vendredi 15 janvier 2010

De la valeur d’une vie

publié le jeudi 14 janvier 2010
Joharah Baker

 
Depuis des années, la mort d’un Israélien fait plus de bruit que celle de centaines de Palestiniens.
Au cours des quatre derniers jours, 8 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza par les forces armées israéliennes. Huit personnes. En comparaison avec les plus de 1 400 tués de l’an dernier dans l’opération Plomb durci d’Israël, ce chiffre peut paraître infime. Mais chaque mort est son propre évènement, du moins elle le devrait. Malheureusement cependant, quand la mort frappe un Palestinien, le fait est à peine signalé par le radar.
Rien de nouveau en cela pour les Palestiniens. Depuis des années, la mort d’un Israélien fait plus de bruit que celle de centaines de Palestiniens. Donc, à la lumière des faits récents, rien n’indique que cette tendance effrayante ne change vraiment. La question, c’est pourquoi, et la réponse, semble-t-il, en est limpide jusqu’à la hantise.
La force la plus immédiate et la plus visible derrière ce parti pris, c’est Israël. Israël est peut-être le seul pays au monde, perpétuant une occupation de 42 années et prenant sans interruption autant de mesures illégales contre le peuple occupé, qui puisse encore crier « A l’assassin ». Et quand Israël joue sa carte du « terrorisme », toutes les autres considérations quasiment se trouvent occultées. Peu importe que les Palestiniens aient le droit de résister à l’occupation et que, dans la plupart des cas, les personnes tuées par l’armée israélienne soient bien loin de répondre à quelque définition qui soit du terroriste. Le seul fait qu’Israël – l’allié bien-aimé et le « seul Etat démocratique » du Moyen-Orient – se sente menacé par ce qu’il appelle des terroristes, suffit pour que le monde avale la couleuvre tout entière.
L’exemple le plus flagrant de cette philosophie irrationnelle est ce qui s’est passé dans la bande de Gaza l’an dernier. Le nombre d’Israéliens tués – civils et combattants – durant ‘Plomb durci’ se compte pratiquement sur les doigts des deux mains. Les Palestiniens, par contre, furent tués par centaines, des familles furent anéanties en un clin d’œil et des centaines d’enfants et de bébés furent déposés dans leurs petits linceuls. Pourtant, hors les gens de conscience partout dans le monde – des gens qui ne soutiennent pas nécessairement la cause palestinienne mais celle du droit de l’être humain à une vie digne et libre –, hors ces gens, personne n’a sourcillé. Israël a vendu sa justification du terrorisme dans le territoire gazaoui, sous la forme de roquettes pas plus grosses qu’un pétard de la veille d’un Nouvel An, et s’est acquis la majorité de la planète. S’il n’y avait eu le juge Richard Goldstone et le rapport édifiant que celui-ci a publié sur l’opération dans Gaza et qui accuse fondamentalement Israël (et des groupes armés palestiniens) de crimes de guerre, l’opération Plomb durci serait passée à la trappe de la complicité occidentale, rejoignant tous les autres crimes d’Israël.
On en vient au deuxième facteur. Bien que Goldstone ait mis Israël devant toutes ses violations du droit international et du droit humanitaire, il est hautement improbable que ces accusations ne se traduisent un jour par la comparution d’Israël devant une cour pénale de justice internationale. Pourquoi ? Parce que si les Etats-Unis ne montrent pas ouvertement leur parti pris pour Israël, ils travaillent sérieusement dans les coulisses à ce qu’Israël ne puisse jamais être tenu vraiment pour responsable des atrocités qu’il a commises.
Quand le rapport Goldstone a été publié en septembre dernier, la première réaction des Palestiniens fut de prendre immédiatement le train en marche. Rarement, les Palestiniens s’étaient trouvés devant une telle opportunité. Enfin, il se trouvait un juge crédible, fiable et expérimenté, un juif et un sioniste autoproclamé, qui avait vu de ses propres yeux la destruction massive qu’Israël avait infligée à la bande de Gaza durant ses 22 jours d’invasion. Aussi, quand le Conseil des Droits de l’homme annonça qu’il y aurait un vote sur le rapport en octobre, les Palestiniens furent tout à fait pour. C’est-à-dire qu’ils le furent jusqu’au soir qui précéda le vote, où la direction palestinienne, étonnamment, décida de faire reporter le débat sur le rapport à la session de mars, selon elle pour « rallier plus de soutiens ».
D’après un nouveau rapport publié dans la presse palestinienne sur la commission d’enquête qui s’est penchée sur ce report, le président Mahmoud Abbas avait subi des pressions pour faire reporter le vote, et par nul autre que les Etats-Unis. Naturellement, avec le retour de bâton par la population, cela fut trop pour Abbas à gérer, il revint par la suite sur sa décision et adopta le rapport au Conseil des Droits de l’homme des semaines plus tard, seulement les dégâts à sa réputation étaient faits. Le fait est que les Etats-Unis ne laissent rien au hasard quand il s’agit de protéger Israël, même de quelqu’un d’aussi vénérable que le juge Goldstone qui publie un rapport tout aussi vénérable sur les actes intolérables d’Israël dans la bande de Gaza.
Incroyable, véritablement. Quand un Israélien est tué dans un attentat-suicide ou par une roquette Qassam, tout le monde le sait. Les victimes sont de vrais êtres humains, avec une histoire et une famille. Leur innocence est exagérément mise en avant dans la presse pour que le lecteur puisse se sentir comme de la famille, et non comme un étranger. Les Palestiniens, en revanche, sont traités comme des numéros, des statistiques et, pire que tout, comme les responsables de leur propre souffrance. Si ce n’étaient les attentats-suicides, jamais le mur de séparation n’aurait été construit. Si ce n’étaient les roquettes de Gaza, Israël n’aurait pas dû envahir, et si ce n’était le penchant des Palestiniens à « rater les occasions », ils auraient déjà la paix.
Ce qui manque dans toutes ces équations, c’est le fait que les Palestiniens – nonobstant leurs erreurs de calcul et leurs combats fratricides – sont toujours occupés et opprimés. Ont-ils commis des erreurs dans le passé, et continuent-ils d’en faire aujourd’hui ? Oui, notamment de tirer des roquettes grandement inoffensives sur Israël qui conduisent à des représailles militaires scandaleusement disproportionnées. Est-ce que cela fait d’eux des terroristes et, partant, justifie le pilonnage violent par Israël de leurs maisons et territoires ? Absolument pas.
Le terrorisme se présente sous toutes les formes et il y en a de toutes sortes. Exproprier de leurs terres les propriétaires d’origine pour y monter des constructions illégales, sur une terre occupée, est une forme de terrorisme. Bombarder des zones habitées remplies de civils innocents, c’est du parfait terrorisme d’Etat. Mais les Nations unies connaissent une chose ou deux là-dessus. Nous nous rappelons tous combien de nombreux soldats US meurent en se battant « pour la liberté », en Afghanistan et en Iraq. Mais qui tient les comptes des centaines de milliers d’Afghans et d’Iraquiens assassinés depuis que les USA ont envahi et occupent leurs pays, depuis le 11 Septembre ? Exactement.
Joharah Baker écrit pour le MIFTAH (initiative palestinienne pour la promotion du dialogue mondial et de la démocratie). Elle peut être contactée à l ’adresse : mid@miftah.org
11 janvier 2010 -
traduction pour l’AFPS : JPP (titre modifié : CL, Afps)