jeudi 4 février 2010

Le projet d’échange de terre : une transgression juridique, géographique et politique

Palestine - 02-02-2010
Par Salman Abu Sitta
L’auteur est fondateur et président de la Société de la terre palestinienne et conseiller honoraire de Middle East Monitor (MEMO)
Les colonnes des journaux foisonnent en ce moment de commentaires sur des gesticulations diplomatiques arabes, israéliennes et états-uniennes qui suggèrent de nouvelles initiatives dans le processus de paix, qui est mort il y a quelques temps (bien que personne n’ait encore signé son certificat de décès). Ces tentatives de ressusciter le processus ne le ramèneront pas à la vie parce que les causes de sa mort sont décisives et ce sont les mêmes causes que nous connaissons depuis des décennies.




























 
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Les démarches « nouvelles » n’ont strictement rien de neuf, elles sont simplement des appels recyclés et reconditionnés à revenir aux lignes d’armistice de 1949 (connues sous le nom erroné de « frontières de 1967 », elles ne sont pas de 1967 et il n’y a pas de frontières).
Dans le même temps, elles prévoient d’autoriser les colonies israéliennes situées au-delà de la ligne d’armistice à faire partie d’Israël, par un processus d’échange de terre. Ce projet n’appelle pas l’application du droit au retour (des réfugiés) bien qu’il affirme la nécessité de se conformer au droit international, plutôt vainement puisqu’il sera entièrement soumis aux diktats d’Israël et des Etats-Unis.
L’objectif de la nouvelle version est l’échange de terre demandé par Israël ; ce n’est pas une demande de négociation aussi innocente qu’elle en a l’air parce qu’Israël veut essentiellement invalider le droit international, qui dit que Gaza et la Cisjordanie sont des Territoires Occupés. Israël veut également casser l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice, selon lequel cette terre palestinienne est occupée et que les occupants doivent s’en retirer complètement ; et que le mur d’apartheid contrevient au droit, qu’il doit être démantelé et que des indemnités doivent être payées.
Ainsi, en un seul coup, Israël veut démolir les normes juridiques établies et transformer la terre au-delà du mur en ce qui sera, au mieux, un Etat palestinien avec une souveraineté partielle. Ce sera très similaire à ce qu’Israël a réalisé par le traité de paix avec l’Egypte en 1979, qui laissait aux Egyptiens une souveraineté incomplète sur de grandes étendues du Sinaï, même s’il y avait un retrait militaire israélien total.
Si des concessions sont faites à Israël sur cette base, et si les négociateurs palestiniens les acceptent, alors la cause palestinienne sera fragmentée en dossiers séparés relativement petits, comme les frontières, l’eau, les colonies, les réfugiés et autres, basés sur le principe de droits égaux de la Palestine et d’Israël en Cisjordanie. Ce qui restera à marchander ne sera que la répartition de ces droits entre les deux parties, selon un équilibre du pouvoir
Ceci justifie le tollé provoqué par la question de l’échange de terre. Les journaux étaient pleins de commentaires sur les « informations de dernière minute », dans le Haaretz du mois dernier (Aluf Benn: Olmert's plan for peace, 17/12/2009), avec publication d’une carte de la proposition d’’échange de terre. Le plan a été présenté au président palestinien Mahmoud Abbas pour lecture ; de manière puérile, il s’en est vu refuser une copie officielle à moins qu’il accepte de le signer, pour accord.
La duperie israélienne n’a pas de limites mais personne ne s’y laisse prendre, sauf ceux qui sont désespérés ou ignorants des faits, ou les deux. Israël veut échanger la terre qu’il a occupée en 1948 par la terre qu’il a occupé en 1967, alors qu’il n’a de droit ni sur l’un ni sur l’autre. Israël croit que cette formule donne une légitimité à la terre occupée une année ou l’autre par la suppression des droits des propriétaires en sa faveur. Certains peuvent dire qu’Israël « est propriétaire » de la terre qu’il échange pour les colonies, mais c’est faux ; même s’ils reconnaissent Israël en tant que pays, contrôle de la terre ne signifie pas propriété et la terre reste la propriété de son propriétaire initial, peu importe le temps qu’il faut pour la récupérer. En conséquence, Israël n’a pas le droit légal de suggérer un tel échange de terre, à moins que le propriétaire de la terre transfère d’abord son titre de propriété à Israël, ce qui, bien sûr, ne va pas se produire légalement.
Une étude du projet d’Olmert, en l’état, montre que, en fait, il propose la confiscation des terres palestiniennes situées entre le mur d’apartheid et la ligne d’armistice de 1949, y compris Jérusalem Est, ce qui veut dire qu’il considère que les nouvelles frontières d’Israël sont le tracé du mur lui-même (voir la carte). Ce qui veut dire un ajout d’environ 370 km² de Cisjordanie à Israël, en plus des 68 km² de la partie arabe de Jérusalem annexé en 1967, soit un total de 438 km² de territoire.
Une des ironies de l’histoire est qu’Israël veut étendre la superficie cédée par le Roi Abdullah (de Jordanie) en mars 1949 sous la menace que le nouvel Etat d’Israël de l’époque n’occupe la Cisjordanie toute entière. Cette « concession » d’Abdullah a vu une superficie de 375 km², dont 70 villages et leurs 100.000 habitants, tomber sous la domination israélienne.
L’escroquerie proposée aujourd’hui par Olmert a plusieurs précédents : l’armistice avec la Jordanie, en mars-avril 1949, stipulait que la Jordanie disposait du droit d’échanger la terre cédée à Israël avec d’autres terres, à Al-Fator (district de Bissan) et à dans le district d’Al-Khalil (Hébron). Des garanties furent données qu’Israël paierait le coût d’une nouvelle route entre Qalqilia et Tulkarem pour rétablir la connexion entre elles après le compromis territorial susmentionné.
Bien sûr, rien de ce genre n’est jamais arrivé ; l’argent pour la route n’a jamais été payé, Al-Fator n’a pas été récupéré et la terre à Hébron n’a pas été acquise. Ce n’était que du théâtre bidon, et les acteurs le savaient ; et ce qui est surprenant, c’est qu’Al-Fator était une terre arabe en 1949 et qu’elle n’avait nul besoin d’être « récupérée », mais puisque tout ceci n’était que pour la galerie, Israël l’a, de toute façon, annexée.
Ce projet Olmert, s’il est approuvé, confèrera une légitimité à l’occupation de Jérusalem et de ses environs, l’occupation du secteur de Latrun en Cisjordanie, et la légitimité de l’extraction continue par Israël de l’eau de l’aquifère occidental, le plus grand réservoir d’eau de Cisjordanie.
Qu’a offert Israël en échange d’une telle générosité arabe ? Il offre d’étendre la superficie de la Cisjordanie dans le district d’Hébron de 190 km² (le chiffre 28 sur la carte) de terre qui étaient, et sont toujours, et seront toujours, arides, qui sont vides à part un village arabe qu’Israël ne reconnaît pas ; Atir (ou Um Alhairan) n’a pas d’eau, ni même une sortie sur la Mer Morte. Israël, par conséquent, ne perd rien, mais gagne en se débarrassant d’un autre village arabe. Comme pour la partie ouest du district d’Hébron, Israël offre une expansion de 12 km², également de terres infertiles, ainsi aucune des colonies du secteur ne sera touchée, dont Alchomaripa et Omazia ; cette dernière est construite sur la terre de Dawayma, le village palestinien qui a subi le plus grand massacre lors de la Nakba de 1948. Ces colonies ne seront pas affectées et les colons juifs ne remarqueront aucun changement.
Les observateurs de l’histoire de la Nakba savent que la ligne d’armistice, dans le district d’Hébron, qui part de Jérusalem jusqu’à la Mer Morte, était dans une large mesure arbitraire ; il n’y eut ni bataille ni discussion à ce sujet, ni avec l’Egypte ni avec la Jordanie, les deux ayant des forces pour défendre cette zone en 1948. En effet, la ligne d’armistice aurait pu être à l’ouest de sa situation actuelle, ramenant Fallujah et Beersheba dans la Cisjordanie, ainsi que des centaines de km² de terre. Ce fut une négligence des Arabes, qui perdirent ce territoire.
La ligne proposée autour de Jérusalem et de Latrun est la deuxième tentative majeure de s’emparer de la terre arabe. La première fut menée avec succès en 1949, lorsque Moshe Dayan a déplacé la ligne d’armistice pour inclure l’ouest de Jérusalem et Beit Safafa et les territoires Walaja, ainsi que la ligne de chemin de fer Jaffa-Jérusalem. La seconde est le projet, actuellement proposé, de créer une Jérusalem avec une population juive majoritaire.
L’histoire de Gaza n’est pas moins tragique que celle de la Cisjordanie. La ligne d’armistice réelle acceptée par l’Egypte en février 1949 (montrée sur la carte) alloue à la Bande de Gaza une superficie de 555 km², ce qui représente 200 km² de plus que sa taille actuelle.
Comment est-ce arrivé ? Un « accord de coexistence » secret fut négocié entre le gouvernement égyptien et les Israéliens et signé en février 1950. Le prétexte fut la sécurité, mais en réalité il était destiné à empêcher les Palestiniens de revenir chez eux en traversant la ligne d’armistice ; ces Palestiniens sont considérés par Israël comme des « infiltrés » et en fonction de cet accord, la ligne d’armistice a été déplacée à sa position actuelle. Ce qui est étrange, c’est que l’« accord de coexistence » stipule que l’accord d’armistice originel ne sera pas affecté par ce qui était censé n’être qu’un accord temporaire, mais personne n’a songé à demander que la ligne d’armistice soit ramenée à sa place originale pendant toute la période allant de 1950 à 1967 !
Ceci nous amène au plan Olmert pour la paix, avec l’expansion de la Bande de Gaza de 64,5 km², sur les 200 km² originels volés par la fraude et les négociations secrètes, et dont les Palestiniens n’ont pas connaissance.
Exactement comme la situation proposée pour le district d’Hébron, l’expansion de la Bande de Gaza ne signifie pas le retrait de la moindre colonie ; Beeri, Kissufim ou Nirim, qui ont été construites sur la terre volée à la Bande de Gaza, ne seront affectées en aucune manière.
C’est l’attitude pérenne d’Israël ; il saisit la terre par la force ou l’extorsion, puis propose d’en rendre une petite partie à son propriétaire légal en échange de la forfaiture de ses droits à un morceau entier de terre. Et c’est considéré comme une énorme concession de sa part !
Le vacarme qui a accompagné les fuites sur le plan Olmert était entièrement artificiel et avait pour but de faire progresser la question dans le cadre de la diplomatie arabe et états-unienne. Le plan lui-même a déjà été publié dans la Newsletter of the Foundation for Middle East Peace (FMEP) et n’est donc pas top-secret. L’officier qui a dessiné la carte est Shaul Arieli, qui l’a proposé dans le cadre de « l’Initiative de Genève ».
Au moment de la première diffusion, le général à la retraite Giora Eilan a publié la même carte avec tous les détails dans le Washington Institute's Policy Focus No. 88. Le Général Eilan, qui fut président du Conseil de la Sécurité nationale israélienne de 2004 à 2006, ajouta à son plan un projet intégré pour la « paix » contenant les points suivants :
- Les frontières seraient basées sur l’expansion israélienne en Cisjordanie, en échange d’un retrait symbolique d’Hébron et de Gaza, selon la carte.
- Le retour des réfugiés serait symbolique, accompagné d’une réinstallation massive dans les pays arabes, selon différentes options. C’est la même formule que « l’Initiative de Genève ».
- Jérusalem serait divisée selon les quartiers, laissant la souveraineté à Israël.
- L’Etat de Palestine ne serait pas un Etat et ne serait pas la Palestine telle que nous la connaissons. Elle serait démilitarisée, sans souveraineté ni capacité à s’engager dans des traités étrangers, sans autorité sur ses frontières, sur la Vallée du Jourdain, sur l’espace au-dessus de la terre et en sous-sol, et Israël aurait le droit d’établir et d’exploiter des stations de pré-alerte partout sur son territoire.
- L’eau serait distribuée selon la situation actuelle.
- Un couloir connectant la Cisjordanie et la Bande de Gaza serait créé.
Cette fragmentation a un double objectif : tout d’abord, Israël pourrait s’en tirer sans reconnaître la Cisjordanie et Gaza comme terres occupées, et ainsi elles pourraient être partagées selon l’équilibre du pouvoir. Et ensuite, Israël n’aurait pas à accepter le retour des réfugiés palestiniens dans leurs maisons et sur leur terre.
En conséquence, l’acceptation de négociations sur la base d’une multiplicité de questions conduirait à un piège israélien, alors que les droits des Palestiniens sont clairs et sont fondés sur deux principes :
1. L’irrecevabilité de l’occupation et de l’acquisition de terre par la force, comme confirmé par l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice de juillet 2004, qui demande le retrait d’Israël à la ligne d’armistice de 1949,
2. Le droit au retour pour les réfugiés, qui est un droit confirmé par la communauté internationale plus de 130 fois ; il ne peut pas être annulé et aucune formule alternative ne peut être inventé pour l’abroger.
Il semble que les Etats-Unis aient au fond adopté le plan Olmert sous une forme ou une autre, selon le quotidien Maariv du 5 janvier ; peut-être est-ce la raison des navettes actuelles des ministres arabes des affaires étrangères. Comme le note le journal Al-Hayat, la Secrétaire d’Etat US Hilary Clinton, lors d’une conférence de presse avec le Ministre des affaires étrangères jordanien Nasser Jawdat, a appelé à « mettre fin au conflit » par le biais d’un Etat palestinien avec « un échange amical de terre et la réalisation de l’objectif israélien d’un Etat juif dans des frontières sûres et reconnues. »
Cette dernière clause (la référence à l’« Etat juif ») ouvre la porte, pour Israël, à l’expulsion des Palestiniens vivant dans l’« Etat juif », selon le programme d’échange de terre (voir la carte).
Ce plan ne réussira pas, pour plusieurs raisons :
1. Les Palestiniens n’agréeront pas le soi-disant « échange de terre », puisque le Président de l’Autorité palestinienne n’a pas le pouvoir de remettre la terre palestinienne à Israël parce que les frontières de Palestine ont été établies par la Charte nationale palestinienne de 1968. Une telle décision devrait être déterminée par un Conseil National Palestinien élu, représentant 11 millions de Palestiniens, et un tel conseil n’existe pas.
2. La manière légitime et acceptable de réaliser la justice pour les Palestiniens basée sur leurs droits inaliénables est que les Israéliens mettent fin à l’occupation illégale, lève le blocus immoral imposé sur la Cisjordanie et sur la Bande de Gaza, et réaffirme le droit au retour des réfugiés palestiniens ; personne n’a le droit de renoncer ou d’annuler ces fondements.
Comme l’« Initiative arabe », ce plan n’insiste pas sur le droit au retour et le soumet à l’approbation d’Israël, ce qui ouvre la porte à des négociations durant plusieurs années pour arriver à un accord sur une « solution juste » à la question des réfugiés. Ceci est contraire au fait que le droit au retour est inaliénable, et le droit international a déterminé auparavant que la « solution juste » devait être le retour de ces personnes chez elles, et sur leur terre d’où elles ont été expulsées. Nul besoin donc de négocier sur ce droit, à moins que l’intention soit de le résilier.
Ce qui est projeté aujourd’hui est une nouvelle rédaction de plans qui ont échoué, assortis d’une nouvelle apparence agréée par toutes les parties, sauf par le peuple palestinien. Cette nouvelle formulation israélienne offre à chaque partie en négociation ce qu’elle veut, dont : un échange de terre, un Etat de nom seulement, l’« Initiative de Genève », l’« Initiative arabe » et la bénédiction états-unienne. Mais le peuple palestinien, le possesseur des droits légitimes, qui manque d’une authentique représentation à la table des négociations, ne fera aucune concession aujourd’hui, après soixante ans de ténacité. http://www.ism-france.org/news/article.php?id=13364&type=analyse&lesujet=Sionisme