samedi 27 février 2010

Sites religieux en Cisjordanie : Netanyahou joue avec le feu

publié le vendredi 26 février 2010

René Backmann

 
Il a annoncé dimanche (21 février) sa décision d’inscrire le Caveau des Patriarches et le Tombeau de Rachel, à Bethléem au patrimoine de l’Etat d’Israël, décision lourdement politique [1]
Il y a exactement seize ans aujourd’hui, le 25 février 1994, un colon israélien, Baruch Goldstein entrait, armé de son fusil d’assaut de réserviste dans l’aile du Caveau des Patriarches à Hébron réservée aux musulmans et ouvrait le feu sur les fidèles en prière, tuant 29 d’entre eux avant d’être tué à son tour par les survivants.
Benjamin Netanyahou pouvait-il avoir oublié ce sanglant anniversaire, ses collaborateurs et conseillers étaient-ils incapables - ou n’avaient-ils pas jugé bon - de lui rafraîchir la mémoire, lorsqu’il a annoncé dimanche sa décision d’inscrire le Caveau des Patriarches et le Tombeau de Rachel, à Bethleem au patrimoine de l’Etat d’Israël ?
Car cette décision, en apparence d’ordre strictement culturel, est en réalité lourdement politique. Et quasi provocatrice sur le plan religieux. Mosquée d’Ibrahim pour les musulmans, Tombeau d’Abraham et des Patriarches bibliques pour les juifs, le Caveau des Patriarches est l’un des hauts lieux historiques de Cisjordanie. Il se trouve en plein centre de Hébron où vivent 160 000 palestiniens, mais aussi, 600 colons juifs, rassemblés à proximité du Caveau qu’ils tiennent pour un lieu saint.
La présence de cette enclave au cœur de la ville et d’une autre colonie, à la périphérie - Kyriat Arba, où vivent 6500 Israéliens - explique que l’armée israélienne n’ait évacué qu’une partie de Hébron en 1998, et qu’elle soit présente en force aujourd’hui encore, dans la ville alors qu’elle a quitté les autres villes palestiniennes. Elle explique aussi la permanence des tensions entre Israéliens et Palestiniens. Tensions aggravées par l’extrémisme des colons locaux, pour lesquels Baruch Goldstein est un héros. Sa tombe, sur une colline en lisière de Kyriat Arba est devenue un lieu de pélerinage pour les colons ultra-nationalistes et messianiques.
Des sites historiques pour les juifs, les chrétiens, les musulmans
Encerclé par une boucle du mur qui l’annexe de fait à Israël, la Tombe de Rachel, où selon la tradition est enterrée la matriarche biblique, à la sortie nord de Bethléem, le long de la route de Jérusalem, est aussi aux yeux des Israéliens un lieu sacré du Judaïsme. Aux yeux des Palestiniens, musulmans et chrétiens, la Tombe de Rachel, comme le Caveau des Patriarches, qui appartiennent au patrimoine religieux et culturel de la Cisjordanie - donc du futur Etat de Palestine - sont des sites de signification historique pour les juifs, les chrétiens et les musulmans.
Ancienne ministre - chrétienne - du gouvernement palestinien, Hanan Ashrawi, membre du Comité exécutif de l’OLP, a estimé mercredi que la décision israélienne était « discriminatoire » et qu’elle « menaçait l’héritage historique et les sites sacrés palestiniens ». Pour elle, l’initiative du premier ministre israélien est une « attaque directe et un crime contre la culture palestinienne ». « Le gouvernement d’extrême droite d’Israël est en train d’empoisonner le climat des négociations à venir et de détruire les avancées qui pouvaient nous conduire vers la relance du processus de paix », estime de son côté Yasser Abed Rabbo, membre lui aussi du Comité exécutif de l’OLP. « Nous rejetons, dans ces conditions toute forme de négociation, a-t-il ajouté. Même des conversations indirectes ».
Cette décision de Benjamin Netanyahou, qui n’a fait l’objet d’aucun commentaire de Nicolas Sarkozy, dimanche soir, alors que le président palestinien se trouvait à Paris, a provoqué aux Etats-Unis une visible irritation. Annoncée au moment où Hillary Clinton estimait être proche de la reprise des négociations, alors que plusieurs hauts-fonctionnaires du département d’Etat étaient au Proche-Orient et que le ministre israélien de la défense, Ehoud Barak était attendu à Washington, où il doit rencontrer Hillary Clinton demain vendredi, cette décision a provoqué une mise au point très ferme du Porte parole du Département d’Etat, Mark Toner. « Nous considérons cette initiative comme une provocation qui n’aide en rien à atteindre notre objectif : réunir les deux parties autour de la table des négociations.
Comme on pouvait le craindre, la décision de Netanyahou a provoqué, depuis dimanche, des heurts, dans plusieurs quartiers de Hébron entre manifestants et soldats israéliens. Aux pierres et bouteills incendiaires des jeunes palestiniens ont répondu les grenades lacrymogènes et les balles caoutchoutées des soldats [2] . Dans ce climat très instable, la déclaration, ce jeudi, de Benjamin Netanyahou assurant qu’il « n’y aura pas de changements du statu quo, ni au caveau des Patriarches, ni à la Tombe de Rachel » n’a rassuré personne. A quoi joue alors le premier ministre israélien ? Fait-il une concession à l’aile la plus extrémiste de son éléctorat avant l’ouverture des "négociations indirectes" en préparation, ou entend-il invoquer la tension du moment pour retarder encore l’heure de répondre à l’invitation à négocier avancée par Washington ?
Alors qu’une réunion du Quartette (Etats-Unis, Union européenne, Nations Unies, Russie) est en chantier, peut être pour la mi-mars à Moscou, et que les navettes de l’émissaire américain George Mitchell et de ses collaborateurs s’efforçaient - sans succès spectaculaire pour le moment - de rétablir un minimum de confiance entre les deux parties, Benjamin Netanyahou qui avait déjà provoqué deux journées d’émeutes meurtrières, en septembre 1996, en autorisant le creusement d’un « tunnel archéologique » à Jérusalem, n’avait-il pas d’autre choix que de jouer, une fois encore, aussi imprudemment avec le feu ?
[1] voir aussi le Monde :

De l’usage très politique des caveaux et tombeaux en Terre sainte

A quoi bon ? Pour quelle raison Benyamin Nétanyahou, premier ministre israélien, a-t-il choisi d’ajouter deux lieux saints particulièrement sensibles à la liste des sites enregistrés au patrimoine archéologique d’Israël, une mesure qu’il savait foncièrement provocante pour les Palestiniens, et que rien ne justifiait ? C’est la question que se posaient nombre d’éditorialistes et d’hommes politiques israéliens, mercredi 24 février.
Ces deux sites, le caveau des Patriarches (dans la Bible : Abraham, Isaac et Jacob), à Hébron, et le tombeau de Rachel (la femme préférée de Jacob), à Bethléem, sont vénérés à la fois par les juifs, les musulmans et les chrétiens. Ils sont situés en Cisjordanie mais placés sous très haute protection de l’armée israélienne.
Sitôt connue la nouvelle de leur inscription, lundi, sur la liste de quelque 150 sites historiques devant bénéficier de mesures de restauration, des heurts se sont produits à Hébron, et les protestations se sont multipliées dans de nombreux pays arabes. Faisant pour une fois chorus avec le Hamas, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a dénoncé "une grave provocation pouvant entraîner une guerre sainte".
L’un de ses principaux lieutenants, Yasser Abed Rabbo, a estimé que, dans un tel contexte, "il sera difficile, sinon impossible, de reprendre des négociations sérieuses, qu’elles soient directes ou indirectes", a-t-il précisé en référence aux "discussions de proximité" qui devraient s’ouvrir prochainement entre Israéliens et Palestiniens, sous l’égide des Etats-Unis.
A Paris, le Quai d’Orsay a souligné que la décision israélienne ne va pas dans le sens de la confiance nécessaire à la reprise des négociations. Alors que le cabinet de M. Nétanyahou a dénoncé une "campagne palestinienne hypocrite", le président Shimon Pérès a tenté de calmer les choses en assurant qu’il n’est nullement question de porter atteinte à la liberté de culte, notamment celle des musulmans et des chrétiens, sur des sites religieux qu’il s’agit seulement de réhabiliter.
"Judaïser" les lieux saints
Le problème est que le caveau des Patriarches et le tombeau de Rachel... n’en ont pas besoin : le premier, qui abrite une mosquée et une synagogue contiguës, a fait l’objet de travaux récents, tant par l’Agence juive que par les autorités musulmanes. Quant au second, il est en excellent état. C’est pour cette raison que la liste initialement préparée par les services du gouvernement avait exclu ces deux lieux saints.
Ceux-ci ont été ajoutés à la dernière minute à la suite des pressions du parti juif ultra-orthodoxe séfarade Shass, comme l’a lui-même reconnu M. Nétanyahou. Cette concession à l’extrême droite religieuse, d’autant plus gratuite que la coalition gouvernementale n’est pas menacée, relève des "gestes" auxquels le premier ministre consent de temps en temps au profit de la mouvance politique des colons. Rien d’étonnant donc, si elle est ressentie par les Palestiniens comme s’inscrivant dans une politique délibérée de "judaïser" les lieux saints, en particulier Jérusalem.
Laurent Zecchini
titre modifié, ajout de notes et chapeau : C. Léostic, Afps