mercredi 28 juillet 2010

Discussions à Boston

J’ai visité dernièrement Boston, la ville américaine où se trouvent les plus grandes universités ayant des départements d’études sur le Moyen-Orient. Il était donc naturel que ma présence au milieu de ce rassemblement académique impose des rencontres variées au cours desquelles le principal sujet est le Moyen-Orient et le conflit arabo-israélien. En effet, ce conflit est devenu une matière scientifique qui intéresse beaucoup d’académiciens, y compris les historiens, les politiciens, les sociologues et même les psychanalystes.
Les plus grands optimistes ont trouvé l’occasion de parler d’un nouveau début, même en retard, du processus de paix qui commencera avec les négociations directes. Quant aux pessimistes, ils ont trouvé dans le même événement une preuve d’échec, puisque Netanyahu a proposé au président Moubarak un plan de solution qui a été immédiatement refusé. Si ces nouvelles sont vraies, ceci signifie que les négociations directes ont échoué après l’échec des négociations indirectes. Or, d’habitude, les académiciens préfèrent revenir aux origines des choses. La question qui a fait l’effet de bombe durant les discussions est : pourquoi le conflit arabo-israélien a-t-il autant duré ? Selon les avis de ce rassemblement d’académiciens, il y a toujours eu des potentiels cachés qui ont fait durer le conflit en état de bouillonnement durant l’ère coloniale, les mouvements de libération nationale et les tentatives d’accéder au droit à l’autodétermination. Après l’ère coloniale, le conflit s’est transformé, afin qu’il soit conforme à l’ordre mondial dominant et même après les événements du 11 Septembre, alors que trois guerres se sont déclenchées : la seconde Intifada, la guerre du Liban et la guerre de Gaza. Quand le conflit des civilisations s’est enflammé, ce fut l’occasion de raviver le conflit religieux qui était présent alors que la religion était à l’origine du conflit depuis le début.
Vient ensuite le rôle de l’ingérence internationale, qui n’a fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Cette ingérence a commencé par la Grande-Bretagne et la France, puis les Etats-Unis et la Russie, qui ont présenté les armes et les aides économiques et politiques. Si les Etats-Unis sont restés et l’Union soviétique a disparu, la Russie, elle, n’a pas totalement disparu, et la Chine et l’Inde ont souvent tenté de s’en approcher. Actuellement, c’est au tour de l’Iran et de la Turquie qui essayent d’intervenir avec force. De plus, le conflit arabo-israélien est l’unique conflit qui a un quartette et qui bénéficie d’un grand nombre de résolutions promulguées par l’Onu. Cette dernière a même créé des organisations afin de traiter ce conflit, comme l’UNRWA et les Casques bleus, en plus d’un grand nombre d’observateurs.
La vérité est qu’en fin de compte, le conflit s’est transformé en une tragédie dont la principale dimension est la course à l’armement non seulement traditionnel, mais de destruction massive aussi. Et c’est ainsi que le principal objectif des pays arabes, qui était le développement, a connu un recul important face à la priorité sécuritaire.
Partant, parler d’un nouveau début du processus de paix n’est que pure illusion. Les discussions de Boston ne se caractérisaient pas seulement de pessimisme. Certains ont même assuré que tout au long du conflit, il y a toujours eu un courant qui tentait de réaliser la paix. Cela signifie donc qu’il n’y a pas un seul scénario possible, mais plusieurs. Le premier est que cette cause est déjà terminée et que tous les efforts actuellement effectués aux niveaux politique et diplomatique n’aboutiront à rien pour deux raisons : premièrement, le gouvernement israélien actuel pense que la division entre le Fatah en Cisjordanie et le Hamas à Gaza constitue une situation exemplaire pour la partie israélienne, et c’est la raison pour laquelle il a décidé d’avancer sur deux voies parallèles : ne présenter aucune concession principale et gagner du temps avec l’administration Obama, qui a commencé à accorder la priorité à d’autres dossiers, alors que les élections du renouvellement partiel du Congrès sont prévues pour novembre 2010, et que le parti démocrate fait pression sur Obama pour atténuer la tension et les différends avec Israël.
Vient ensuite la deuxième raison, qui est l’impossibilité de parvenir à une conciliation nationale entre le Fatah et le Hamas, surtout que chacun d’eux adopte une politique différente et que des forces régionales sont intervenues dans le différend de façon à réaliser leurs propres intérêts. D’un autre côté, ce qui éloigne la probabilité de parvenir à une solution finale est qu’elle impose d’instaurer un nouvel Etat palestinien, selon le principe de la solution des 2 Etats. Dans ce contexte, certains courants à l’intérieur d’Israël appellent à un Etat purement hébreu par le transfert des Palestiniens vers les colonies israéliennes ou le nouvel Etat palestinien. Ceci signifie que le nouvel Etat peut se transformer en cantons à cause de la présence des grandes colonies, du réseau de routes et des points de passage militaires. C’est de là que certains appellent la solution des 2 Etats solution des cantons.
C’est ainsi que des avis israéliens et palestiniens ont refusé la solution des 2 Etats. La partie israélienne présente comme prétexte que l’Etat palestinien ne possède aucune logique démographique et géographique. Quant aux avis palestiniens, ils voient que l’engagement à la solution des 2 Etats sous sa forme actuelle fait perdre aux Palestiniens tous leurs droits et contourne les principes de la légitimité internationale. Partant, il est préférable de renoncer à l’idée du nouvel Etat palestinien pour sauvegarder les principes de la cause palestinienne, surtout que les accords qui ont été conclus dans le cadre des négociations israélo-palestiniennes, comme l’accord d’Oslo et la feuille de route, n’ont pas réussi à aboutir à des solutions radicales pour la cause palestinienne.
Quant au deuxième scénario, il se base sur l’idée de 3 Etats, un Etat israélien, la Cisjordanie dominée par le Fatah et Gaza dirigée par le Hamas. La proposition actuelle est de réaliser une union entre un Etat palestinien, un Etat israélien et une confédération palestino-jordanienne avec la possibilité de la participation de forces internationales et l’ouverture complète des frontières entre eux alors que chacun garde son régime politique et ses lois locales. Il est évident que cette proposition a été catégoriquement refusée par la sJordanie.
Vient ensuite le troisième scénario, celui d’un seul Etat démocratique laïque qui rassemble les Palestiniens et les Israéliens dans des cadres juridiques et constitutionnels. Et ce scénario a également été refusé, surtout de la part de certains courants extrémistes à l’intérieur d’Israël qui insistent sur le fait de purifier l’Etat d’Israël de tout élément non-juif.
Ces 3 scénarios ne sont pas totalement nouveaux, mais ils ont été largement explicités dans le contexte de discussions académiques riches et calmes, qui proposent des visions et des solutions parfois optimistes et parfois pessimistes. Il se peut que le problème réside dans le fait que ceux qui recherchent une solution oublient qu’il y en a une qui existe effectivement. Cette solution est celle de la coexistence avec le conflit d’une façon ou d’une autre comme c’est le cas depuis un siècle durant lequel beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Et même quand l’eau devient feu, le monde a appris à l’apaiser et à continuer à vivre.
 Abdel-Moneim Saïd