samedi 25 septembre 2010

Un Etat d’égalité

publié le vendredi 24 septembre 2010
Diana Buttu

 
Il est impératif de contester l’idéologie suprémaciste qui grandit avec la construction de toute nouvelle colonie et avec la nouvelle exigence israélienne que les Palestiniens reconnaissent [Israël comme] un Etat juif.
Alors que l’incitation à des “discussions directes” entre l’OLP et Israël s’impose, l’idée de la solution à deux Etats –avec un "Etat palestinien" qui commence à relever davantage de la condition médicale que de l’entité politique- est en pleine discussion.
Mais alors que le processus de négociations politiques est en panne depuis près de 10 ans, il en va tout autrement des faits sur le terrain. Ces dix dernières années, tandis que les Européens et les Américains inventaient des « Feuilles de route » et « déclarations du Quartette » et se focalisaient sur la « réforme », Israël et le mouvement des colons israéliens continuaient –pas si discrètement que ça- ce qu’ils ont fait de mieux ces 43 dernières années : construire et agrandir les colonies. Rien que cette dernière décennie, plus de 120 000 nouveaux colons se sont installés illégalement en Cisjordanie, amenant le nombre total de colons à plus d’un demi million.
Recentrant leur attention sur le sort de ces colonies et craignant peut-être la fin prochaine de leurs jours de « cowboys » en Cisjordanie, un groupe de colons israéliens a mis en avant une proposition intéressante le mois dernier : plutôt que de tenter de diviser la terre de Palestine en deux « Etats », pourquoi les Palestiniens et les Israéliens ne vivraient-ils pas dans un Etat ? Certains ont proposé une démarche en étapes qui en une génération garantirait la citoyenneté à 300 000 Palestiniens, d’autres fixant la limite à 1.5 million de Palestiniens. Des sionistes libéraux bon teint ont immédiatement décrié cette idée, affirmant qu’elle affaiblirait la notion d’ « Etat juif » (qui semble aussi relever de la condition médicale) car donner la citoyenneté à tout le monde empêcherait au bout du compte la discrimination indéfinie contre les non-juifs, contrairement à ce que permet le concept imprécis d’ « Etat juif ».
En d’autres termes, ces sionistes se demandaient pourquoi, alors qu’Israël s’interroge sur le nombre de non-juifs qu’il peut tolérer dans son Etat juif tout en maintenant une majorité juive, les colons –le symbole même du sionisme expansionniste- appellent maintenant à intégrer plus et non moins de non-juifs à Israël. La réponse se trouve bien sûr dans l’examen de qui appelle à un Etat et de ce que leur idée d’ « un Etat » induit réellement.
Un examen attentif montre que ces propositions reflètent exactement le « dilemme » auquel Israël fut confronté en 1967 quand il annexa Jérusalem-Est : comment voler autant de terre palestinienne que possible avec aussi peu de Palestiniens que possible. A Jérusalem-Est le problème fut facilement résolu, du point de vue israélien, par la confiscation des parties non développées de la zone autour de Jérusalem-Est et la construction des colonies illégales (injustement appelées « quartiers ») où vivent maintenant 200 000 colons juifs. Les Palestiniens autochtones reçurent alors des droits limités, si tant est qu’on peut appeler ça des droits. Depuis Israël a fait en sorte que ces Palestiniens restent dans une position subalterne, soumis à toutes sortes de lois discriminatoires comme les absurdes « tests de résidence » qui visent à leur enlever leur statut légal.
C’est aussi l’objectif de la nouvelle proposition des colons : voler autant de terre palestinienne que possible ; permettre aux colons israéliens de construire de nouvelles colonies sur cette terre ; maintenir les Palestiniens (le moins nombreux possible bien sûr) dans cette situation subalterne en exigeant des tests de loyauté et de résidence ; maintenir un régime d’apartheid, même s’il prend une forme différente. Pour les colons et d’autres Israéliens de droite qui adhèrent au concept d’ « un Etat », la question est comment étendre Israël. Point. Chez les colons l’idéologie suprémaciste prévaut toujours. Les Palestiniens ne se verront pas octroyer des droits automatiquement, mais seulement sur la base de leur attitude envers un Etat raciste qui les a dépossédés et occupés. Ce dont les colons ne parlent pas, c’est l’essence même d’un Etat unique : l’égalité.
Alors que ce sont des acrobaties intellectuelles que de discuter de l’idée d’ « Etats » (ce qui incite à se détourner des violations quotidiennes des droits humains pour se focaliser sur des « solutions » de tour d’ivoire), le concept d’égalité semble s’être évaporé du lexique, que l’on parle de deux Etats ou d’un seul.
La « solution » à deux Etats se focalise uniquement sur la terre et, pire, les échanges de terre sans jamais s’interroger sur l’égalité militaire et politique d’un futur « Etat » palestinien avec Israël. En d’autres termes, la notion « acceptée au niveau international » d’un Etat palestinien n’est pas celle d’un Etat qui existe sur les frontières de 1967 mais celle d’un Etat qui sera basé sur les frontières de 1967, récompensant ainsi Israël pour 43 ans d’un colonialisme condamné par tous.
Ignorés, bien sûr, dans le concept d’ « Etat palestinien », les droits des millions de réfugiés palestiniens, sans voix et opprimés, qui sont plus nombreux que les Palestiniens qui vivent en Palestine aujourd’hui. Quiconque pense pouvoir éliminer les droits et les aspirations de millions de personnes par sa simple volonté se trompe lourdement. Des générations de Palestiniens ont montré qu’ils continueront à résister obstinément afin d’obtenir leurs droits.
Basé à Ramallah, un mouvement pour « un Etat » apparaît aussi maintenant, qui semble capitaliser sur l’échec probable de la solution à deux Etats. Sous la bannière « Deux Etats, c’est impossible », ce groupe prône la solution à un Etat uniquement parce que la solution qu’il préfère (deux Etats) n’est plus réalisable à cause de la présence de 500 000 colons.
L’adhésion au concept d’un Etat ne doit pas être la conséquence, par défaut, de l’échec de la solution à deux Etats, mais plutôt une conséquence qui exige l’égalité. L’égalité, même si ce n’est pas une garantie à toute épreuve de bonheur, est certainement un bon début. Ses partisans sont conscients que cela peut impliquer l’intégration difficile d’Israéliens dans la vie des Palestiniens et de Palestiniens dans celle des Israéliens –de l’éducation à la culture en passant par le mode de vie- et que cette égalité ne recréera pas nécessairement la Palestine d’avant 48.
Mais cela requière que l’on abolisse les lois, le système et la bureaucratie qui fondent le système discriminatoire d’apartheid sous lequel vivent les Palestiniens aujourd’hui et dont profitent les Israéliens.
Et, alors que les « discussions directes » mèneront finalement à un échec direct –car Israël cherche un accord de soumission [des Palestiniens] et non un accord basé sur l’égalité- il est impératif de contester l’idéologie suprémaciste qui grandit avec la construction de toute nouvelle colonie et avec la nouvelle exigence israélienne que les Palestiniens reconnaissent [Israël comme] un Etat juif.
La seule façon honnête d’aller de l’avant est de travailler à une réelle égalité pour tous
Diana Buttu est avocat des droits humains et ancien conseiller juridique de l’équipe de négociateurs palestiniens.
Publié le 30/8/2010 par bitterlemons
traduction : C. léostic, Afps