samedi 27 novembre 2010

Les bonnes raisons de Sarkozy de veiller à la sécurité d’Israël

publié le vendredi 26 novembre 2010
Mohamed Bouhamidi

 
Des analyses ont " souligné aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis qu’à un moment donné les appétits sionistes pour la terre allaient contrarier les intérêts généraux des grandes puissances occidentales dans le monde arabe".
Le projet de l’Union pour la Méditerranée (UPM) touche de près notre pays et le président Sarkozy vient d’exprimer son attachement à cette idée. Il l’a rappelé devant/et à l’occasion du quarantième anniversaire de la Chambre de commerce franco-arabe. Il faut reconnaître que cette chambre est bien discrète et que, sans l’intervention du Président, elle aurait fêté son anniversaire dans la quiétude médiatique. Aucune autre information n’est venue vanter le bilan de cette certainement honorable institution.
Le contexte général de crise qui ébranle le système financier européen et les difficultés économiques actuelles donnent pourtant à l’initiative du président Sarkozy quelque intérêt supérieur aux obligations protocolaires. Nous n’allons pas chicaner sur la nature ni la profondeur de cette crise mais les conséquences sont bien différentes selon qu’elle soit une crise passagère du système bancaire ou une crise globale du système capitaliste. Nous en aurons le cœur net bien assez tôt avec les effets qu’auront les réajustements en Grèce et en Irlande et les austérités préventives de l’Espagne, de l’Italie et de la France.
Le thème général et le contenu du discours – les relations franco-arabes – du président Sarkozy nous livrent une des clés de son intérêt pour cette institution et pour sa vocation à encourager le commerce. Il a noté que le blocage du processus de paix « empêche non seulement deux peuples, le peuple israélien et le peuple palestinien, de vivre normalement, côte à côte, en paix et en sécurité mais de surcroît il freine les efforts de développement de toute une région… La paix, ce n’est pas uniquement l’absence de conflit mais une condition pour le progrès économique et social, qui est lui-même déterminant pour lutter contre l’extrémisme. C’est un ensemble ». Cette idée que le conflit israélo-palestinien plombe les perspectives de la région ne s’exprime pas pour la première fois. D’autres analyses avaient souligné aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis qu’à un moment donné les appétits sionistes pour la terre allaient contrarier les intérêts généraux des grandes puissances occidentales dans le monde arabe.
Nous serions dans une sorte de redite de l’affaire algérienne dans laquelle la défense aveugle des intérêts de huit mille gros et moyens colons avaient entraîné la perte tout à la fois d’un million de pieds-noirs et de territoires essentiels au statut de grande puissance de la France s’ils lui étaient restés associés. Ce modèle algérien restera pour longtemps un étalon de l’échec ou de la réussite coloniale. Malgré tout, l’échec du modèle colonial français en Algérie restera lié à l’incapacité de la France ou à l’impossibilité de réaliser l’extermination du peuple algérien (si vous ne l’avez pas fait, lisez vite le livre d’Olivier Lecour Grandmaison : Coloniser, exterminer) ou de réussir le nettoyage ethnique des zones de colonisation en repoussant les populations indigènes vers les terres désertiques ou semi-désertiques du Sud algérien.
Quand le passé colonisateur refait surface
La réalité historique est que cette contradiction entre les intérêts particuliers des gros colons et les intérêts généraux de la France et des petits pieds-noirs est apparue lorsque la résistance du peuple algérien a surmonté les épreuves de la guerre totale commencée par Mitterrand et Guy Mollet et poursuivie par de Gaulle- notamment à partir des manifestations de décembre 1960 qui ont ruiné tous les espoirs d’un renoncement à l’idée d’indépendance. La conscience de cette contradiction n’était pas totalement absente avant ces manifestations de décembre 1960 ou juste après le 1er Novembre. Elle n’était pas la conscience des acteurs politiques et n’avait donc pas de poids. Elle était totalement absente de la conscience pied-noir qui ne s’est même pas interrogée non sur l’injustice du code de l’indigénat et du statut d’inférieurs des indigènes – c’était trop demander à leur racisme – mais sur la possibilité éternelle du maintien permanent des indigènes à leur botte. Croire en cette possibilité d’influence de la conscience des injustices sur les conditions faites aux opprimés relève de l’angélisme.
Pourquoi Sarkozy est-il parvenu à cette conscience que le déni d’un Etat palestinien est nuisible aux perspectives alléchantes d’une région arabe apaisée pour espérer mettre de son côté les atouts de l’argent arabe ? Certainement pas à cause de la résistance et de la lutte du peuple palestinien. Et certainement pas à cause d’un engagement arabe pour la cause palestinienne.
Les dessous d’un soutien au colonisateur israélien
En dehors du nassérisme et du projet national arabe baathiste - à l’origine anti-ottoman -profondément ancré dans l’histoire syrienne et irakienne, pas une fois la colonisation israélienne et les malheurs des Palestiniens n’ont empêché les grandes puissances de faire de très bonnes affaires avec les monarchies ou les républiques monarchiques arabes. Bien au contraire, contrats pétroliers et contrats d’armements fabuleux se sont succédé jusqu’à ce contrat évalué entre soixante et cent milliards de dollars passé entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis. Mieux, l’empire américain comme les grandes puissances européennes, anciens et nouveaux colonisateurs réunis, ont étendu leur totale domination sur la région et assurant la normalisation discrète ou tapageuse entre les pays du Golfe et Israël. Plus personne n’entend parler du Comité El Qods créé pour défendre cette ville de la judaïsation prévue de très longue date et le silence de ce comité est d’autant plus assourdissant aujourd’hui.
Pourquoi se préoccuper alors de pays arabes consentants à la colonisation israélienne et déjà acquis à l’idée d’une nécessaire alliance avec Israël pour contrer l’Iran ? L’idée de cette alliance ne leur est même pas désagréable et ils trouveront bien un argumentaire religieux pour juger licite le commerce avec Israël, comme ils ont trouvé l’argumentaire religieux pour la poignée de main à Madrid entre un chef religieux sunnite et Shimon Peres, sans même la justification d’une rencontre entre deux religieux, Peres n’étant pas rabbin. Mieux, sur deux agressions, celle de 2006 contre le Liban et celle de 2008 contre Ghaza, Israël a trouvé une large et presque ouverte compréhension arabe.
Les deux grains de sable de la région, la résistance libanaise et celle des internés de Ghaza, la plus grande prison à ciel ouvert de l’histoire de l’humanité ne suffisent pas à la naissance d’une conscience de « l’impossible compatibilité » des appétits des colons sionistes insatiables avec les intérêts « bien compris » du capitalisme dans la région. La France elle-même et le président actuel ayant mis le zèle que nous connaissons à soutenir l’agression sur le Liban (combien de temps vous faut-il ? a demandé Sarkozy, ministre à l’époque, à un ministre israélien). Sarkozy devenu président n’a pas changé. Il réitère le même discours destiné aux personnalités arabes du commerce : « Aussi attaché que je le suis à la sécurité d’Israël, je reste profondément convaincu que la véritable sécurité pour Israël, c’est l’existence d’un Etat palestinien souverain, démocratique, moderne, qui s’engage sur le droit à la sécurité imprescriptible d’Israël. » Vous avez bien lu : « … qui s’engage sur le droit à la sécurité imprescriptible d’Israël ». L’intérêt bien compris d’Israël est d’avoir à ses côtés un Etat palestinien qui est engagé par la sécurité d’Israël. L’Etat harki qu’on demande aux Palestiniens est en réalité en voie de mise en place.
Quel Etat palestinien et quelle indépendance ?
L’Autorité palestinienne sur tout le tableau de son action, de l’arrestation des militants palestiniens « extrémistes » à l’application des mesures décidées par les commissions sécuritaires mixtes, est entrée dans cette dynamique depuis longtemps. L’action du Premier ministre, Salam Fayyad, sorti de la très révolutionnaire et très subversive école du FMI, doit assurer le reste : les aides européennes doivent corrompre la conscience politique de l’ensemble des Palestiniens ou du moins du plus grand nombre de Palestiniens et donc ne plus être accaparées par les apparatchiks de l’Autorité et de l’OLP. C’est cela le sens de la lutte contre la corruption que mène Fayyad. Contre l’avis d’Israël qui préfère corrompre les appareils, Fayyad doit démocratiser la corruption selon les conceptions européennes et faire du maximum de Palestiniens des mendiants reconnaissants. A-t-on jamais vu des mendiants résister à quoi que ce soit ou faire une révolution ?
Même la très spectaculaire annonce de proclamer un Etat palestinien indépendant n’est au fond que « du vent dans le chalut ». Non seulement l’Etat palestinien a été en principe proclamé à Alger mais c’est exactement le genre de service qu’Israël attend de Mahmoud Abbas : entériner le rapport de force territorial et, en plus, lui donner les mains libres. Il pourra ainsi être à son tour encore plus unilatéral. C’est cela la signification de la mise en garde d’Israël contre cette perspective et elle n’est même pas destinée aux Palestiniens mais à « l’opinion internationale », une espèce de « regardez, les Palestiniens m’obligent à ne plus tenir compte de leur avis ».
La « menace » d’un Etat palestinien mené par Abbas se traduira par une confédération de bantoustans séparés par des colonies chargées de distribuer les aides alimentaires. Le modèle américain se sera alors accompli même sur la Terre sainte : après les réserves des Indiens d’Amérique, nous aurons les réserves des Arabes de Palestine. Le suivisme arabe, la reddition de l’OLP et de l’Autorité, et la résistance contrariée de Ghaza ne présentent pas de raisons significatives pour une « prise de conscience » de Sarkozy sur la contradiction possible entre un « intérêt général » et un déni des droits palestiniens à un Etat.
Les difficultés connexes de la politique israélienne sur l’UPM qui le gêne, et l’Egypte censée amener par son raïs une caution arabe à la présence d’un Etat au-dessus des lois et au-dessus du droit, qui se permet de juger du niveau d’armement qu’il peut tolérer chez les autres comme il entend le faire pour notre marine nationale et à qui Sarkozy donne le droit de l’agression préventive contre d’éventuelles menaces. Car le président Sarkozy a aussi fait cette déclaration dans un contexte particulier, celui de la réunion du sommet de l’OTAN à Lisbonne avec les changements du concept stratégique de cette organisation militaire qui ne nous étonnerait pas tellement si elle venait à intervenir un jour contre des révolutions populaires en Europe même. C’est en marge de cette réunion que Sarkozy nous a donné une des clés de son bonheur de voir la Russie rejoindre le bouclier antimissile : « La menace des missiles aujourd’hui, c’est l’Iran. » Il avait de quoi pavoiser ! La Russie dans le camp de l’OTAN, c’est la guerre tranquille assurée contre les peuples. De l’autre côté de l’Atlantique, des groupes de pression démocrates comme républicains veulent vite l’option de la guerre. Très vite. Le contexte particulier rejoint le contexte général : on ne connaît pas encore, dans l’histoire, une sortie d’une crise du capitalisme sans la guerre.
publié par la Tribune d’Alger