Nour Odeh - Al Jazeera
          Malgré les pluies incessantes de gaz lacrymogènes, des grenades  assourdissantes, des balles en acier couvertes de caoutchouc, le nombre  de manifestants palestiniens n’a cessé d’augmenter, écrit Nour Odeh.         
          
Les forces israéliennes d’occupation  répriment férocement tout mouvement de protestation dans les Territoires  Palestiniens sous Occupation.
Un de mes amis m’a demandé l’autre jour, depuis combien  de temps je n’avais pas été autorisée à entrer dans Jérusalem. « Près de  dix ans », lui répondis-je, « sauf pour enregistrer pour un passage de  deux heures au consulat américain chercher un visa, il y a trois ans ».
« Pour moi, c’est huit ans », me dit-il.
Puis nous nous sommes aperçus que la plupart des enfants  et des « jeunes » dont nous parlons au cours des affrontements à  travers la Cisjordanie, qui se sont mobilisés contre les mesures  israéliennes dans la ville occupée, n’ont probablement jamais vu  celle-ci !
En effet, la plupart des hommes non mariés âgés de moins  de 35 ans ne peuvent que rêver d’obtenir un permis israélien pour  visiter Jérusalem-Est occupée, que les autorités israéliennes ont  physiquement séparée du reste de son environnement palestinien par une  série de murs et de checkpoints.
Mémoire collective
Pourtant, les gens disent que c’est Jérusalem, le sujet  de chansons et qui génère des passions, le condensé de l’histoire  nationale. Ces jeunes ont un lien profond et émotionnel avec Jérusalem, y  sont liés par une mémoire collective et y sont attachés à travers la  culture, le patrimoine et, oui, la religion.
Alors que je couvrais les dramatiques affrontements dans  toute la Cisjordanie les jours de la semaine écoulée, ces sentiments  nationaux étaient limpides. Les garçons et jeunes gens palestiniens ont  manifesté chaque jour, depuis maintenant plusieurs jours.
Malgré les pluies incessantes de gaz lacrymogènes, des  grenades assourdissantes, des balles en acier couvertes de caoutchouc,  leur nombre n’a cessé d’augmenter, ne diminuant en rien. Et les  affrontements gagnent en ampleur, en s’éloignant des checkpoints et en  s’étendant dans les rues et ruelles.
C’est là que les affrontements deviennent directs parce  que les jeunes Palestiniens sont si proches des soldats israéliens...  Ils peuvent presque les toucher.
Le bruit des grenades assourdissantes, des pierres  frappant les toits autour de nous et l’asphalte entre nos pieds et les  terrible gaz lacrymogènes... C’est déroutant. D’autant plus que dans ces  types d’affrontements, il n’y a pas de fronts - les affrontements  éclatent partout : à gauche, à droite, en avant, en arrière.
Ces scènes se répètent à travers la Cisjordanie, y  compris Jérusalem-Est, des affrontements étant signalés à l’ouest de  Ramallah, à Ni’lin - un village récemment déclaré zone militaire fermée  par Israël - dans des villages au nord de Naplouse, et Hébron au sud de  Jérusalem.
Vue différente
A Jérusalem, la situation est différente, plus difficile  à déchiffrer. C’est une ville très surveillée, avec des caméras et des  policiers en civil partout y compris au milieu des habitants. Ces  affrontements sont un écho du climat général parmi les Palestiniens,  déçus par l’inaction internationale et frustrés par la perte progressive  de tout espoir dans un avenir de paix, de liberté, et d’opportunités.
La colère, les manifestations et les bouleversements  politiques ont tous été alimentés par l’évolution de la situation.  Récemment Israël a annoncé, pour l’expansion des colonies, une série de  plans  qui ont fortement irrité les Palestiniens. Israël ouvre aussi la  porte grande ouverte, et de façon inédite, à de dures critiques  internationales y compris de l’allié d’Israël le plus important : les  Etats-Unis.
Puis survint un événement qui a injecté des sentiments  religieux et peut-être une ferveur dans ce dangereux mélange de tension  et d’impasse politique. Des groupes extrémistes de droite israéliens ont  inauguré la synagogue Hurva, dangereusement située près du Haram  al-Sharif qui abrite le troisième lieu saint de l’Islam : la mosquée  Al-Aqsa.
La synagogue a été construite en grande partie par des  contributions privées. Mais le problème est qu’elle a été construite  dans la partie orientale occupée de la Ville et sur le terrain d’un  quartier arabe palestinien rasé par Israël peu de temps après qu’il ait  occupé Jérusalem en 1967.
Autrefois, on l’appelait le quartier Charaf, maintenant  il est nommé le quartier juif. Mais Israël ne réagit pas, même du bout  des lèvres, à la critique internationale.
Demande « déraisonnable »
Mercredi, le ministre israélien des affaires étrangères,  Avigdor Lieberman [extrême-droite ultra-nationaliste et ultra-raciste -  N.d.T] a déclaré qu’il était « déraisonnable » pour la communauté  internationale de demander à Israël d’arrêter la construction dans  Jérusalem-Est occupée.
Il a également estimé que la déclaration du Quartet,  publié ce vendredi, « nuit à la possibilité de parvenir à un accord [de  paix] ». Pour quelle raison ? Parce que le Quartet a condamné [de façon  purement formelle, comme à l’habitude - N.d.T] les actions israéliennes à  Jérusalem-Est occupée et a déclaré qu’Israël devait à présent les  stopper.
Les Palestiniens considèrent Jérusalem comme le cœur et  l’âme de leur identité, de leur histoire, résumée dans les anciennes  murailles qui en disent long sur une histoire turbulente et obstinée,  passée et présente. Une histoire qui malgré les effusions de sang et la  misère, dispense encore à l’humanité des messages d’amour et de paix.
Mais l’histoire de la terre sainte et de son caractère  sacré est peut-être aussi sa malédiction.
Des guerres qui ne sont pas  saintes...
C’est dans la Via Dolorosa à Jérusalem que Jésus est  censé avoir marché, portant sa croix, pour le salut de l’humanité. Et  c’est dans cette ville que des carnages se sont produits, au nom de Dieu  - et  dans des guerres qui n’ont rien de sacré - pour dominer la ville  sainte.
Pourtant, c’est également dans cette ville que le  meilleur de l’homme, et des fidèles de Dieu, a prévalu et où ont dominé  les premiers signes de coexistence religieuse qui ont brillé sur le  monde.
Mais le conflit entre Palestiniens et Israéliens touche à  la terre et à la souveraineté. C’est avant  tout une lutte nationale.
Mais Jérusalem, qui était la clé de l’échec des  pourparlers de paix de Camp David en 2000, est l’élément le plus  explosif dans cette lutte, car la ville est un symbole religieux autant  que national.
« Impératif patriotique »
pour les Palestiniens de toutes les confessions,  Jérusalem-Est occupée, ou la Jérusalem arabe [Al Qods], est un impératif  patriotique sacré.
La même chose s’applique aux juifs israéliens. Et les  fidèles de trois religions monothéistes du monde ont Jérusalem au cœur.
C’est pourquoi autant que Jérusalem pourrait être un  symbole d’une coexistence religieuse pacifique, elle peut aussi se  transformer en étincelle pour enflammer les sentiments les plus sombres  de l’humanité, faits de préjugés, de haine et de guerres de religion.
Les mesures prises par Israël à Jérusalem, craignent les  observateurs depuis longtemps, pourraient engendrer cette obscurité car  elles sont emballées dans une rhétorique religieuse profondément  provocante.
Cette terrible perspective semble une menace imminente  planant dans le ciel de Jérusalem ces jours-ci.
 
 * Nour Odeh est  correspondante d’Al Jazeera dans les Territoires Palestiniens sous  Occupation
 
 
