lundi 29 mars 2010

Jérusalem-Est : « Nous vivons comme des chiens, encerclés »

publié le dimanche 28 mars 2010
Delphine Matthieussent

 
Plongée à Issawiya, quartier où les heurts israélo-palestiniens de la semaine dernière ont été particulièrement violents.
L’heure de la sortie des classes à Issawiya : une nuée d’écoliers et d’adolescents envahit les ruelles de cette bourgade palestinienne étalée à flanc de coteau, sur le versant septentrional de la colline séparant Jérusalem du désert de Judée. L’heure aussi à laquelle les jeunes se regroupent parfois dans la rue principale pour lancer des pierres contre les policiers israéliens, visibles sur un terre-plein qui surplombe la localité. Car Issawiya, qui compte une dizaine de milliers d’habitants, fait partie de ces localités palestiniennes à la périphérie de Jérusalem, pauvres, mal desservies et peu intégrées au tissu urbain, annexées par Israël et rattachées aux frontières municipales. C’est à Issawiya, ainsi que dans le camp de réfugiés de Shouafat, un peu plus au nord, que les affrontements entre jeunes palestiniens et policiers israéliens, qui ont fait plusieurs dizaines de blessés la semaine dernière, ont été les plus violents. Ils ont même fait craindre le début d’une troisième intifada.
« J’y suis allé avec mes cinq frères. Un des jeunes a perdu un œil, un autre a pris une balle dans le pied, mais pour défendre la mosquée Al-Aqsa, je suis prêt à me battre tous les jours », lance fièrement Hassan, 12 ans, accoudé au comptoir poussiéreux de l’épicerie familiale. Sa mère, Azizeh, qui affirme souhaiter une troisième intifada, opine. « Je suis inquiète pour mes enfants, mais il faut bien que nous défendions nos sites religieux. » A l’origine de ces tensions, des rumeurs, attisées par le Hamas et certains responsables du Fatah (le parti du président palestinien, Mahmoud Abbas), qui prêtent aux autorités israéliennes la volonté de saper les fondements de la mosquée Al-Aqsa. L’édifice, troisième Lieu saint de l’islam, est construit sur l’esplanade des Mosquées qui surplombe le mur des Lamentations, sacré pour les juifs. C’est de là qu’était partie la deuxième intifada, en 2000.
Provocations. Le gouvernement israélien a jeté de l’huile sur le feu la semaine dernière en inaugurant en grande pompe, dans le quartier juif de la vieille ville, une synagogue rénovée. Le mois dernier, il avait déjà annoncé son intention d’inscrire au patrimoine national israélien le caveau des Patriarches, à Hébron, et le tombeau de Rachel, près de Bethléem, en Cisjordanie - deux lieux sacrés tant pour les juifs que les musulmans. Soit autant de gestes perçus comme des provocations par les Palestiniens. Mais ces tensions religieuses, endémiques à Jérusalem, sont loin d’être les seules responsables des récentes violences dans la Ville sainte et en Cisjordanie. La politique israélienne de judaïsation de la partie orientale de la ville, qui s’est intensifiée depuis l’arrivée au pouvoir de Benyamin Nétanyahou, a évidemment attisé la rancœur et les frustrations des habitants palestiniens. Hani Esawi, responsable de la station de bus d’Issawiya, soupire : « Il y a pire que les constructions à Ramat Shlomo [l’annonce de nouvelles installations dans ce quartier de colonisation de Jérusalem-Est a provoqué la crise récente entre l’Etat hébreu et les Etats-Unis, ndlr]. Les Palestiniens de Jérusalem-Est suffoquent, ils se sentent assiégés. Ils sont encerclés par le mur. Israël démolit leurs maisons, les expulse, refuse de leur donner des permis de construire, les exproprie de leurs terres, confisque leur carte d’identité [de résident de Jérusalem] à la moindre occasion. Ils n’en peuvent plus. »
Ali et Aida el-Hommus tiennent une petite épicerie au rez-de-chaussée d’une des maisons de plusieurs étages construites à quelques mètres les unes des autres, entre lesquelles serpentent les ruelles étroites, jonchées de sacs poubelles non ramassés depuis plusieurs jours. Ils vivent avec leurs cinq enfants dans une pièce encombrée des cartons de fruits et de sacs de sucre, qui sert aussi d’arrière-boutique à l’épicerie. « Je ne vends pas pour 100 shekels [environ 20 euros] par jour. Nous vivons comme des chiens, dans un trou, encerclés de partout par les constructions israéliennes », enrage Ali, faisant référence aux quartiers de colonisation israéliens, à l’ouest et au nord d’Issawiya, et à la colonie de Maale Adoumim, à l’est. « Ce n’est qu’une question de temps avant que nous soyons tous expulsés de Jérusalem », ajoute-t-il. Il ne pense cependant pas qu’une troisième intifada soit la solution : « Je ne crois pas nos dirigeants et je n’écoute pas leurs appels. Ils essayent tous de nous manipuler. L’Autorité palestinienne veut une intifada parce que les négociations sont bloquées, le Hamas parce qu’ils veulent discréditer Abbas. Mais qu’est-ce qu’on peut faire contre Israël ? Ces affrontements ne mèneront à rien. Tout ce que nous voulons, c’est vivre en paix, gagner notre vie et pouvoir élever nos enfants. »
Pression. La perspective d’un soulèvement palestinien comparable à celui de 2000 est dès lors peu probable, estiment la plupart des analystes. D’abord parce que les forces de sécurité israéliennes, tirant les leçons de l’embrasement de 2000, ont limité les risques de dérapages en réduisant au maximum les affrontements directs avec les manifestants. Lors des récents heurts, dont la durée et l’intensité ont été relativement limitées, ce sont des policiers israéliens en civil qui sont massivement intervenus. Surtout, l’Autorité palestinienne n’a pas intérêt à une explosion de violences alors qu’Israël subit la pression de Washington sur la question de la colonisation. Enfin, des formes nouvelles de protestation, non-violentes et très médiatisées, se sont développées : manifestations hebdomadaires dans les villages de Ni’lin et Bi’lin contre le mur de séparation israélien, dans le quartier de Sheikh Jarrah (à Jérusalem-Est), contre les expulsions de familles palestiniennes et boycott des denrées produites dans les colonies de Cisjordanie. Le journaliste et homme politique palestinien Hanna Siniora juge ces actions particulièrement efficaces : « Je ne crois pas à une nouvelle intifada parce que des actions non-violentes commencent à prouver leur efficacité en ralliant le soutien des organisations israéliennes de défense des droits de l’homme et de la communauté internationale. »