jeudi 30 septembre 2010

Les colons de Cisjordanie "regardent le futur de leurs communautés avec incertitude"

publié le mercredi 29 septembre 2010
Hélène Sallon

 
La fin du moratoire sur le gel de la colonisation israélienne en Cisjordanie, dimanche 26 septembre, aurait-elle sonné le glas de "la revanche du bulldozer", comme le titrait, lundi, Haaretz ? Le quotidien israélien estime que les colons, en dépit de célébrations marquées, "savent au fond de leur cœur" que les constructions sur le terrain seront de plus en plus difficiles.
Lundi matin, la colonisation a effectivement repris dans les colonies d’Ariel, Revava, Yakir et Kochav HaShahar, ainsi que dans des avant-postes tels que Ramat Migron, a constaté Haaretz. Après des mois de gel forcé, les colons sont déterminés à mener à bien leur projet de construire quelque deux mille unités de logement en Cisjordanie. Six cents d’entre elles, pour lesquelles ils disposent de permis, devraient être terminées dans les prochains mois, ajoute le quotidien.
La reprise de la colonisation ne s’est pas fait attendre, marquée dès lundi par des célébrations dans l’ensemble des territoires occupés, en pleine fête juive de Soukkot (la fête des cabanes – voir la vidéo sur le site du Guardian).
"LES NÉGOCIATIONS, UN SHOW"
Dans la colonie d’Ariel, dans le nord de la Cisjordanie, des douzaines de familles vivent dans des caravanes depuis leur évacuation en 2005 de la bande de Gaza et attendent impatiemment la construction d’un nouveau quartier de cinquante unités de logement. L’un d’eux, Itzik Vazana, cité par Yediot Aharonot, ne croit pas aux négociations de paix engagées par son gouvernement. "Ces négociations sont juste un show qui est sur le point de s’effondrer", prédit-il, convaincu d’être "ici de droit et non par tolérance", au-delà d’une ligne verte qui n’est pour lui que "virtuelle et politique".
A Hébron, la reprise de la colonisation est hautement symbolique. Le renforcement de la communauté de 800 colons juifs, au cœur de cette ville palestinienne de 30 000 âmes, pose un véritable "défi pour la paix", estime l’agence de presse Reuters. Au risque de raviver les conflits, les colons ont organisé des célébrations autour de la pose de la première pierre d’une crèche, dans un quartier disputé de la vieille ville, rapporte le Yediot Aharonot. Cette construction a reçu l’aval de l’ultra-orthodoxe Meir Porush, secrétaire d’Etat à l’éducation, qui a évoqué la tristesse de voir "des enfants, dont le seul péché est d’être né juif à Hébron, obligés de se serrer dans des locaux sans fenêtres ni jardin".
DILEMME PALESTINIEN
La joie de la famille Shapira, qui a pu remettre en route le chantier de sa maison dans la colonie d’Alpena (Shomron), contraste avec la discrétion teintée de gêne de ses six ouvriers palestiniens, observée par un journaliste de Maariv. Rachid, le chef de chantier, formalise le dilemme auquel sont confrontés tous les Palestiniens tributaires des colonies pour trouver un travail : "D’un côté, je voudrais qu’il y ait un nouveau gel, mais de l’autre, ce sont des gens sympas et nous, de notre côté, nous avons besoin d’argent." Les ouvriers palestiniens revenus travailler sur un chantier de la colonie de Yakir sont confrontés aux mêmes interrogations : à demi-mots, ils expliquent à Haaretz être là du fait de la nécessité de gagner leur vie.
Dans les villages de Cisjordanie, la reprise de la colonisation a pris les habitants au dépourvu, relate le quotidien londonien de langue arabe Al-Quds al-Arabi. Les récits du retour intempestif des colons se multiplient. Le malaise des villageois palestiniens traduit à quel point "la reprise de la colonisation est une déclaration de guerre à la paix", selon les mots d’Omar Hilmi Al-Ghoul, conseiller de l’Autorité palestinienne aux affaires nationales. Cette empressement des colons à réinvestir les lieux et à finir les travaux au plus vite s’explique, selon un habitant d’Ariel, par la peur de l’annonce éventuelle d’un nouveau moratoire sur le gel de la colonisation.
Dans le village de Burin, au sud-est de Naplouse, la chaîne qatarie de langue arabe Al-Jazira a ainsi recueilli les témoignages d’habitants ayant assisté aux manœuvres des Israéliens de la colonie voisine de Yitzhar nord, qui avaient amené, le 26 septembre, des bulldozers et des équipements afin d’entamer les travaux dès le lendemain. Le maire de Deir Al-Khatab, un village à l’est de Naplouse, observait déjà la semaine précédente pareils mouvements chez les habitants de la colonie voisine, positionnant progressivement leurs caravanes et procédant à l’élargissement de la route menant à de futures constructions.
LA JOIE TEINTÉE D’INCERTITUDE DES COLONS
En dépit d’une joie non feinte, célébrée en grande pompe, les colons "regardent le futur de leurs communautés avec incertitude", nuance le Jerusalem Post. A l’occasion des fêtes de Soukkot, ils ont décidé d’ouvrir grand leurs portes, non seulement à leurs fidèles soutiens d’extrême droite, mais aussi aux Israéliens de gauche, pour leur montrer qu’"ils ne sont pas des extrémistes". Pour les colons, conquérir les cœurs de leurs compatriotes est un enjeu de taille tant ils ont besoin de "soutien financier et moral", note Avi Zimmerman, directeur du fonds de développement de la colonie d’Ariel.
Pour Ziv Barak, qui habite la colonie d’Alfei Menashe, ni les visites organisées pendant les fêtes par les militants de gauche de La Paix maintenant, dépeignant les colonies comme des "cancers", ni celles du Yesha, le conseil des colons de Judée et Samarie, dans les domaines viticoles, ne rendent compte de la réalité de la vie dans les colonies. Dans une tribune publiée dans le Yediot Aharonot, il invite les lecteurs à venir découvrir la normalité de son quotidien dans une colonie où vit une population composée de laïcs, de religieux et d’activistes politiques, affairés entre la crèche des enfants et leur emploi à Tel-Aviv, et qui ont tous souffert du moratoire, se retrouvant avec des terrains à construire et des maisons à louer sur les bras.
Une fois terminées les fêtes de Soukkot dimanche prochain, la bataille pour gagner l’opinion publique devrait laisser place au combat sur le terrain politique. Selon Haaretz, le conseil du Yesha et les autorités des colons de Cisjordanie se préparent à exercer une nouvelle pression politique sur Benyamin Nétanyahou. Car, comme le note le président des colons de Shromron, Benni Ketzoubar, "à l’exception de 492 unités de logement qui ont reçu un feu vert il y a un an, le gouvernement Nétanyahou n’a pas autorisé de nouvelles constructions dans les territoires".
publié par le Monde