mardi 7 juillet 2009

Quand il dit oui, que veut-il dire ?

publié le lundi 6 juillet 2009

Uri Avnery, 20 juin 2009
“VOUS DEVEZ ÊTRE CONTENT”, me dit le journaliste d’une station de radio populaire après le discours de Netanyahou. “Finalement, il a accepté le plan que vous proposez depuis 42 ans !” (En fait, il y a 60 ans, mais qui fait le compte ?)

La une du Haaretz contenait un article de Gideon Levy, dans lequel celui-ci a écrit que “l’appel courageux de Uri Avnery et de ses amis il y a 40 ans trouve maintenant un écho, quoique très faible, d’un bout à l’autre (de l’échiquier politique isréalien)”.

Je mentirais si je niais avoir ressenti un bref sentiment de satisfaction, mais qui s’est rapidement dissipé. Ce ne fut pas un discours “historique”, ni même un “grand” discours. Ce fut un discours habile.

Il contenait un verbiage moralisateur pour apaiser Barack Obama, immédiatement suivi du contraire, pour calmer l’extrême droite israélienne. Pas beaucoup plus.

NETANYAHOU A DÉCLARÉ que “Notre main est tendue pour la paix”.

Cela rappelait quelque chose à mon oreille : pendant la guerre du Sinaï en 1956, un membre de mon équipe éditoriale faisait partie de la brigade qui conquit Charm-el-Cheikh. Comme il avait grandi en Egypte, il interviewa l’officier supérieur égyptien capturé, un colonel. “A chaque fois que David Ben-Gourion annonce que sa main est tendue pour la paix”, lui dit l’Egyptien, “nous devons nous mettre sur nos gardes”.

Et en effet, c’était la méthode de Ben-Gourion. Avant chaque provocation, il déclarait “notre main est tendue pour la paix”, en ajoutant des conditions qui étaient totalement inacceptables pour l’autre côté. Il créait ainsi une situation idéale (pour lui). Le monde considère Israël comme un pays épris de paix, alors que les Arabes ressemblent à des tueurs de paix en série. Notre arme secrète est le refus arabe, était la plaisanterie habituelle à Jérusalem à l’époque.

Cette semaine, Nétanyahou a ressorti le même vieux stratagème.

JE NE SOUS-ESTIME pas, bien sûr, l’importance du fait que le chef du Likoud ait prononcé ces deux mots “Etat palestinien”.

Mots lourds de sens politique.Une fois lâchés dans le monde, ils ont leur vie propre. Contrairement aux chiens, on ne peut pas les rappeler.

Dans une chanson d’amour populaire israélienne, le garçon demande à la fille : “Quand tu dis non, que veux-tu dire ?” On devrait demander : Quand Netanyahou dit oui, que veut-il dire ?

Mais même si les mots “Etat palestinien” ont passé ses lèvres, contraint et forcé, et même s’il n’a pas du tout l’intention de les faire passer à la réalité, il est important que le chef du gouvernement, chef du Likoud ait été obligé de les prononcer. L’idée de l’Etat palestinien fait maintenant partie du consensus national, et seule une poignée de gens d’ultra droite la rejette franchement. Mais ce n’est que le début. La principale bataille sera de transformer l’idée en réalité.

L’ENSEMBLE du discours s’adressait à une seule personne : Barack Obama. Il n’avait pas pour but de lancer un appel aux Palestiniens. Il est tout à fait clair que les Palestiniens ne sont que l’objet passif d’une discussion entre le Président des Etats-Unis et le Premier ministre d’Israël. Sauf dans de vieux clichés usés, Netanyahou parle d’eux et non pas à eux.

Il est prêt, dit-il, à conduire des négociations avec la communauté palestinienne, et cela, bien sûr, “sans préalables”. Cela signifie : sans préalables de la part des Palestiniens. De la part de Netanyahou, il y a beaucoup de conditions préalables, chacune d’elle visant à ce qu’aucun Palestinien, aucun Arabe et évidemment aucun musulman ne puisse accepter de négocier.

Condition 1 : Les Arabes doivent reconnaître Israël comme l’Etat-nation des Juifs” (et pas seulement “un Etat juif”, comme beaucoup de médias le disent de façon erronée. Comme a déjà répondu Hosni Moubarak : Aucun Arabe ne peut accepter cette condition, car cela signifierait que le 1,5 million d’Arabes citoyens d’Israël ne seraient plus liés à l’Etat, et que l’on renoncerait d’avance au droit au retour des réfugiés palestiniens – principal argument de négociation côté arabe.

Il faut rappeler que quand les Nations Unis ont décidé en 1947 la partition de la Palestine entre un “Etat juif” et un “Etat arabe”, elles ne voulaient pas définir le caractère des deux Etats. Elles établissaient juste des faits : il y avait deux population hostiles l’une à l’égard de l’autre dans le pays, et donc le pays devait être réparti entre elles. (Cependant 40% de la population de l’Etat “juif” était composée d’Arabes.)

L’Autorité palestinienne doit avant tout établir son gouvernement sur la bande de Gaza. Comment ? Finalement, c’est le gouvernement israélien qui empêche les voyages entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, et aucune force palestinienne ne peut passer d’un côté à l’autre. Et la solution du problème par l’établissement d’un gouvernement d’unité est aussi écartée : Netanyahou a catégoriquement déclaré qu’il n’y aurait aucune négociation avec une direction palestinienne qui inclurait des “terroristes qui veulent nous annihiler” – sa façon de citer le Hamas.

Condition 3 : L’Etat palestinien sera démilitarisé. Ceci n’est pas une idée nouvelle. Tous les plans de paix élaborés jusqu’à aujourd’hui parlent d’accords de sécurité qui protègeraient Israël d’attaques palestiniennes et la Palestine d’attaques israéliennes. Mais ce n’est pas ce que Netanyuahou a en tête : il ne parle pas d’accords mutuels mais de domination. Israël contrôlerait l’espace aérien et les passages de frontières de l’Etat palestinien, transformant celui-ci en une sorte de bande de Gaza géante. Donc, le style de Netanyahou a été délibérément dominateur et humiliant : il espère manifestement que le mot “démilitarisé” suffira pour faire que les Palestiniens disent “non”.

Condition 4 : Jérusalem unifiée restera sous administration israélienne. Ceci n’était pas proposé comme une manœuvre en vue de négociations mais présenté comme une décision définitive. Cela en soi garantit qu’aucun Palestinien, aucun Arabe ou même qu’aucun musulman n’accepterait une telle proposition.

Dans l’accord d’Oslo, Israël s’engage à négocier sur l’avenir de Jérusalem. Il est une règle de droit généralement admise que si on s’engage à négocier, on accepte de le faire bona fide, sur la base de concessions mutuelles. Donc, tous les plans de paix prévoient que Jérusalem-Est – entièrement ou partiellement – reviendra sous administration arabe.

Condition 5 : Entre Israël et l’Etat palestinien, il y aura des “frontières défendables”. Celles-ci ont des mots de code pour des annexions supplémentaires par Israël. Cela signifie : pas de retour aux frontières de 1967, pas même avec un échange de territoires qui permettrait à quelques grandes colonies d’être intégrées à Israël. Afin de créer des frontières “défendables”, une grande partie des territoires palestiniens occupés (qui en tout représentent à peine 22% de la Palestine d’avant 1948) sera absorbée dans Israël.

Condition 6 : Le problème des réfugiés sera résolu “à l’extérieur du territoire d’Israël”. Ce qui signifie : pas un seul réfugié ne sera autorisé à retourner. Certes, toute personne réaliste reconnait qu’il ne peut pas y avoir le retour de millions de réfugiés. Selon l’initiative de paix arabe, la solution doit être “mutuellement acceptée” – ce qui signifie qu’Israël doit donner son accord pour toute solution. L’hypothèse est que les deux parties seront d’accord pour le retour d’un nombre symbolique de personnes. C’est une question hautement sensible, qui doit être traitée avec prudence et une extrême sensibilité. Netanyahou fait le contraire : sa déclaration provocatrice, dépourvue d’empathie, est clairement destinée à provoquer un refus automatique.

Condition 7 : Pas de gel de la colonisation. La “vie normale” des colons continuera. Ce qui signifie : l’activité de construction pour la “croissance naturelle” continuera. Ceci illustre les propos de Michael Tarazy, un conseiller juridique de l’OLP : “ Nous négocions sur le partage d’un pizza, et pendant ce temps Israël la mange.”

Tout ceci était dans le discours. Ce qui n’y était pas n’est pas moins intéressant. Par exemple, les mots : Feuille de route, Annapolis, Palestine, le plan de paix arabe, occupation, souveraineté palestinienne, ouverture des points de passage de la bande de Gaza, les hauteurs du Golan. Et, encore plus important : il n’y a pas le moindre soupçon de respect pour l’ennemi qui doit devenir un ami, selon les mots d’un ancien dicton juif.

ALORS, QU’EST-CE qui est le plus important ? La reconnaissance verbale de “un Etat palestinien” ou les conditions qui vident ces mots de tout contenu ?

La réponse du public est intéressante. Dans un sondage d’opinion fait immédiatement après le discours, 71% le soutiennent, mais 55% croient que Netanyahou n’a fait que “céder à la pression américaine”, et 70% ne croient pas qu’un Etat palestinien verra vraiment le jour dans les quelques prochaines années.

A quoi crrespond exactement ce soutien de 71% ? La solution de “l’Etat palestinien” ou les conditions qui bloquent son application – ou les deux ?

Il y a bien sûr une minorité d’extrême droite qui préfère une confrontation avec les Etats-Unis à l’abandon de tout territoire entre la mer Méditerranée et le Jourdain. Tout au long de la route allant à Jérusalem, on peut voir de grandes affiches montrant un montage photographique d’Obama portant un couvre-chef arabe. (Cela fait froid dans le dos, parce que cela nous rappelle exactement le même poster avec Yitzhak Rabin sous le keffieh.) Mais la grande majorité des gens comprennent qu’une rupture avec les Etats-Unis doit être évitée à tout prix.

Netanyahou et la droite espèraient que les Palestiniens rejetteraient franchement ses mots, se présentant comme des personnes refusant systématiquement la paix, tandis que le gouvernement israélien serait vu comme faisant le premier pas, petit mais significatif, vers la paix. Ils sont sûrs que cela ,’aboutirait à rien : l’Etat palestinien ne sera pas créé, le gouvernement israélien ne donnera rien, l’occupation demeurera, l’activité de colonisation se poursuivra et Obama acceptera tout cela.

ALORS LA question essentielle est : comment réagira Obama ?

La première réaction fut faible. Une réponse poliment positive.

Obama ne cherche pas une confrontation avec le gouvernement israélien. Il semble qu’il veuille exercer une “douce” pression, vigoureusement mais tranquillement. Selon moi, c’est une approche sage. Quelques heures avant le discours, j’ai rencontré l’ex-Président Jimmy Carter. La rencontre eut lieu à l’hôtel Américan Colony de Jérusalem Est. Elle était organisée par Gush Shalom, et plusieurs autres organisations pacifistes israéliennes y participaient. Dans mes remarques introductives, j’ai signalé que nous étions dans la même salle exactement il y a 16 ans, pendant que les accords d’Oslo étaient en train d’être signés à Washington, les militants de la paix et les dirigeants de la population palestinienne et que nous avions ouvert des bouteilles de champagne. L’euphorie de ces moments a disparu sans laisser de trace.

Israéliens et Palestiniens ont perdu tout espoir. Des deux côtés, l’écrasante majorité veut une fin du conflit mais ne croit pas que la paix est possible – et chaque côté rejette la responsabilité sur l’autre. Notre tâche est de raviver la croyance que c’est vraiment possible.

Pour ceci, on a besoin d’un évenement spectaculaire, une sorte de choc électrique vivifiant – comme la visite historique d’Anouar al Sadate à Jérusalem en 1977. J’ai suggéré qu’Obama vienne à Jérusalem et parle directement aux Israéliens, peut-être même depuis la tribune de la Knesset, comme Sadate.

Après avoir écouté attentivement les participants, l’ancien Président nous encouragea dans nos activités et avança quelques propositions personnelles.

LE POINT DECISIF en ce moment est, bien sûr, la question des colonies. Obama insistera-t-il sur un gel total de toute activité de construction ou non ?

Netanyahou espère s’en dégager. Il a maintenant trouvé un nouveau truc : on doit autoriser de terminer les projets qui ont réellement démarré. On ne peut pas les arrêter en plein milieu. Les plans ont déjà été approuvés. Les locataires attendent leurs appartements, et on ne doit pas leur porter préjudice. La Cour suprême ne permettra pas un gel. Argument particulièrement ridicule, puisque la Cour permet à un voleur de dépenser plus d’argent qu’il n’a volé avant d’être sanctionné).

Si Obama cède là-dessus, il ne devra pas être surpris s’il découvre tardivement que ces projets concernent 100.000 nouvelles unités de logements.

Ceci nous conduit au fait le plus important de cette semaine : les colons n’ont pas faitt d’éclat après le discours de Netanyahou. Au contraire. Ici et là, on a erntendu quelques critiques. Mais la grande majorité des colons armés est restée remarquablement tranquille.

Ceci nous rappelle l’inoubliable Sherlock Holmes, qui expliquait comment il résolvit une de ses énigmes en portant son attention sur “le curieux incident du chien pendant la nuit”.

“ Mais le chien n’a rien fait pendant la nuit !”, objecta quelqu’un.

“C’est cela qui est curieux”, remarqua Holmes.

Article écrit le 19 juin 2009, publié sur le site de Gush Shalom, en hébreu et en anglais – Traduit de l’anglais “When He says Yes – pour l’AFPS : SW