vendredi 15 janvier 2010

La crise avec Israël repose la question des orientations de la Turquie

15/01/2010
En se tournant vers l'Est, Ankara essaie de tirer avantage de sa situation géopolitique, estiment certains experts.
La crise qui vient d'opposer Israël à la Turquie pose à nouveau la question des nouvelles orientations d'Ankara qui, pour certains analystes, se tourne vers l'Est et les Arabes, et pour d'autres s'emploie seulement à se forger une stature régionale.
En envoyant ses excuses à l'ambassadeur turc, humilié lundi par le ministre adjoint israélien des Affaires étrangères pour une affaire de série télévisée turque jugée antisémite, Benjamin Netanyahu a « exprimé son inquiétude concernant le rafraîchissement des liens entre Israël et la Turquie ». Et il a demandé aux responsables « de trouver les moyens » d'y remédier, indiquait mercredi le cabinet du Premier ministre israélien. En d'autres termes, Israël ne veut pas perdre un précieux allié musulman dans la région, mais s'interroge sur la diplomatie turque.

En moins d'un an, le président turc Abdullah Gül et le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan ont visité trois fois la Syrie et ont reçu ou ont été les hôtes des dirigeants jordanien, égyptien, libanais ou libyen. Des accords mutuels de coopération ou de suppression de visas ont été signés. Recevant lundi le Premier ministre libanais Saad Hariri, M. Erdogan en a profité pour critiquer Israël, comme il le fait régulièrement depuis un an. « Est-ce que le gouvernement israélien est en faveur de la paix ou pas ? » s'est interrogé le dirigeant turc dont le pays, membre de l'OTAN, a signé en 1996 une alliance militaire avec l'État hébreu.
Des propos tenus lundi alors que le ministre israélien de la Défense Ehud Barak est attendu dimanche à Ankara. M. Erdogan a aussi reproché une nouvelle fois aux Occidentaux de s'en prendre à l'Iran, estimant qu'« Israël dispose de l'arme nucléaire » et que « ceux qui mettent en garde l'Iran doivent faire de même pour Israël ». Et début novembre, il avait pris la défense du président soudanais Omar el-Béchir qui est visé par un mandat d'arrêt international, faisant hausser des sourcils à Washington et à Bruxelles.
Pour l'éditorialiste Murat Yetkin, du journal libéral Radikal, l'incident israélo-turc sur le feuilleton TV marque « le début d'une nouvelle période, durant laquelle Israël ne pourra plus obtenir tout ce qu'il veut, peut-être la fin d'un âge d'or ».
Les dirigeants turcs qui sont issus de la mouvance islamiste assurent quant à eux régulièrement que rien n'a changé. « Si la politique d'Israël s'orientait vers la paix (...), les relations entre la Turquie et Israël changeraient de manière positive du jour au lendemain », a répété mardi le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu. Architecte de la diplomatie du « zéro problème avec les voisins » de la Turquie, M. Davutoglu assure que son pays n'a aucun dessein hégémonique, qu'il ne cherche qu'à apporter sa contribution à la paix dans la région. Et qu'il aspire toujours à entrer dans l'Union européenne, même si les négociations d'adhésion sont au ralenti.
« Dans cet incident avec Israël, le gouvernement essaie de se démarquer de l'héritage de la politique des militaires (turcs), à partir de 1995 », explique le politologue Cengiz Aktar, de l'université de Bahcesehir (Istanbul). « Mais ça tombe souvent dans l'excès, dans un discours antisémite », ajoute-t-il. « Le gouvernement se croit investi d'une mission, il se sent pousser des ailes. Les raisons de cette attitude sont multiples : populisme, électoralisme, lassitude vis-à-vis de l'Europe », explique-t-il.
À l'inverse, pour son collègue Seyfi Tashan, de l'Université Bilkent d'Ankara, « la Turquie ne peut pas oublier l'Ouest, et il ne faut pas croire qu'elle s'en écarte ». « Elle essaie seulement de tirer avantage de sa situation géopolitique », explique-t-il.

Michel SAILHAN (AFP)