samedi 27 février 2010

La Syrie est de retour

publié le vendredi 26 février 2010
Richard Labévière
 
Longtemps « paria », Damas, qui joue un rôle pivot dans la région, est aujourd’hui courtisé.
En accomplissant son chemin de Damas – le dernier voyage d’un Premier ministre français remonte à 1977 –, François Fillon s’était fixé comme objectif « d’élever nos relations commerciales au même rang que notre relation politique ». Il est vrai que la France n’est que le 15e fournisseur et le 14e investisseur d’une Syrie qui affiche une croissance annuelle de quelque 3 %. Pays économiquement émergent, la Syrie retrouve progressivement l’importance diplomatique de sa géographie proche-orientale : celle d’un pays pivot sans lequel rien de durable ne peut se négocier ni se faire.
Accompagné d’une trentaine de chefs d’entreprise et de trois ministres, François Fillon a signé un contrat pour la vente de deux avions ATR (27 millions d’euros) et un protocole d’accord pour une partie de l’extension de l’aéroport de Damas. La négociation est amorcée pour un développement de centrales solaires, et l’appel d’offres pour la construction du métro de la capitale. Les sanctions américaines en vigueur depuis 2004 bloquent d’autres dossiers, notamment celui de la vente de 14 Airbus, pour laquelle un protocole est conclu depuis 2008. Cette affaire pourrait bénéficier d’un prochain dégel…
« On a beaucoup critiqué le choix de la France. Je me réjouis qu’il soit aujourd’hui imité par les États-Unis », a souligné le Premier ministre français faisant allusion à un autre chemin de Damas, emprunté trois jours plus tôt par William Burns, le numéro 3 du Département d’État américain. Le 17 février dernier, Damas a accordé ses lettres de créance au nouvel ambassadeur américain Robert Ford, tournant ainsi la page d’une brouille de sept ans.
Alors que la Commission d’enquête des Nations unies sur l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri s’est discréditée en accumulant des faux témoignages et que quatre généraux libanais accusés d’être pro-syriens ont dû être relâchés faute de preuves, la diplomatie syrienne a su desserrer l’étau pour revenir au premier plan. Son chef, Walid Mouallem, a profité du sommet arabe de Damas (29 et 30 mars 2008) pour faciliter l’élection du nouveau président ­libanais, Michel Sleiman (25 mai 2008), pour initier des pourparlers avec Israël par l’intermédiaire de la Turquie et pour s’attacher les parrainages du Qatar et, dans une moindre mesure, de la France.
Le « grand retournement » opéré depuis la visite de Bachar al-Assad à Paris, en juillet 2008, peut s’expliquer de trois manières : la volonté sarkozyste de tourner la page des années Chirac et de son amitié avec Rafic Hariri ; une autre volonté du même d’atténuer son tropisme pro-américain et pro-israélien ; enfin, une troisième volonté d’occuper une place – peu ou prou – laissée vacante par la diplomatie américaine. Alliés à des potentialités économiques de « petit tigre » proche et moyen-oriental, ces différents effets conjugués ont replacé la Syrie au centre du jeu. Entre la Turquie, l’Irak, l’Iran, la péninsule arabique et la Méditerranée, la Syrie s’inscrit à la convergence de trois segments stratégiques.
Le premier ramène à l’épicentre de l’arc de crises régionales. En digne successeur d’Hafez al-Assad, l’actuel président syrien a toujours lié la résolution du volet israélo-palestinien à celui de la libération du plateau du Golan dans le cadre des frontières de 1967 et de l’application de la résolution 242 des Nations unies. Cette continuité explique le soutien logistique et politique de Damas au Hamas palestinien et au Hezbollah libanais. Le deuxième concerne l’axe Damas/Téhéran, qui ne s’est jamais démenti depuis la guerre Iran/Irak (1980-1988). Sur ce terrain, les chancelleries occidentales se font encore beaucoup d’illusions sur des actions concertées visant à distendre, sinon à transformer ce partenariat, qui demeure l’une des priorités stratégiques de la Syrie. Enfin, l’entente avec la Turquie permet non seulement de régler des dossiers bilatéraux cruciaux (Kurdistan, l’eau, etc.), mais aussi de s’assurer un parrainage politique doublement porteur, tant en direction de l’Europe que de l’ancienne aire d’influence turkmène.
De fait, la question n’est plus de chercher à savoir quand la Syrie s’éveillera mais bien d’accompagner un réveil qui s’accélère depuis le printemps 2008.