dimanche 13 juin 2010

"Les faucons israéliens pris en flagrant délire"

Israel - 12-06-2010  
Un sous-marin, un avion espion et des commandos spéciaux pistaient la flotille humanitaire se dirigeant vers Gaza. ils se sont cru tout permis.
Par Claude Angeli

Le Canard Enchaîné, mercredi 2 juin 2010, page 3 
L'armée israélienne n'avait pas seulement mobilisé des commandos d'élite, des frégates, des hélicoptères et des Zodiac pour intercepter les six navires de la flotille humanitaire. Un sous-marin et un avion-radar étaient aussi chargés de pister le petit convoi et d'enregistrer les conversations à bord. Ces moyens démesurés, eu égard à l'objectif poursuivi, ont été notés avec surprise, à Paris, par l'état-major de la marine.
Quelques heures avant que Sarkozy ne se décide enfin, à 13h6, lundi 31 mai, à exprimer "sa profonde émotion" et à condamner "l'usage disproportionné de la force" par les Israéliens, ces mêmes officiers de marine paraissaient moins gênés que lui aux entournures. "Une grave bavure et pas un dérapage", disait l'un d'eux, en insistant sur la volonté israélienne d'infliger une spectaculaire leçon aux pacifistes et aux pro-Palestiniens.
L'ami Netanyahou
Même son de cloche, si l'on ose dire, à la Direction du renseignement militaire. Lundi matin, sans attendre l'oracle de l'Élysée, on y dénonçait déjà une "riposte totalement disproportionnée", face à des navires qui transportaient 10 000 tonnes d'aide à destination de Gaza (matériaux de construction, maisons préfabriquées, fauteuils roulants, équipement médical, etc). Et, bien sûr, pas d'armes, les Turcs avaient tout vérifié avant le départ.
Verdict sévère, mais plus "professionnel", entendu à l'état-major des armées : "L'armée israélienne n'est plus ce qu'elle était". Et de critiquer, grâce aux informations recueillies sur place, une opération "mal conçue, mal planifiée, mal exécutée". Mardi 1er juin, plusieurs journaux israéliens tiraient les mêmes leçons de ce fiasco, quand ils ne se lamentaient pas sur l'effet produit à l'étranger.
Le raid israélien passe mal chez certains diplomates qui connaissent bien le Proche-Orient. "La guerre de Gaza avait déjà terni l'image d'Israël, confie l'un d'eux. Mais la complaisance internationale habituelle, Etats arabes et France y compris, à l'égard de toutes les actions israéliennes, a laissé croire aux dirigeants de ce pays qu'ils pouvaient tout se permettre". A preuve la déclaration du ministre travailliste de la défense, Ehoud Barak, qui, comme d'autres, regrette les morts mais ne "trouve rien à redire" au comportement de ses commandos spéciaux. Ou celle du Premier ministre Netanyahou, qui "approuve" l'ensemble de l'opération.
La semaine dernière, Sarkozy avait reçu cet "ami chef d'Etat", selon la formule d'un autre diplomate. Lequel estime que "c'était lui faire beaucoup d'honneur, alors qu'il continue à développer la colonisation dans les territoires palestiniens. Malgré l'insistance de la France pour qu'il y renonce". Ce diplomate l'ignore, mais Sarkozy en a rajouté pour complaire à Netanyahou. "Je ferai tout, lui a-t-il promis, pour qu'il y ait des sanctions lourdes et rapides contre l'Iran".
Arabes israéliens exclus
Avec une relative malchance, l'ambassadeur de France à Tel-Aviv, Christian Bigot, avait organisé, à la veille du raid israélien, trois journées d'échange sur le thème "Démocratie : les nouveaux défis". Une cinquantaine de personnalités devaient contribuer à relever ce "défi" fort délicat - intellectuels, politiques, journalistes, etc- mais aucun Arabe israélien (près de 20% de la population) n'avait l'honneur de figurer parmi les invités. Soucieux d'éviter d'être accusé de discrimination, l'ambassadeur a, parait-il, décidé d'en admettre deux dans ce cénacle. Admirable effort.
Le 30 mai, Bernard-Henri Lévy a ouvert les débats avec Limor Livnat, le très à droite ministre de la Culture. "Je n'ai jamais connu une armée aussi démocratique que celle d'Israël", a proclamé BHL ce jour-là. Manque de chance (bis), quelques heures plus tard, les commandos passaient à l'attaque. Et notre cher philosophe, pris entre deux feux, de qualifier leur action de "stupide" (c'est un peu court) et de se plaindre : "Les films [sur l'assaut des navires] que nous avons vus ce matin [lundi 31 mai] sont dévastateurs pour ce pays que j'aime tant".
Fraternité d'armes ?
Le tollé provoqué dans le monde entier par ce dernier fait d'armes israélien a déclenché une série de demandes d'enquête internationale et et de condamnations diverses à l'ONU, plus nettes dans l'Union européenne, notamment sur le blocus de Gaza.
D'autres pourraient bientôt venir de l'Union africaine, voire - on n'y croit guère - de l'OTAN. Mais cela n'empêchera pas, sans doute, la poursuite d'une discrète coopération militaire franco-israélienne.
Déjà au programme : échanges et entraînements collectifs en matière de contre-guérilla, de combats en zone urbaine, de lutte contre les attentats. Des officiers de l'armée de l'air israélienne ont récemment participé, en France, à des simulations de guerre électronique, d'attaques de sites-radars sur les bases de Biscarosse (Landes) et de Cazaux (Gironde).
En principe, des militaires français iront bientôt en Israël s'entraîner aux combats en zone habitée. Grâce aux expériences des uns et des autres, en Afghanistan, dans les territoires palestiniens et au Liban.
Cette coopération, dont personne ne fait des gorges chaudes - allez savoir pourquoi... -, a reçu la bénédiction de Sarkozy et de Netanyahou. Deux hommes l'ont mise en musique : le patron des armées israéliennes, Gaby Askhenazi, et son homologue français, Jean-Louis Georgelin, qui vient de prendre sa retraite. Seul défaut de l'exercice, il n'est pas prévu de vendre de la quincaillerie militaire - des Rafale, par exemple - aux Israéliens. Lesquels ont toujours préféré s'équiper aux USA, et ils n'ont aucune envie de changer de fournisseur. Cette semaine encore, Obama a refusé de condamner leur assaut meurtrier.