jeudi 19 août 2010

Fayyad ou la politique des étapes

Le chef du gouvernement continue de jeter les bases d’un futur État, dont il estime l’avènement inéluctable d’ici à la mi-2011, malgré le blocage du processus de paix.
Sur la route menant à la primature se dresse un nouveau centre d’affaires. C’est l’un des innombrables projets qui parsèment la ville de Ramallah, fruit, parmi d’autres, de la vitalité économique de la Cisjordanie occupée, qui a enregistré, en 2009, une croissance de 8,5 %. Qui plus est dans un contexte de stabilité et de sécurité relatives.
Pourtant, c’est loin de satisfaire celui que l’on associe désormais à la métamorphose de la Cisjordanie, Salam Fayyad, le Premier ministre palestinien, qui estimait récemment que la croissance était surtout imputable à l’injection d’aide internationale dans une petite économie. Le flux d’argent étranger commençant à se tarir, Fayyad est convaincu que le boom n’est pas durable. « Une croissance durable, a-t-il expliqué au Financial Times, ne sera possible que lorsque les Israéliens auront levé les restrictions imposées aux territoires occupés. » Pour Fayyad, les récents progrès, certes significatifs, ne sont que des étapes sur la route menant à la fin de l’occupation israélienne et à la création d’un État palestinien.
Alors que de nombreux observateurs n’entrevoient aucun motif d’espoir, Fayyad se veut résolument optimiste. « Si les Palestiniens veulent vraiment un État, alors ils l’auront. Si nous le voulons, cela arrivera. » Ces propos rappellent ceux prononcés il y a plus d’un siècle par Theodor Herzl, le père du sionisme, qui a rassemblé les fondateurs de l’État juif autour de lui en disant : « Si vous le voulez, ça ne sera pas qu’un rêve ! » À l’instar des sionistes, qui avaient décidé de bâtir leur État petit à petit, Fayyad a l’intention de jeter les fondations de l’État palestinien école après école, route après route. « Ce que nous faisons en ce moment, c’est nous préparer à l’avènement d’un État : c’est-à-dire être capables de nous gouverner nous-mêmes, renforcer nos institutions et nous doter des infrastructures nécessaires. »
Dernière ligne droite
L’idée directrice et les détails du programme de Fayyad sont synthétisés dans un document qu’il a publié en août 2009. Il s’y engage à réunir toutes les conditions de l’établissement d’un État d’ici à la mi-2011. Le programme entre donc dans sa seconde et dernière année, « la dernière ligne droite vers la liberté », dixit le Premier ministre. Environ 1 500 projets et réformes ont déjà été concrétisés, de la réfection des routes à la révision du budget de l’État. La plupart de ces mesures visent à améliorer la vie quotidienne des Palestiniens, mais l’objectif ultime est de mettre fin à l’occupation, notamment en permettant aux Cisjordaniens de vivre en Cisjordanie.
C’est peut-être l’aspect psychologique du plan de Fayyad qui est le plus important. « Ce que nous faisons change vraiment les choses, car nous donnons de l’espoir aux gens, explique-t-il. Ils voient que l’État de Palestine est en train de passer d’un simple concept à une possibilité pour devenir, à terme, une réalité. […] Le pari que nous faisons est le suivant : d’ici au milieu de l’année prochaine, le processus politique aura abouti à la fin de l’occupation. Et si ce n’est pas le cas, la réalité de l’État palestinien sera telle qu’elle permettra de peser sur le processus politique pour obtenir un accord. »
Au sein de la population, les réactions aux efforts de Fayyad sont partagées. Le Premier ministre ne dispose toujours pas d’une assise politique suffisamment solide. Il sait que son programme souffre de l’absence d’un mandat démocratique. Et il essaie de combler ce handicap en passant au moins un jour par semaine dans des villes et des villages de Cisjordanie. Des déplacements qui ont alimenté les spéculations sur ses ambitions personnelles. Mais si Fayyad reconnaît être en campagne, c’est, assure-t-il, dans le seul but de concrétiser son projet : « De quelle fonction parlons-nous ? Pour quel poste voudrions-nous nous battre ? Nous ne sommes même pas un pays.»
Par Tobias Buck. Financial Times et Jeune Afrique 2010
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