, ils auront blessé et déplacé un nombre incalculable de Palestiniens, mais à la fin, ils perdront. Et ils perdront parce qu'ils ne comprennent pas à quoi ils ont affaire, en dépit du fait que ce soit sous leur nez, qu'ils l'ont devant les yeux (comme vous pouvez le voir dans la vidéo étonnante ci-dessous). Quelquefois, il faut faire un effort énorme, surhumain, pour voir qu'il y a un être humain en face de vous. Et ensuite, il vous faut un autre effort, tout aussi important que le précédent, pour voir que ce que vous lui demandez d'abandonner - contrairement à ce que vous devez abandonner - est la reconnaissance de sa propre valeur en tant qu'être humain.
Et ça, il n'y renoncera pas.
Manifestation du vendredi 22 avril
Source : + 972
Traduction : MR pour ISM
Lien