vendredi 4 septembre 2009

La libération, pas un “Etat” palestinien fictif

Palestine - 03-09-2009
Par Hasan Abu Nimah et Ali Abunimah
Hasan Abu Nimah est ancien représentant permanent de la Jordanie aux Nations Unies. Co-fondateur de The Electronic Intifada, Ali Abunimah a écrit “One Country: A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse” (Metropolitan Books, 2006).
(...) Mais ce qui est réellement en train de prendre forme en Cisjordanie aujourd’hui est un Etat policier, où toutes les sources d’opposition ou de résistance – réelles ou suspectées – soit au régime de l’AP soit à l’occupation israélienne sont systématiquement réprimées par les « forces de sécurité » palestiniennes financées et entraînées par les USA en totale coordination avec Israël. Gaza reste sous siège strict en raison de son refus de se soumettre à ce régime.

Le mois dernier, Salam Fayyad, le premier ministre désigné de l’Autorité Palestinienne à Ramallah, a créé la surprise : il a déclaré son intention d’établir un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza avant la fin de 2011, quels que soient les résultats des négociations avec Israël.

Fayyad a dit au Times de Londres qu’il s’efforcerait de créer « des faits accomplis en cohérence avec l’émergence de notre Etat comme un fait indéniable. » Son plan a ensuite été décrit dans un long document au titre grandiloquent : « Programme du Treizième Gouvernement de l’Autorité Nationale Palestinienne ».

Le projet contient toutes sortes d’idées ambitieuses : un aéroport international dans la Vallée du Jourdain, de nouveaux réseaux ferrés vers les Etats voisins, des avantages fiscaux généreux pour attirer l’investissement étranger, et bien sûr, le renforcement des « forces de sécurité. » Il parle aussi avec vigueur de libérer l’économie palestinienne de sa dépendance à Israël, et de réduire la dépendance de l’aide étrangère.

Tout cela peut paraître attirant pour certains, mais Fayyad n’a ni le poids politique ni les moyens financiers pour proposer des projets d’une telle envergure sans le feu vert de Washington ou de Tel Aviv.

Fayyad veut donner l’image d’une administration palestinienne compétente maîtrisant d’ores et déjà l’art de gérer un Etat. Il se vante par exemple que l’AP qu’il dirige a travaillé à “développer des institutions efficaces de gouvernement basées sur les principes de bonne gouvernance, de fiabilité et de transparence.”

Mais ce qui est réellement en train de prendre forme en Cisjordanie aujourd’hui est un Etat policier, où toutes les sources d’opposition ou de résistance – réelles ou suspectées – soit au régime de l’AP soit à l’occupation israélienne sont systématiquement réprimées par les « forces de sécurité » palestiniennes financées et entraînées par les USA en totale coordination avec Israël. Gaza reste sous siège strict en raison de son refus de se soumettre à ce régime.

En décrivant l’utopie palestinienne qu’il espère créer, le projet Fayyad déclare que "la Palestine sera un Etat démocratique stable avec un système multipartis. Le transfert de l’autorité gouvernementale se fera de manière fluide, pacifique et régulière, en accord avec la volonté du peuple exprimée au travers d’élections libres et équitables, organisées en accord avec la loi."

L’occasion parfaite pour réaliser un tel transfert exemplaire aurait été juste après les élections de janvier 2006, que, le monde entier le sait, le Hamas a remportées équitablement et proprement. Au lieu de cela, ceux qui monopolisent aujourd’hui la direction de l’AP furent de mèche avec des puissances extérieures d’abord pour paralyser et renverser le gouvernement Hamas élu, puis le « gouvernement d’unité nationale » issu de l’Accord de La Mecque début 2007, entraînant la division palestinienne interne actuelle (le propre parti de Fayyad n’a fait que 2% aux élections de 2006, et sa nomination au poste de Premier ministre par le dirigeant Mahmoud Abbas n’a jamais été – comme le stipule la loi – approuvée par le Conseil Législatif Palestinien, dont des dizaines de membres élus sont toujours derrière les barreaux des prisons israéliennes).

De 1994 à 2006, plus de 8 milliards de dollars US ont été injectés dans l’économie palestinienne, faisant des Palestiniens le peuple le plus dépendant de l’aide internationale au monde, comme Anne Le More le montre dans son important ouvrage « International Assistance to the Palestinians after Oslo: Political Guilt; Wasted Money » (Londres, Routledge, 2008). L’Autorité Palestinienne a apparemment reçu cette aide pour bâtir des institutions palestiniennes, améliorer le développement socio-économique et soutenir la création d’un Etat indépendant. Le résultat cependant est que les Palestiniens sont plus démunis et dépendants des aides que jamais auparavant, leurs institutions dysfonctionnent complètement et leur Etat reste un fantasme lointain.

La corruption et la mauvaise gestion de l’AP ont joué un grand rôle dans le gaspillage de cette richesse, mais l’occupation israélienne fut et reste, et de loin, le plus grand destructeur de richesse. Contrairement à ce que Fayyad imagine, on ne peut pas « mettre fin à l’occupation, en dépit de l’occupation. »

Un fait parlant que Le More révèle est que les « programmes » précédents de l’AP (sauf ceux proposés par les gouvernements dirigés par le Hamas) furent écrits et approuvés par les agences et les responsables internationaux donateurs puis remis à l’AP pour présentation aux mêmes donateurs qui les avaient écrits, comme s’ils avaient été réellement écrits par l’AP !

Tout ce que nous voyons suggère que le dernier projet de Fayyad suit exactement le même modèle. Ce qui est particulièrement troublant cette fois, c’est que le projet semble coïncider avec nombre d’autres initiatives et ballons d’essai qui présentent un réel danger pour les perspectives de la libération palestinienne d’un assujettissement permanent à Israël.

Récemment, l’International Middle East Media Center (IMEMC), une agence de presse palestinienne indépendante, a publié ce qui est présenté comme des fuites sur les grandes lignes d’un plan de paix devant être présenté par le Président US Barack Obama.

Ce projet comprend des forces armées internationales dans la plus grande partie de « l’Etat » palestinien ; l’annexion israélienne de grandes parties de Jérusalem Est ; « toutes les factions palestiniennes seraient dissoutes et transformées en partis politiques » ; tous les grands blocs de colonies resteraient sous contrôle israélien permanent ; l’Etat palestinien serait largement démilitarisé et Israël garderait le contrôle de son espace aérien ; une « coordination sécuritaire » palestino-israélienne intensifiée ; et l’entité ne serait pas autorisée à nouer des alliances militaires avec d’autres pays de la région.

Sur la question centrale du droit au retour des réfugiés palestiniens, le plan supposé d’Obama n’autorise le retour que d’un nombre convenu de réfugiés, non pas dans leurs maisons d’origine, mais seulement en Cisjordanie, en particulier dans les villes de Ramallah et Naplouse.

Il est impossible de confirmer que l’administration Obama est réellement à l’origine de ce document. Ce qui donne de la crédibilité à cette affirmation, cependant, c’est la très grande ressemblance de ce plan avec une proposition publiée et adressée à Obama en novembre dernier par un groupe bipartisan dirigé par les anciens conseillers à la sécurité nationale US, Brent Scowcroft et Zbigniew Brzezinski. De plus, des articles de presse récents indiquent qu’un débat vif a lieu au sein de l’administration Obama pour savoir si les USA doivent ou non publier eux-mêmes des propositions spécifiques pour un règlement final une fois que les négociations auront repris ; il fait donc peu de doutes que des propositions concrètes circulent.

Il est évident qu’il y a peu de différences entre ces projets divers et le concept du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu de « paix économique » et de micro-Etat palestinien démilitarisé sous contrôle israélien total, sans droit au retour des réfugiés. Et, puisque tous semblent d’accord pour que la Vallée du Jourdain – terre et ciel – reste sous contrôle israélien indéterminé, l’aéroport de Fayyad le sera aussi.

Ce genre d’effet d’annonce a déjà eu lieu : qui se souvient de tout le raffut des premières années Oslo sur l’Aéroport International de Gaza, qui a fonctionné brièvement sous contrôle israélien strict avant qu’Israël ne le détruise, et de la promesse d’un port de mer à Gaza dont Israël a interdit la construction ?

Deux faits liés expliquent pourquoi le plan Fayyad est lancé aujourd’hui. L’envoyé US au Moyen Orient George Mitchell a défini à maintes reprises son objectif comme une « reprise rapide et une conclusion prochaine » des négociations. Si le genre d’idées recyclées venant du supposé plan Obama, du document Scowcroft-Brzezinski, ou de Netanyahu, doivent avoir la moindre chance, il faut faire comme s’il y avait une administration palestinienne pour les recevoir. C’est le rôle de Fayyad de la fournir.

La deuxième explication a trait à la lutte continue sur la succession de Mahmoud Abbas au poste de Président de l’AP. Il est maintenant clair que Fayyad, ancien fonctionnaire de la Banque Mondiale inconnu des Palestiniens avant que l’administration George W. Bush ne le propulse, apparaît comme le favori actuel des USA et des autres sponsors de l’AP. Canaliser davantage d’aide financière via Fayyad est peut-être le moyen pour ces donateurs de le renforcer contre des concurrents de la faction Fatah d’Abbas (Fayyad n’est pas membre du Fatah) qui n’ont pas l’intention de renoncer à leur mainmise sur la machine clientéliste de l’AP.

Beaucoup dans la région et au-delà espéraient que l’administration Obama serait un honnête négociateur, au moins en mettant la pression américaine sur Israël de manière à ce que les Palestiniens puissent être libérer. Mais au lieu de cela, la nouvelle administration agit comme un service de blanchisserie efficace pour les idées israéliennes ; d’abord elles deviennent celles des Américains, et ensuite on fait entrer une marionnette palestinienne pour les porter.

Ce n’est pas le premier scénario qui vise à effacer les droits palestiniens sous le déguisement d’un « processus de paix », bien qu’il soit extrêmement décevant que l’administration Obama n’ait rien appris, semble-t-il, des échecs de ses prédécesseurs. Mais exactement comme les autres fois, le peuple palestinien, dans son pays et en diaspora, se mettra obstinément en travers de sa route. Il sait qu’une justice réelle, pas un Etat symbolique et fictif, reste le seul pilier sur lequel la paix peut être construite.
Traduction : MR pour ISM