mercredi 23 juin 2010

Lui ou moi ?

Monde Arabe - 22-06-2010

Par Badia Benjelloun 
Ce monde est condamné par plus d’une décennie de crises avouées, climatiques, financières, politiques et idéologiques dont la chimère la plus hideuse fut l’élaboration de la théorie du « choc des civilisations » diffusée par une propagande grossière à la mesure de l’indigence intellectuelle des élites occidentales chargées de justifier les expédients d’un capitalisme guerrier à l’agonie. Il est parturient, et la mise au monde d’un autre monde s’effectue à la vitesse de la conscience qu’on en a et dans le sens que nous lui imprimons. Les intérêts du complexe militaro-industriel, véritable agent organisateur du pouvoir aux US(a) depuis au moins 1945, avaient accouché de la doctrine débile d’une Guerre Sans Fin au Terrorisme.
« Lui ou moi
Ainsi commence la guerre
Mais elle s’achève par une rencontre embarrassante
Lui Et moi.
»
Mahmoud Darwich
In L’État de siège, Acte Sud, mars 2004, p. 62
Le Prince Turki Ben Abdul Aziz al Saoud aurait mis en garde la famille régnante en Arabie, la sienne, contre un soulèvement populaire ou un coup d’État militaire et l’a encouragée à quitter le pays avant un tel événement qui ne saurait être qu’imminent. Les Ibn Séoud n’ont plus prise sur les préceptes religieux qu’ils avaient mis en place pour asseoir leur pouvoir et l’opposition ne les voit plus que comme un moyen d’interférer dans la vie privée des citoyens et de restreindre leur liberté.
Toujours d’après cette lettre publiée dans la revue Wagze, le prince Turki exhorte la famille royale à s’éclipser rapidement et lui recommande d’aller vivre de ses avoirs en exil en Suisse au Canada ou en Australie. Compter sur les US(a) ou Israël serait se leurrer car aucune de ces deux entités ne survivra à une telle transformation.
Chaque monarchie arabe aurait-elle donc son prince rouge, sa ‘conscience’ susceptible d’alerter qui veut bien l’entendre des évolutions géopolitiques par presse internationale interposée ?
Cette interpellation avait précédé de peu la « fausse » révélation du Times très embarrassante selon laquelle les dirigeants saoudiens assureraient un corridor aérien à l’aviation sioniste qui l’obligerait à une trajectoire bien incurvée en cas d’attaque contre les sites nucléaires iraniens.
Le démenti même rapide apporté à cette allégation, signalement coquin aux copains qu’on peut en dire plus si vous en faites trop, ne peut corriger son effet désastreux dans l’opinion arabe et internationale assurée de la subordination inconditionnelle de la quasi-totalité des gouvernements arabes à leurs alliés donneurs d’ordres.
Une fois la psy-op enclenchée, la rafale des mainstream media continue de décharger son flot de plans d’attaque de rechange. L’emploi de la Géorgie comme base de lancement implique le survol aujourd’hui bien compromis de la Turquie.
Au fond, toutes ces rodomontades de l’Étaticule sont la preuve absolue que sa maladie auto-immune congénitale, fausse conscience nationale basée sur un colonialisme fédérant des émigrés venant de toutes régions du monde autour d’une psychose paranoïaque et érigeant un événement historique traumatique en religion imposée est arrivée à un stade d’évolution avancée.
Enfermés dans la croyance aberrante qu’ils sont les Éternelles Victimes d’un monde hostile et tous occupés à de sordides petites histoires de prévarications et de corruption, les dirigeants israéliens ne perçoivent plus que leur propagande jusques là plus ou moins efficace n’opère plus. Coup sur coup l’agression du Liban en 2006, celle de Gaza fin 2008 début 2009 et enfin l’injustifiable tuerie dans des eaux internationales de civils auxquels est reproché de se défendre avec des couteaux de cuisine ont discrédité irréversiblement la seule démocratie de l’Orient Arabe.
Laquelle démocratie compte près de 50% de ses enfants scolarisés dans des écoles religieuses hassidiques subventionnées par l’État. La situation d’apartheid à la fois très subtile et très efficace imposée aux Palestiniens ‘incarcérés’ dans les Territoires de 1948 a imprégné les esprits au point qu’elle est devenue une norme sociale étendue par les Ashkénazes réputés être les pionniers fondateurs de l’entité aux Sépharades, juifs de deuxième catégorie indignes de leur être mêlés. Démonstration éclatante est faite du racisme anti-’oriental’ de cette colonie européenne ici appliqué à des cibles juives. La plus grosse manifestation d’Israéliens de ces dix dernières années a drainé à Al Qods ce 17 juin 150.000 ultra-orthodoxes qui revendiquent la séparation des écolières ashkénazes de leurs paires sépharades refusant le verdict d’une Cour Suprême qui a ordonné leur mixité dans une école d’une colonie en Cisjordanie (illégale faut-il le rappeler) !
Ce monde est condamné par plus d’une décennie de crises avouées, climatiques, financières, politiques et idéologiques dont la chimère la plus hideuse fut l’élaboration de la théorie du « choc des civilisations » diffusée par une propagande grossière à la mesure de l’indigence intellectuelle des élites occidentales chargées de justifier les expédients d’un capitalisme guerrier à l’agonie. Il est parturient, et la mise au monde d’un autre monde s’effectue à la vitesse de la conscience qu’on en a et dans le sens que nous lui imprimons. Les intérêts du complexe militaro-industriel, véritable agent organisateur du pouvoir aux US(a) depuis au moins 1945, avaient accouché de la doctrine débile d’une Guerre Sans Fin au Terrorisme.
Les Séoud sont invités à quitter l’Arabie qui leur a été indûment remise par les Britanniques au détriment des Hachémites.
Et c’est un siècle qui dit adieu à un temps ancien nourri au lait d’une énergie fossile et pétreuse.
La promesse échangée entre Roosevelt et le Sultan Abd El Aziz un certain février de l’année 1945 sur un bâtiment de l’US Navy au retour de la Conférence de Yalta est en voie de devenir caduque.
Les forages dans les grandes profondeurs marines, rendus nécessaires par la baisse de débit des sites exploités, coûtent bien plus qu’ils ne peuvent en rapporter même pour le capitalisme le plus sauvage, le moins régulé et le moins concerné par les désastres écologiques qu’il commet.
L’émergence sur la scène internationale d’une Turquie il y a peu tenue en respect et condescendance par une Europe étendue à l’Estonie n’ayant jamais pratiqué les dieux de l’Olympe et tardivement le Dieu de la Trinité chrétienne en est un symptôme.
La fragmentation de l’Irak à sa porte fomenté par le colonialisme sioniste qui finance les indépendantistes kurdes depuis bien avant la fin du mandat britannique sur la Palestine l’a contrainte à une révision de sa stratégie pendant que l’embourbement sans issue des US(a) en Irak et en Af-Pak l’a confortée dans sa naturelle propension à s’affirmer comme puissance régionale.
Après tout, il fallait bien faire passer dans les faits diplomatiques une réalité incontournable désormais. Selon le dernier rapport de l’OCDE, le déplacement des richesses vers les pays hors OCDE n’est pas transitoire. Si en 2000, les pays industrialisés représentaient 62% de la production mondiale, en 2010 ils ne fournissent plus que 49% et leur contribution prévisible pour 2030 sera réduite à 39%.
Le machin de l’ONU peut faire pleuvoir des ‘sanctions’ contre l’Iran et l’Union Européenne abonder dans le même sens et faire une surenchère, les échanges internationaux, quand ils s’accroissent, c’est dans le sens Sud-Sud. Par ailleurs, leur application est en pratique quasi-impossible car elle alourdirait considérablement les vérifications bureaucratiques de ce monde qui prétend interdire les frontières aux capitaux et marchandises.
Rassurer la ‘communauté ‘internationale sur les intentions de l’Iran est une platitude élaborée par les officines de communication US-sionistes car tout pays ayant adhéré au Traité de Non Prolifération Nucléaire a le droit d’enrichir de l’uranium selon les articles de ce même traité. L’offre conjointe turque et brésilienne de déplacer l’enrichissement de l’uranium iranien en Turquie n’a pas réussi à briser la mécanique aveugle des sanctions mise en service depuis que Sharon n’a pu obtenir le bombardement de l’Iran.
L’autisme des Occidentaux les a empêchés d’y voir l’ambition nucléaire légitime à la fois du Brésil et de la Turquie qui a compris elle aussi depuis la mésaventure irakienne qu’il lui faut se prémunir contre les folies des bellicistes.
Et franchement, sans la vente de quelques Rafales au Brésil, de quoi pourra se targuer comme réussite tout court et comme succès commercial le gouvernement sortant français, tellement satellisé autour de l’axe otanesque qu’il n’est plus qu’une ombre parlant au nom d’une ancienne grande nation en voie d’extinction. D’ailleurs le sinistre en charge des Affaires Étrangères ne donne plus du tout de la voix.
L’Étaticule n’a jamais été un lieu où les Juifs pouvaient se sentir en sécurité, au contraire, son mode de naissance et sa définition le vouait à être une forteresse qui assiègerait ses voisins et s’enfermerait dans une guerre sans fin.
Comme beaucoup de ses citoyens sont en train de le réaliser et que de plus en plus parmi eux émigrent, y compris vers le Birobidjan que leur avait réservé Staline aux confins de la Sibérie, avec quelques centaines de milliers en moins, l’entité qui se nommait Israël pourrait devenir l’État de tous ses citoyens quelle que soit leur confession ou absence de celle-ci.
En attendant une issue de cet ordre qui pourrait se réaliser sans bruit et sans fracas, l’étranglement consenti par 6 milliards de spectateurs hagards sur un million et demi de leurs congénères habitant Gaza sous les ordres impérieux d’un Israël qui impose son blocus depuis janvier 2006 est en train de se desserrer doucement, trop doucement.
Badia Benjelloun
20 juin 2010