samedi 13 février 2010

Sur l'Indignation morale

Bethléem - 12-02-2010
Par Mazin Qumsiyeh 
Mercredi dernier 10/02, vers 15h, un ami qui vit près du secteur menacé de Ush Ghrab m’a appelé pour me dire que l’armée venait d’arriver et qu’elle était en train de défoncer au bulldozer le sommet de la colline. Comme je l’ai expliqué dans un mail précédent, cette colline de plus de 1000 dunums (100 ha) est située à Beit Sahour et elle est entourée de maisons palestiniennes de tous les côtés. C’est du haut de cette colline que les soldats bombardaient la ville, détruisant et endommageant de nombreuses habitations. Mais l’armée israélienne a évacué la base militaire en 2006 (un lieu de résistance non violente pendant de nombreuses années).

J’étais sur les lieux en cinq minutes et j’ai constaté les activités en cours. Les soldats m’ont montré un ordre daté du 29 janvier 2010, avec une carte indiquant une zone fermée de dimension importante (bien plus grande que la base militaire originale). J’ai appelé quelques personnes, qui en ont appelé d’autres, et bientôt, nous étions une quarantaine. L’ordre est en hébreu, et personne ne le lit. Un peu plus tard dans la soirée, nous en avons fait une traduction partielle, et il est typique de tous les ordres israéliens : de vagues justifications à la sécurité pour mener à bien ce qui est à l’évidence un vol de terre, du harcèlement, etc. Les propriétaires privés de cette terre ont décidé la semaine dernière de planter des arbres vendredi 12. Nous diffusons cette action et demandons aux gens de venir sur le site dès jeudi 11. Venez nous rejoindre pour soutenir la résistance populaire.

Voir la vidéo de la visite du 10 février sur le site (c’est une vidéo amateur, merci de votre compréhension).

La réponse rapide de nombreux activistes auxquels nous avons téléphoné mercredi et jeudi m’a fait réfléchir sur tous ces gens qui sont prêts à tout laisser tomber pour se battre pour la justice, pendant que d’autres (les soldats par exemple) obéissent aveuglément à des ordres manifestement illégaux en vertu du droit international, ou restent simplement silencieux (le silence est complicité) ? De nombreux sud-africains blancs ont rejoint l’ANC et d’autres mouvements de libération indigènes, pendant que d’autres se taisaient ou participaient aux crimes ! De nombreux israéliens ont abandonné le sionisme et ont rejoint la lutte locale. D’autres vivent leur vie quotidienne, sans se soucier de ce qui se passe derrière les grilles de la ségrégation (Geder HaHafrada, en hébreu).

Mais pourquoi un employé de Yad Vashem obéit-il aux ordres et parle-t-il simplement à tous les visiteurs de la victimologie perpétuelle et leur dit-il que le sionisme est la seule réponse, alors qu’un autre s’est fait viré parce qu’il a dit aux quelques visiteurs que juste au bas de la colline, il y a le village ethniquement nettoyé de Deir Yassin, où les futurs dirigeants d’Israël ont perpétré un massacre d’une brutalité indescriptible en 1948 ?

Qu’est-ce qui distingue les gens, exactement ? Pourquoi quelqu’un comme Alan Dershowitz choisit-il de soutenir la torture, le racisme, et de défendre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ? Et pourquoi quelqu’un comme Hedy Epstein, une survivante des camps de concentration, choisit-elle de faire la grève de la faim pour soutenir les 1,5 millions de Palestiniens de Gaza assiégés et appauvris ?

Pourquoi un homme politique palestinien conduit-il une Subaru bouffeuse d’essence et porte-t-il de beaux costumes pendant que d’autres palestiniens choisissent de se tenir debout devant un bulldozer ou un char, et se fait tirer dessus ou emprisonner ?

Pourquoi un blanc privilégié aux Etats-Unis choisit-il de se taire et de payer des impôts qui serviront à tuer des Irakiens, des Afghans et des Palestiniens ? Pourquoi une autre blanche privilégiée choisit-elle de venir nous rejoindre dans la lutte ? Rachel Corrie, jeune étudiante américaine de 23 ans, a été délibérément écrasée par un bulldozer israélien alors qu’elle tentait de défendre la maison d’un pharmacien palestinien. Tom Hurndall et d’autres ont payé cher. Tous les ans, des milliers d’internationaux viennent soutenir notre lutte. Pourquoi des millions restent-ils dociles ? N’est-il pas vrai que « le silence est complicité » et que « vous ne pouvez rester neutre dans un train en marche (1) » ?

Il serait superficiel et faux de dire que c’est la question d’avoir une conscience qui différencie les gens. Nous avons tous vu des gens changer et rejoindre la lutte et dire que ce n’est pas une question d’idée ou d’éducation. Alors, qu’est-ce qui a pu les convaincre de changer ? Un collègue a écrit que ceux qui se soumettent vivent plus confortablement, mais qu’ils sont comme des « esclaves domestiques ». Au temps de l’esclavage, il y avait les « esclaves des champs », qui travaillaient sous le soleil toute la journée, et les « esclaves des maisons » privilégiés, qui étaient bien habillés, bien nourris mais pour autant toujours des esclaves. On devenait « esclave domestique » en étant docile et fiable (vis-à-vis des maîtres). Personnellement, je pense que les propriétaires d’esclaves étaient aussi des esclaves. Je pense que ceux qui ont rejeté le système et oui, à l’occasion, ont pris des coups de fouet, ceux-là étaient libres dans leur cœur et leur esprit.

Aujourd’hui, je crois que ceux qui souffrent sont, de nombreuses manières, plus libres et plus à l’aise dans leur peau que les propriétaires d’esclaves et les esclaves domestiques. Je crois que les propriétaires d’esclaves sont devenus libres lorsqu’ils ont libéré leurs esclaves et quand, entre temps, les esclaves domestiques ont refusé de le rester.

Dans notre situation, ici, je crois que beaucoup de Palestiniens et d’Israéliens sont asservis et qu’ils ne le savent même pas. Il y en a peu qui sont parvenus à se défaire des chaînes qu’ils ont noué eux-mêmes autour de leurs cerveaux (comme mon grand-père nous l’a enseigné quand nous étions gamins).

Je trouve que l’amitié et le soutien des gens libres d’esprit est un vrai bonheur dans la vie. Mais pourtant, la question demeure de pourquoi des gens se comportent comme ils le font, et peut-être, plus important, comment les gens changent.

J’aimerais avoir votre opinion là-dessus. Qu’est-ce qui peut nous aider à atteindre les gens pour les amener à faire preuve d’un peu de force morale, d’un peu de courage, à briser leurs chaines, à se libérer d’être l’oppresseur ou l’opprimé ? J’aimerais partager ce que vous en pensez avec le reste du monde (ces emails sont lus par des dizaines de milliers de gens). Si vous voulez, dites-moi que vous êtes d’accord pour que je poste vos points de vue sur le site ou si vous souhaitez qu’ils restent privés à :
QUMSI001@hotmail.com

Si vous vivez dans la région de Bethléem, venez nous rejoindre jeudi 11 et vendredi 12 pour planter des arbres, pour la camaraderie, pour l’activisme, et pour le courage.

Mazin Qumsiyeh, PhD
Popular Committee to Defend Ush Ghrab (PCDUG)
A Bedouin in Cyberspace, a villager at home


Vidéo des 1er et 2 février, montrant les activités coloniales israéliennes dans le district de Bethléem.

(1) Mazin Qumsieh fait référence au livre d’Howard Zinn, dont le titre français est : « L’impossible neutralité » (éd. Agone) (NdT) 
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=13424&type=temoignage&lesujet=Nettoyage%20ethnique