lundi 29 mars 2010

De la colonisation en Palestine

dimanche 28 mars 2010 - 12h:49
Rudolf Bkouche - UJFP/IJAN
Il n’y a pas de colonisation en Palestine. Le terme "colonisation" non seulement traduit mal l’anglais "settlement" mais transforme le sens de ce qui se passe en Palestine.
Revenir sur ce terme permet de mieux comprendre la position de Netanyahou face à Obama, lequel semble n’avoir rien compris aux sources du conflit.
Quant à ceux qui se contentent de dénoncer le gouvernement de droite, voire d’extrême droite, de Nétanyahou et Libermann, s’ils affichent ainsi une bonne conscience à peu de frais, ils montrent leur incompréhension du conflit et de l’idéologie qui en est la cause, le sionisme.
La position des sionistes de gauche qui prônent un retour aux frontières d’avant 1967 et dénoncent la colonisation dans les territoires conquis en 1967, si elle manque de cohérence historique, a au moins le mérite d’une certaine cohérence idéologique : comme l’explique Zeev Sternhell, la guerre d’indépendance marquait "le droit des hommes à être maîtres de leur destin" (1) et la proclamation de l’Etat d’Israël marquait la victoire de l’idée sioniste. En écrivant ces lignes, Sternhell oublie ainsi que la question de la maîtrise de leur destin concerne aussi les Palestiniens, mais c’est la position des sionistes de gauche que de refuser d’entendre le point de vue des Palestiniens. Ils peuvent alors, et les adeptes de La Paix Maintenant s’y complaisent, dénoncer les méchants colons qui s’opposent à la paix, occultant ainsi le fait que la colonisation participe de la politique israélienne, et que cette politique a été mise en place dès 1967 alors que les travaillistes, c’est-à-dire la gauche israélienne, étaient au pouvoir.
On réduit ainsi le conflit à l’occupation qui a suivi la guerre de 1967 et on évite de répondre aux colons qui posent la question : "En quoi s’installer à Hébron serait-il plus illégitime que s’installer à Haïfa ?" comme le raconte Alain Finkielkraut dans La réprobation d’Israël. (2) Les conséquences de la conquête de 1948, c’est-à-dire la Naqba, la destruction de la société palestinienne, disparaissent derrière un discours qui se veut de paix.
On oublie aussi que la seule tentative de paix a été faite par Yasser Arafat qui proposait en 1988 le principe de la reconnaissance de deux Etats, l’israélien sur le frontière de 1949 (soit 78% du territoire palestinien), le palestinien sur les 22% restant. C’était poser le principe de "la paix contre les territoires" mais il n’y a jamais eu de réponse israélienne.
Ce qu’on appelle la colonisation n’est en fait qu’une annexion déguisée. On peut alors poser la question : pourquoi l’Etat d’Israël qui a annexé Jérusalem n’a-t-il pas annexé les territoires qu’il convoite et qu’il considère comme faisant partie de son territoire ?
Annexer Jérusalem avait une valeur symbolique et cela permettait cette rodomontade qui consiste à proclamer Jérusalem capitale éternelle d’Eretz Israël ; qu’importe alors que les nations, y compris les nations alliées d’Israël, ne reconnaissent pas cette annexion, c’est l’Etat d’Israël et lui seul qui décide de sa capitale. Alors pourquoi ne pas annexer la Judée-Samarie qui est, pour le sionisme, le berceau de la nation juive. Ce n’est pas une question de droit international pour un Etat qui a montré qu’il savait s’en moquer. Annexer la Judée-Samarie implique que la population qui y réside devienne israélienne, autrement dit l’annexion implique un surplus de population indésirable et cela l’Etat d’Israël ne peut l’accepter.
Face à ce problème, l’Etat d’Israël a décidé de pratiquer une annexion de fait. Occuper le maximum de territoire tout en rendant la vie de plus en plus difficile pour les Palestiniens qui s’entêtent à rester dans leur pays.
L’occupation a un objectif, préparer l’annexion de ce que les Israéliens appellent "les territoires disputés", comme si le statut de ces territoires restait indéfini dans l’attente qu’ils reviennent à leur propriétaire naturel, Eretz Israël.
La guerre de 1948 n’est pas achevée comme l’expliquait Tania Reinhart (3), la Judée-Samarie, terre juive, ne peut être que juive.
Alors, quand le président des Etats-Unis demande le gel des implantations pour relancer les négociations, Israël peut s’en moquer et finit par proposer un compromis : gel de dix mois des implantations, lequel ne prend pas en compte les bâtiments en construction et ne concerne pas Jérusalem. Et pour mieux montrer sa détermination, le gouvernement israélien annonce, lors de la visite du vice-président Biden, pourtant sympathisant d’Israël, la construction de 1 600 logements à Jérusalem-Est ; devant la réaction américaine, Netanyahou s’excuse : "il ne fallait pas l’annoncer pendant la visite de Biden", comme si la question était celle de la visite de Biden. A cela s’ajoute la construction d’une synagogue à Jérusalem-Est, double provocation, d’une part envers les Palestiniens pour leur rappeler qui est le maître, d’autre part envers les alliés occidentaux pour leur rappeler qu’Israël ne transige pas. Que cette synagogue soit la reconstruction d’une ancienne synagogue détruite par les Jordaniens importe peu ici, la question est moins religieuse que politique, il s’agit de montrer aux Palestiniens que Jérusalem est une ville juive donc israélienne (4). Une fois de plus, l’Etat d’Israël utilise le religieux pour mettre en avant sa politique.
A ces provocations israéliennes, ses alliés, les Etats-Unis et l’Union européenne n’opposent que des prières : "Messieurs les Israéliens, cessez de provoquer, acceptez de gelez les implantations pour reprendre les négociations". Comme s’il y avait des négociations à reprendre ! Et comme toujours on demande à l’Autorité palestinienne de reprendre des négociations qui n’existent pas en oubliant l’occupation, l’annexion rampante que constituent les implantations, le blocus de Gaza. Que les Palestiniens se montrent compréhensifs pour deux ! Tel est le discours de ceux qui jouent à la paix. Et on pourra dire ensuite que si les négociations ont échoué, la responsabilité incombe aux Palestiniens incapables de faire la moindre concession, discours qui revient à chaque fois qu’un processus dit de paix s’arrête, occultant ainsi que l’objectif d’un processus de paix est de ne pas aboutir.
Il semble que cette fois-ci l’Autorité palestinienne refuse de jouer au processus et à la négociation. Mahmoud Abbas vient de déclarer, lors de la réunion de la Ligne arabe, que, sans gel de la colonisation, il n’y aurait pas de négociations, directes ou indirectes. C’est le minimum que l’on puisse exiger. On sait que, dans l’état actuel des territoires laissés aux Palestiniens, il n’y a pas d’Etat possible, autrement dit que la solution de deux Etats, proposée il y a plus de vingt ans par Arafat, n’a aucun sens. On sait aussi que si la concession faite en 1988 par Arafat pouvait avoir un sens à l’époque, aujourd’hui elle n’a plus de sens et les gouvernements israéliens successifs sont là pour le rappeler. Israël refuse la solution des deux Etats tout simplement parce qu’il exige toute la Palestine.
Quant au Secrétaire général de l’ONU, après être allé à Gaza, il se contente de demander aux Israéliens de lever le blocus. A sa décharge, il sait qu’il n’a aucun moyen de coercition sur Israël, il sait que ces moyens dépendent du bon vouloir des Etats-Unis et de l’Union européenne et que l’ONU n’a aucun pouvoir de décision.
Quant au célèbre quartette qui devait conduire à la création de l’Etat de Palestine en 2005, il se contente encoure une fois de demander à Israël de faire quelques concessions.
Israël peut dire "NON", il sait que les puissances se contenteront de quelques prières auxquelles il ne répondra pas. Ainsi occupation et annexion rampante peuvent continuer. Les seuls qui en souffrent sont les Palestiniens. Mais qui s’en soucie ?
Tel est aujourd’hui l’état des lieux. Devant l’incapacité des puissances, incapacité volontaire ou non peu importe, il ne reste que le soutien aux Palestiniens, et c’est le rôle de BDS (boycott, désinvestissement, sanction) que de marquer ce soutien. Ce rôle est double, d’une part soutenir la lutte des Palestiniens, d’autre part dénoncer la complicité des Etats qui laissent faire voire soutiennent la politique israélienne.
Que certains voient dans BDS une forme d’antisémitisme à réprimer montre seulement leur complicité avec une politique de conquête et d’oppression (5). Mais c’est l’argument essentiel d’Israël et de ses alliés de lancer des accusations d’antisémitisme dès qu’on critique la politique israélienne, effet de manche facile alors qu’il est nécessaire de distinguer Juifs et sionistes et d’exiger que les responsables israéliens cessent de jouer aux représentants des Juifs du monde.
Rudolf Bkouche
UJFP (Union Juive Française pour la Paix)
IJAN (International Jewish AntiZionist Network)
[1] Zeev Sternhell, Aux origines d’Israël , Gallimard, Paris 1996/2004
[2] Alain Finkielkraut, La réprobation d’Israël, "Médiations", Denoël/Gonthier, Paris 1983
[3]Tanya Reinhart, Détruire la Palestine, traduit de l’anglais par Eric Hazan, La fabrique éditions, Paris 2002
[4] C’est ainsi que Netanyahou clame que les Juifs bâtissent à Jérusalem depuis 3000 ans, réaffirmant une fois de plus la continuité entre l’Israël antique et l’Etat d’Israël.
[5] On peut citer l’amalgame fait pas François Fillon au dîner du CRIF entre produis israéliens et produis cachères, amalgame repris par Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice. On peut citer aussi l’article imbécile et odieux de Michaël Ghnassia sur la dérive des pro-Palestiniens (Le Monde, 24/03/10).
Diffusé par palestine@palestine.org - 28 mars 2010
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