mardi 8 juin 2010

Seul contre tous

Par Christian Merville | 08/06/2010
Ils se préparaient à lancer une attaque terroriste par la mer, les quatre nageurs abattus hier, selon la version officielle donnée par Tel-Aviv. La preuve ? Ils étaient palestiniens, membres des Brigades des martyrs d'al-Aqsa, devait-on apprendre par la suite, et portaient des combinaisons d'hommes-grenouilles, donc hautement dangereux pour la sécurité du pays et tout juste bons pour une rageuse rafale de mitrailleuse lourde. Mission accomplie donc, cette fois encore.
L'incident, survenant une semaine après l'arraisonnement musclé, en pleines eaux internationales, de la « flottille de la liberté » trahit un état d'esprit qui relève de la psychose maladive susceptible de déboucher à tout moment sur un casus belli - encore que l'on voit mal des Arabes un doigt sur la gâchette, prêts à en découdre avec l'ennemi.
Les plus inquiets ces temps-ci, il conviendrait plutôt de les chercher dans le camp des amis d'Israël. C'est Daniel Levy, porte-parole de JStreet, groupe qui se veut aux États-Unis l'anti-AIPAC, qui constate : « Le fait pour l'État hébreu de disposer de nos jours d'un appareil de communication dix fois plus puissant qu'il y a vingt ans n'empêche pas une érosion de son image aux yeux du public US. » C'est Élie Barnavi, ancien ambassadeur de son pays à Paris, qui cite un récent sondage indiquant qu'Israël arrive en cinquième position (67 pour cent d'appréciations favorables) après le Canada, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et le Japon et juste avant l'Inde et la France (1). Ou encore cet autre sondage cité par la BBC le 19 avril : la patrie d'Avigdor Lieberman se range parmi les nations dont la cote de popularité est la plus basse, juste avant l'Iran, le Pakistan et la Corée du Nord.
L'autre soir, un ami, vieil habitué de la chose proche-orientale, se posait la question, faussement étonné : « Comment ont-ils fait pour dilapider, en si peu de temps, un capital de sympathie amassé sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale ? » Comment ?
En cédant à ce qui, dans la Grèce antique, était considéré comme le plus grand crime : l'ubris, immanquable dernier pas avant la chute.
Anthony Cordesman n'hésite pas à parler du fardeau que commence à représenter Israël pour son protecteur yankee, un jugement qui trouve écho à Washington, aussi bien à la Maison-Blanche qu'au Pentagone et même au département d'État. Principal argument avancé par cet oracle, titulaire de la chaire Arleigh A. Burke au Center for Strategic and International Studies (CSIS) : les gouvernements qui se sont succédé à la direction des affaires publiques, et notamment l'actuelle équipe, n'ont pas tenu compte de la sécurité nationale de leur principal protecteur et ont pris des décisions qui ont nui à ses intérêts à travers le monde. Le New York Times énumère les dommages collatéraux de l'affaire des embarcations saisies la semaine dernière et de la colonisation effrénée dans les territoires occupés, citant le refroidissement des relations avec la Turquie, le coup de frein à la formation d'une coalition arabo-musulmane opposée au programme nucléaire iranien, le malaise dans les rapports avec le monde arabe et l'impossibilité d'aller de l'avant dans le processus de paix. Dans ce dernier cas, il serait utile peut-être de rappeler qu'en dix-sept mois de navette, George Mitchell n'a jamais éprouvé le besoin de se rendre à Gaza.
Il ne faut pas croire cependant que les Américains se rangent comme un seul homme sous la bannière de l'administration Obama. Étrangement, la cote de popularité de George W. Bush entreprend une lente remontée, due aussi, il faut le reconnaître, à de nombreux facteurs : fragilisation de l'administration démocrate, retard pris par la relance économique, difficultés dans la solution du problème de la marée noire,incertitudes concernant l'Irak et l'Afghanistan, etc. Après avoir donné la piteuse impression de faire marche arrière - « Israël a le droit de se défendre », avait-il décrété la semaine dernière - , le vice-président Joe Biden a cru rectifier le tir en annonçant que Washington était à la recherche de « nouveaux moyens » pour répondre à la situation à Gaza. C'est nettement insuffisant au regard d'une conjoncture que tout le monde s'accorde à juger explosive.
Cependant, tout comme à la veille des élections qui devaient porter le Hamas au pouvoir dans l'enclave, la dernière opération israélienne a remis en selle la formation de Khaled Mechaal et d'Ismaïl Haniyé. Cela devrait faciliter une embellie susceptible de déboucher sur une relance, même timide, des efforts de paix. Pour peu que l'on veuille voir le verre à moitié plein. Pour peu aussi que les zozos de l'équipe Netanyahu cessent de jouer les gros bras.
(1) À un ami juif, de Régis Debray (éd. Flammarion).
http://www.lorientlejour.com/category/Moyen+Orient+et+Monde/article/660184/Seul_contre_tous.html