mardi 8 juin 2010

Un film suisse donne la parole aux habitants de Gaza

lundi 7 juin 2010 - 18h:10
Nicolas Wadimoff - Simon Bradley/Swissinfo.ch
Selon le cinéaste suisse Nicolas Wadimoff, les pires effets du blocus israélien de Gaza sont d’ordre psychologique. Son documentaire, « Aischeen » (Toujours en vie à Gaza), jette un regard humaniste sur les souffrances et la vitalité de cette population. Interview.
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Jeunes Palestiniens tout fiers du poisson pêché au risque de leur vie sur la côte de Gaza.
Tourné quelques semaines après l’offensive israélienne de 2009, ce film se passe de commentaire de par la puissantes de ses images, presque surréelles.
Un forain répare tranquillement ses manèges ; après les bombardements, des clowns essayent de faire rire des enfants avec des ballons et des nez rouges ; le chaos dans un centre de distribution de nourriture de l’ONU ; une baleine échouée est dépecée en quelques heures par des habitants affamés ; des missiles explosent près des tunnels de contrebande et un groupe de rap local se présente dans un programme pour jeunes de la radio.
Financé par la chaîne pour enfants d’Al-Jazeera, le documentaire a été primé aux festivals de Berlin, en Allemagne, et de Nyon, en Suisse. Il devrait être présenté à Varsovie, Copenhague, Leipzig, Durban et au Proche-Orient, voire en Israël.
swissinfo.ch : Quel est l’impact de ce blocus de trois ans sur la population de Gaza ?
Nicolas Wadimoff : Le blocus est inhumain, barbare et injuste. Des Palestiniens vivent dans une pauvreté absolue, sont quotidiennement à la recherche de moyens de subsistance quand tout manque, que ce soit l’essence, l’eau, le bois ou les pièces détachées.
Ce n’est pas la famine, car 80% de la population (1,5 million de personnes) dépendent de l’aide humanitaire, mais la crise est compensée par la contrebande. Les souterrains ne permettent pas seulement de passer des armes, mais aussi des frigos, des générateurs, des animaux, des jouets et de la nourriture.
Mais les pires effets du blocus sont d’ordre psychologique. Si vous êtes enfermé dans une prison géante, vous commencez à adopter des comportements sectaires et vous vous radicalisez. Heureusement, Internet constitue un contrepoids à cet isolement psychologique puisqu’il permet de rester en contact avec le monde extérieur.
swissinfo.ch : Vous avez tourné plusieurs documentaires sur le Proche-Orient, et les territoires palestiniens en particulier. Pourquoi cet intérêt ?
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Nicolas Wadimoff
akkafilms.ch
N.W. : J’ai des origines mélées et je suis sensible aux thèmes de la terre, de l’appartenance et de l’identité. C’est aussi une région où je me sens très bien accueilli. Les Palestiniens sont forts et chaleureux, il ont un remarquable sens de l’hospitalité, mais aussi de la dignité et du courage.
Une autre raison, plus intellectuelle, fait que je suis absolument pas satisfait de la couverture médiatique et politique des événements de cette région et du conflit israélo-palestinien en général. Que ce soit à la TV ou dans les journaux, je ne trouve rien de ce que je vois et expérimente dans les territoires palestiniens.
Quand ils s’intéressent à ces derniers, et surtout à Gaza, les journalistes ou les politiciens n’ont que deux mots à la bouche : des victimes ou des terroristes, rien d’autre. Soit vous êtes un activiste du Hamas, soit une victime du Hamas ou de l’occupation, point barre.
On oublie qu’il y a là-bas des gens avec des histoires individuelles. Avec le cameraman Frank Rabel et l’écrivaine Béatrice Guelpa, nous voulions donner une voix et un visage aux gens qui sont généralement traités comme des numéros, ou des stéréotypes.
swissinfo.ch : Parmi les histoires et les scènes que vous avez tournées, quelle est votre préférée ?
N.W. : Une scène montrant une vieille femme ramassant des débris de plastique, de porcelaine et de tissu devant sa maison en ruine. Il y a une sorte de dimension universelle dans son geste. Nous n’avons pas de choix, en tant qu’humains. Que ce soit à Gaza, après le séisme en Haïti ou après le génocide au Rwanda, il faut se relever et commencer à reconstruire sa vie.
swissinfo.ch : Malgré la destruction et les ruines, votre film offre tout de même une forme d’espoir.
N.W. : Le titre lui-même, Aisheen (Toujours en vie à Gaza), résume le sens du film. Face à cette situation désespérée, avec très peu de perspectives à court, moyen et long terme, ce qui demeure, malgré les pro-Palestiniens, les pro-Israéliens, le Hamas, le Fatah ou le blocus, ce sont les gens. Montrer qu’ils sont toujours vivants est la seule chose tangible ici et maintenant et il faut leur rendre hommage.
Il n’y a pas longtemps, j’ai suivi un débat sur le conflit à la télévision française : pas une fois il n’a été question des civils en tant qu’individus, on n’a parlé que d’Israël, des territoires occupés ou du Hamas. C’est ainsi que nous oublions qu’il y a de gens qui vivent là-bas.
Voir à Gaza quelqu’un qui retape un parc d’attraction, qui maintien ouvert un zoo ou une école, ou encore qui enregistre un album de hip hop, ce sont des actes pleins de dignité et de vitalité, ce qui est leur seul atout, actuellement.
swissinfo.ch : Qu’avez-vous l’intention de faire de ce film ?
N.W. : Je suis bien décidé à le montrer en Israël. Nous attendons une invitation de la cinémathèque de Tel Aviv, qui nous l’a promis.
Avec mon film, je veux organiser un débat avec le public israélien et lui montrer que Gaza n’est pas peuplée de 1,5 million de barbus du Hamas armés jusqu’aux dents, mais de gens comme vous et moi. Que faire ?
Entretien par Simon Bradley/Swissinfo.ch
6 juin 2010 - Swissinfo.ch - Traduction de l’anglais : Isabelle Eichenberger
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8887