jeudi 16 septembre 2010

« Une fois l’hiver passé, le soleil brillera »

mercredi 15 septembre 2010 - 06h:26
Jody McIntyre - Live from Palestine
Quand la construction du mur israélien a commencé dans leur village en mai 2008, les habitants du village de Nilin en Cisjordanie occupée ont lancé une campagne de résistance non-violente contre le vol de leurs terres.
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Des manifestants près du mur d’Israël à Nilin ; une colonie israélienne ici en arrière-plan. (ActiveStills)
Ils ont obéi à une philosophie d’action directe, coupant la barrière électronique et les barbelés pratiquement toutes les semaines jusqu’à ce qu’Israël ne décide d’ajouter des blocs compacts de 6 mètres de haut à la barrière, que les manifestants ont réussi à renverser. Les habitants de Nilin ont payé cher leur combat pour leurs droits - cinq villageois ont été tués dès la première année de protestation - mais ils n’ont montré aucun signe de relâchement. Jody McIntyre a interviewé Mohammed Amireh, un leader du Comité Populaire de Nilin Contre le Mur et les Colonies pour l’Electronic Intifada.
Mohammed Abdulkader Amireh : J’ai quatre enfants, deux fils et deux filles. Mes deux garçons sont nés avec une maladie de la peau pour laquelle il n’y avait pas de traitement médical, mais qui peut être soulagée en appliquant de l’huile d’olive. J’ai perdu toutes mes terres de Nilin à cause du mur et de la colonisation. Ce mur a dépossédé presque toutes les terres des fermiers de Nilin : nous avons perdu 2 700 oliviers, 3 000 km² de terres, et cinq de nos frères morts en martyrs pendant nos manifestations contre le mur. Nous avons subi dans centaines de blessures par des munitions et par des balles d’acier recouverts de caoutchouc, et des femmes enceintes ont fait des fausses couches à cause des bombes aveuglantes que des soldats lançaient dans leur maison.
107 personnes ont été emprisonnées pour avoir participé aux manifestations contre le mur, 11 d’entre elles le sont toujours aujourd’hui. Trente-neuf personnes ont été tuées par des balles spéciales de calibre 0.22, connues pour faire un maximum de dégâts après avoir pénétré dans le corps, et beaucoup d’entre eux souffrent toujours de ces blessures parce que les balles restent dans leur corps. Plusieurs incendies ont frappé les maisons dans lesquelles des bombes aveuglantes ont été lancées et qui ont pris feu. Mais nous ne renoncerons jamais, et nous devons continuer notre combat pour la paix et la justice pour les Palestiniens et pour tous dans le monde.
J’ai été blessé plusieurs fois, une fois par une balle de caoutchouc qui est entrée dans la main qui protégeait mon visage. J’ai aussi été tabassé par des soldats israéliens à de nombreuses occasions. On m’a arrêté quatre fois, je suis resté emprisonné quelques mois la première fois, huit jours la deuxième fois, et un jour les deux dernières fois. Je me souviens qu’une des dernières fois, les commandants israéliens me menaçaient de m’emprisonner encore huit jours de plus. Je leur ai répondu que je m’en foutais qu’ils me gardent huit jours, huit semaines ou huit ans ... ça ne m’empêcherait pas de protester contre le vol de ma terre. Soudainement, il a appelé un de ses collègues et lui a ordonné de me relâcher immédiatement ; je n’avais pas encore compris que Ahmed Mousa, un garcon du village de 10 ans, venait juste de devenir notre premier martyr dans la lutte contre le mur. Je travaille comme professeur dans une école locale, et Ahmed manque fortement à ses amis ... ils ne comprennent pas pourquoi il a été tué. Il n’y avait même pas de manifestation là où il a été tué !
Je me souviens qu’une fois en cours de dessin, Ahmed a dessiné une image avec deux drapeaux, un palestinien et un israélien parce qu’il espérait que la paix arriverait, mais il ne savait pas que juste 10 minutes plus tard, une balle attendait de lui percer la peau.
Tout le monde à Nilin souffre directement à cause du mur et des colonies qui ont été construits dans nos terres. Moi, en tant que fermier, je ne peux pas marcher dans mes terres, et les 25 moutons et chèvres qui m’appartenaient dans le passé ont dû être vendus, parce que je n’avais plus rien pour les nourrir. Les gens de Nilin étaient presque tous fermiers, et maintenant que nous avons perdu nos terres, le taux de chômage a explosé.
Nous avons choisi la voie de la résistance non-violente, mais l’armée israélienne continue d’utiliser toutes ses armes contre nous. Nous espérons que notre combat finira bientôt, et que l’occupation prendra fin.
Jody McIntyre : Comment était la vie à Nilin avant la construction du mur ?
MA :Les gens à Nilin étaient fermiers ou travailleurs agricoles ; nous travaillions la terre non seulement pour fournir de la nourriture à nos familles et nos enfants, mais aussi pour nos animaux, nos moutons, nos chèvres, nos chevaux et nos ânes. Donc c’était une vie paisible. Les problèmes avec les colons sont survenus une fois qu’ils ont commencé à nous attaquer, nous les villageois, et à nous expulser de nos terres.
JM : Comment est née la résistance populaire à Nilin ?
MA : La première manifestation a été spontanée. Le 17 mai 2008, quand l’armée israélienne est arrivée sur nos terres accompagnée des bulldozers, ça a été un choc pour nous. Tous les fermiers se sont regroupés dans leurs terres simplement pour arrêter les bulldozers. Lors de cette manifestation, l’armée a arrêté Firas Amireh, un résident du village qui avait une femme et trois enfants, et ils nous ont forcés à payer 1 500 NUS (315€) pour sa libération.
Après cela, on a continué nos manifestations quotidiennement, choisissant la résistance non-violente car on sentait que c’était le meilleur raccourci pour atteindre le monde extérieur, pour que nos voix soient entendues et pour montrer que nous sommes des Palestiniens civilisés, et pas de violents terroristes comme nous décrivent les médias israéliens. Nous pensions que la résistance non-violente atteindra le cœur des gens plus que la violence, et si nous voulons faire disparaître la souffrance dans le monde, nous devons prendre un peu de cette souffrance sur nos épaules. Après tout, seule la paix apporte la paix, et seule la violence engendre la violence. Nous avons besoin de paix et de justice pas seulement en Palestine, mais partout à travers le monde, si nous devons gagner ce combat.
JM : Qu’est-ce qui a changé dans la vie de tous les jours depuis l’occupation et la construction du mur ?
MA : Eh bien, je travaille comme enseignant, et ici, les écoles ferment tôt, à environ 12h30, dans j’ai quartier libre dans l’après-midi. Avant, je devais aller dans mes terres tout le temps ; je faisais pousser du blé, des légumes, des olives, et mes moutons et mes chèvres me donnaient du lait et du fromage. Maintenant, je n’ai nulle part où aller pour travailler avec ma femme. Dans d’autres endroits de la Palestine, les soldats israéliens autorisent parfois les fermiers à se rendre sur leurs terres, mais personne dans ma famille n’y a jamais été autorisé, même pas pour récolter l’huile de nos olives, ou pour déraciner la mauvaise herbe autours de nos oliviers.
L’armée israélienne a même essayé d’instaurer un couvre-feu dans le village pour y annihiler la résistance populaire - le 7 juillet 2008, on a été sous couvre-feu pendant quatre jours, avec seulement deux heures par jour pour acheter de la nourriture - mais ça n’a pas marché, tout le monde était dehors dans les rues en train de manifester et de construire des barrages routiers de fortune pour empêcher l’armée de circuler. Je marchais dans les rues avec mon petit garçon dans les bras, pour leur montrer qu’ils ne pourraient rien faire contre notre détermination. Les gens des villages environnants venaient avec des voitures pleines de nourritures et de provisions pour faire cesser le couvre-feu ... c’était une belle marque de solidarité.
JM : Dans votre travail d’enseignant, quels effets de l’occupation avez-vous vu déteindre sur les enfants de Nilin ?
MA :Leur esprit a changé. Avant la construction du mur, tu avais des enfants comme Ahmed Mousa qui dessinaient des drapeaux palestiniens et israéliens ensemble. Maintenant, quand tu demandes aux enfants de faire un dessin, ils dessinent tous des soldats israéliens qui attaquent leur maison, qui répandent du gaz aveuglant, ou des martyrs enveloppés dans des drapeaux palestiniens. Je me souviens du deuxième garçon qui a été tué ... Yousef Ahmad Amireh. Il n’avait que 17 ans à l’époque.
Sa grand-mère l’a appelé et lui a dit qu’il lui manquait beaucoup, alors il a décidé d’aller lui rendre visite ... la maison de sa grand-mère n’est qu’à 200 mètres de la mienne. Mais quand il était devant ma maison, il a vu qu’il y avait des soldats à l’entrée du village qui lançaient des bombes aveuglantes et tiraient avec des armes à feu, et des jeunes garçons qui leur lançaient des pierres. Je lui ai conseillé de longer les maisons par derrière pour aller chez sa grand-mère plutôt que d’utiliser la route principale, mais il m’a dit qu’il avait peur qu’un soldat le voit et lui tire dessus, donc il est resté avec moi à l’entrée de ma maison, et on regardait les heurts entre les soldats et les jeunes dans la rue principale. Quand tout à coup, une jeep armée israélienne a foncé directement jusqu’à nous, un soldat est descendu et a tiré une balle ... je n’avais même pas remarqué que Yousef, droit comme un i à coté de moi, a été touché, mais quand je me suis tourné vers lui, j’ai vu le sang couler sur son visage.
Les enfants qui ont une fois cru à la paix, après avoir vu les actions brutales de leurs ennemis, n’y croient plus du tout. Mais en tant que professeur, je dis aux enfants que nous devons garder espoir, que l’ombre de l’occupation va partir, et qu’au matin, le soleil de la paix et de la justice brillera sur la Palestine. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera peut-être demain, ou dans un mois, ou dans un an, mais nous devons toujours garder espoir.
JM : Pouvez-vous me parler de la Route 446 ?
MA : La Route 446 a été construite par le gouvernement israélien en 1992, et il a été décidé que le village de Nilin serait coupé en deux. Beaucoup d’entre nous ont des frères et sœurs qui vivent de l’autre coté du village, et la plupart du temps, on ne peut pas aller les voir, soit parce que nous sommes sous couvre-feu ou parce que l’armée a installé un check-point mobile à l’entrée du village, et qui empêche les voitures d’entrer ou de sortir. Parfois, on a l’impression que c’est comme si des membres de notre famille vivaient dans un autre village ! Un autre problème est la nature dangereuse que représente une autoroute très fréquentée traversant un petit village comme le nôtre, rendant impossible aux enfants de marcher d’un coté du village à l’autre. Au lieu de ça, leur famille doit payer pour les bus pour emmener leurs enfants à l’école, ou des taxis pour les emmener voir un membre de leur famille vivant de l’autre coté du village. Sans parler des terrains qui ont été confisqués et des oliviers qui ont été déracinés pour construire cette Route 446.
La route a amplifié la colonisation de Modiin Illit, donc son objectif était clair, mais quand la route a été établie, on nous a dit que c’était une route comme toutes les autres, qu’Israéliens et Palestiniens pourraient utiliser. Maintenant, on nous interdit de voyager au sud de la Route 446, seulement vers le nord, mais qui sait si on conservera ce droit dans le futur. C’est devenu une route d’apartheid. Avant, on avait entendu parler d’un projet pour construire un tunnel souterrain pour les Palestiniens, mais nous ne savons pas si c’est vrai ou pas. Néanmoins, nous espérons que les colonies vont quitter nos terres, que l’occupation prendra fin, et ensuite que les citoyens palestiniens seront autorisés à emprunter cette route.
JM : Qui de Nilin est actuellement en prison ?
MA : Ibrahim Amireher est un homme de 43 ans qui a huit enfants, dont la plupart sont à l’université ... maintenant, c’est difficile pour eux d’acheter à manger, sans parler des études. C’est la troisième fois qu’Ibrahim est emprisonné. Comme moi, il a perdu toutes ses terres derrière le mur. Une fois, l’armée a essayé d’occuper sa maison tôt le matin, pour empêcher sa famille de se rendre à la manifestation, et des soldats ont blessé une de ses petites filles au cours de cette opération. Une autre de ses filles a été tuée par balle pendant qu’elle était à la fenêtre de sa maison. Hassan Mousa, un autre habitant de Nilin, est actuellement en prison ; professeur d’anglais à l’école, il avait étudié en Inde, et a été emprisonné par les Israéliens pour la simple raison qu’il était en général la personne qui correspondait avec les militants internationaux qui venaient nous soutenir, du fait de sa connaissance de la langue anglaise. Le tribunal a décidé que Hassan et Ibrahim resteraient en prison pendant un an, et paieraient 9 000 NIS (1 862€) chacun pour être relâché.
L’armée israélienne a obtenu des témoignages à charge contre Hassan et Ibrahim en enlevant des jeunes hommes du village et en les interrogeant sous la torture. Parmi les témoignages, certains disaient qu’ils jetaient des pierres pendant les manifestations, et donnaient de l’argent pour encourager les autres à faire de même. Tous ces témoignages sont totalement faux. Ces hommes ont toujours suivi la philosophie de la résistance non-violente, ont toujours dirigé leurs pensées vers la manifestation pacifique, et ont à peine assez d’argent pour subvenir aux besoins de sa famille, sans parler de celle des autres. Ils y en a encore neuf autres en prison, parmi lesquels Saddam Nafer, Ahmed Nafer, Mostafa Amireh, Saïd Amireh, Ibrahim Srour et beaucoup d’autres jeunes gens.
JM : Parlez-moi des manifestations de vendredi contre le mur.
MA : A chaque fois, nous essayons d’atteindre la porte que les soldats israéliens ont construit en face du mur. Parfois, on apporte un message aux soldats, pour leur dire que cette terre appartient aux simple fermiers, et que s’ils veulent vraiment une armée qui défende leur pays, ils n’ont qu’à repartir à leurs frontières comme l’ont stipulé les Nations Unies en 1967. Qu’ils nous laissent juste retourner à nos terres. Nous avons des familles, vous avez des familles ... On n’a pas besoin de souffrir encore plus.
JM : Comment les manifestations ont-elles évolué depuis deux ans, au moment des premières revendications ?
MA : Avant, on organisait quatre ou cinq manifestations par semaine, mais maintenant, on n’en a qu’un ou parfois deux. Des gens ont été tués dans les manifestations, et cela effraie certains à l’idée d’y participer. Beaucoup de jeunes hommes ne peuvent tout simplement pas se permettre d’aller en prison pour une deuxième ou une troisième fois. Plusieurs ont été blessés ... l’Autorité Palestinienne pourrait aider leur famille en finançant des aides médicales, mais personne ne peut soigner les traumatismes mentaux. Plusieurs personnes ont compris que l’armée israélienne a construit un mur psychologique, et ensuite un mur physique en face de celui-là, et elles sentent que maintenant que le mur existe, il est injustifié de continuer. L’armée israélienne utilise plusieurs tactiques différentes et des types de sanctions pour empêcher les Palestiniens de retourner dans leurs terres. Beaucoup, comme moi, ont toujours espoir que si on continue nos manifestations pacifiques, peut-être, juste peut-être, on pourrait sensibiliser les peuples du monde, mettre fin à cette occupation et retourner à nos terres.
JM : Vous avez dit que l’armée israélienne a construit un mur physique et psychologique, et ces deux murs sont maintenant terminés. Gardez-vous toujours espoir ?
MA : En hiver, beaucoup d’endroits dans le monde deviennent sombres pour plusieurs jours, semaines, et même mois. Mais une fois que l’hiver est terminé, le soleil brillera encore et toujours. Nous devons garder en tête le positif, pas le négatif. A travers l’histoire, plusieurs régimes ont imposé des occupations brutales à des peuples étrangers, mais elles ont toujours été surmontées. Cette occupation n’a rien de différent.
* Jody McIntyre est un journaliste du Royaume-Uni. Il écrit dans un blog appelé Life on Wheels qui peut être trouvé à jodymcintyre.wordpress.com. On peut le joindre à jody.mcintyre@gmail.com
30 août 2010 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Yazid Slaim
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