mercredi 28 juillet 2010

Le Caire et Ankara

L’Egypte a déroulé le tapis rouge au président turc Abdullah Gül qui s’est rendu au Caire les 20 et 21 juillet. Dans un geste rare, le président Moubarak a invité son homologue turc à une parade militaire et une cérémonie de remise de diplômes aux jeunes officiers de l’Académie militaire. Une première pour un chef d’Etat non arabe.
Les deux dirigeants se sont entendus sur le renforcement des rapports bilatéraux. Ainsi, ils ont accepté de lancer un dialogue stratégique sous les auspices des deux premiers ministres, de porter les échanges commerciaux de 2 milliards de dollars actuellement à 5 milliards d’ici à 2012, et d’établir une zone économique turque dans la cité du 6 Octobre.
La volonté égyptienne était donc manifeste de montrer que les deux pays sont en bons termes et de démentir les informations faisant état d’une concurrence sur le rôle régional entre les deux puissances moyen-orientales. Plusieurs observateurs ont effectivement avancé l’idée que l’Egypte voit d’un mauvais œil la récente offensive diplomatique turque dans le monde arabe.
Cette idée doit être nuancée. La diplomatie turque n’est pas vue du Caire comme une concurrence à sa politique régionale tant que Ankara œuvre, consciemment ou non, dans le sens des intérêts de l’Egypte. Une première illustration de cette dimension se rapporte à la réconciliation inter-palestinienne entre l’Autorité d’autonomie du président Mahmoud Abbass et le Hamas. L’Egypte, qui mène l’essentiel des efforts de réconciliation entre les deux frères ennemis, se heurte à l’inflexibilité  du Hamas. Le Caire, dont l’action se trouve aujourd’hui dans l’impasse, a bien accueilli les tentatives d’Ankara d’assouplir la position du Hamas. Une dernière rencontre a eu lieu à cet effet la semaine dernière à Damas entre le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, et le chef du bureau politique du mouvement islamiste, Khaled Mechaal.
La médiation d’Ankara dans le dossier nucléaire iranien montre également que les diplomaties turque et égyptienne ne sont pas forcément contradictoires. Le Caire s’inquiète des ambitions hégémoniques d’une république islamique aux politiques radicales et interventionnistes chez ses voisins arabes. Il s’inquiète aussi autant de la puissance nucléaire d’Israël que d’une possible dimension militaire au programme nucléaire iranien. Dans cette optique, l’Egypte ne peut que saluer l’action turque qui cherche à encourager l’Iran à se conformer aux exigences du traité de non-prolifération nucléaire et à coopérer avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, tout en essayant de persuader les Etats-Unis et d’autres membres du Conseil de sécurité que la priorité doit être accordée à la voie diplomatique. Ce faisant, la Turquie met l’accent sur l’existence d’un autre pays dans la région, Israël, qui détient déjà l’arme atomique. Par conséquent, des efforts devraient être dirigés vers la création d’une région exempte d’armes nucléaires, dans laquelle l’Iran renoncerait également à sa quête d’armes nucléaires. Ce raisonnement est identique à une position longuement défendue par l’Egypte, qui n’a cessé depuis 1992 de réclamer un Moyen-Orient dénucléarisé.
Dr Hicham Mourad
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