samedi 1 novembre 2014

Les pêcheurs de Gaza souffrent toujours du blocus israélien

La problématique des pêcheurs de Gaza est souvent négligée parce que tout se passe loin des caméras. Or l’Accord conclu au Caire est bafoué presque tous les jours par Israël. L’analyste halieutique Arne Kinds, biologiste marin, examine comment les pêcheurs de Gaza peuvent survivre sous le blocus économique d’Israël.

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Les pêcheurs de Gaza subissent tous les jours les harcèlements et la violence d’Israël - Photo : intifada.net
L’été 2014 entrera dans l’histoire de Gaza comme l’un des plus meurtriers. Les nouvelles sur l’agression israélienne contre Gaza ont suscité une indignation internationale. Pendant que les politiciens regardaient ailleurs et que la Ligue belge de football restait bouche cousue, l’opposition de l’opinion publique n’a fait que croître, de même que l’espoir d’une existence décente pour les Palestiniens. 
Les gens sont descendus dans la rue ; dans la presse et les médias sociaux, les politiques ont été mis sous pression et quelques voix prudentes sont même suggéré des sanctions économiques contre Israël.
Le 26 août 2014, avec la médiation de l’Egypte , Israël et le Hamas parvenaient à un cessez-le-feu. Ce dernier permet enfin aux Gazaouis de respirer et de recommencer à vivre, mais il ne peut servir d’excuse pour mettre en veilleuse les protestations internationales. Car le blocus qu’Israël et l’Egypte ont instauré contre Gaza dès 2007 reste toujours d’application.
Comme tous les accords qui l’ont précédé, l’accord actuel contient des clauses relatives à la pêche en mer, laquelle est une source de revenus essentielle pour beaucoup d’habitants. Dans le passé, Israël n’a jamais cessé de violer gravement cette partie des accords, notamment en faisant main basse sur des bateaux de pêche qui travaillaient dans la zone autorisée.
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Le rapport des forces apparaît clairement sur cette image ... Photo : intifada.net
Un peu d’histoire
De tout temps la pêche a constitué une branche importante de l’économie palestinienne. Jadis le poisson était surabondant au large de la Palestine, avec le thon, la sardine, le poulpe et la crevette comme principales ressources halieutiques. La pêche était prospère surtout dans le nord du pays. En 1948, quand les communautés palestiniennes de pêcheurs sont expulsées par les milices israéliennes, elles trouvent refuge notamment à Gaza.
Après la Guerre des Six-Jours en 1967 la bande Gaza devient territoire occupé. Pour la pêche et la navigation, c’est le début d’une série de contrôles et de restrictions très sévères. Depuis l’annexion, Israël contrôle les 43 kilomètres de côte de la bande de Gaza et bloque toute navigation vers Gaza Ville. Les infrastructures portuaires existantes sont à l’abandon et n’existent plus qu’au service d’Israël et des colons israéliens.
1994 semble apporter une amélioration pour les habitants de Gaza. Suite aux Accords d’Oslo de 1993, Gaza revient au gouvernement autonome de l’Autorité Palestinienne (AP). Les pêcheurs obtiennent un accès officiel aux territoires de pêche jusqu’à 20 miles nautiques de la côte (37 km). Les autorités françaises et néerlandaises investissent dans la reconstruction du port et la formation du personnel portuaire. Peu après le début de la reconstruction, les travaux sont mis à l’arrêt du fait de la Deuxième Intifada qui éclate en 2000. En 2002 la marine israélienne bombarde les installations portuaires en chantier.
Même dans les années qui suivent la Deuxième Intifada, Israël ne respecte pas les Accords d’Oslo. En réalité, les pêcheurs n’ont accès qu’à moins de 12 miles nautiques (22 km) de la côte. Malgré ses efforts méritoires, une commission désignée en 2002 par l’ONU pour négocier ce dossier, sous la direction de Catherine Bertini, ne réussit pas à « élargir » la zone de pêche à 12 miles.
En 2007 quand le Hamas, vainqueur des élections de 2006, arrive au pouvoir, Israël restreint les règles d’import-export dans le but de mettre la pression sur le Hamas. Sous le prétexte de contrôler l’importation d’armes, Israël réussit en peu de temps à paralyser l’économie de toute la bande de Gaza. Cette stratégie comprend notamment l’interdiction pour les pêcheurs de pêcher à plus de 6 miles de la côte (11 km). Ceux qui ne se soumettent pas à cette règle subit de lourdes conséquences. En 2009 l’arbitraire est à son comble : la limite est réduite à 3 miles (5,5 km).
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La pêche est une activité essentielle dans la bande de Gaza, mais bateaux, installations et équipements portuaires sont régulièrement détériorés voire détruits par Israël - Photo : intifada.net
La vie d’un pêcheur à Gaza
Sous le blocus économique actuel, les perspectives sont bien sombres pour les pêcheurs palestiniens. D’abord, il y a la limitation physique à pêcher librement devant leur propre rivage. Il en résulte que tous les jours quelque 4.000 pêcheurs gazaouis partent à la poursuite du même poisson, sur un très petit territoire marin.
Cette zone côtière typique comporte des territoires de frai et des pouponnières à alevins. Les jeunes poissons y naissent et y demeurent pour se nourrir pendant leur croissance. La pêche intensive dans ces zones s’accompagne donc de captures importantes de jeunes poissons qui n’ont pas encore pu se reproduire. Il y aura donc moins de poissons adultes dans la génération suivante, ils produiront donc moins de descendants, etc, etc. Mais les pêcheurs de Gaza ne peuvent se payer le luxe de penser le long terme. Il faut pêcher ou périr.
En plus, la destruction des installations d’épuration des eaux par Israël entraîne le déversement en mer d’environ 50 à 80 millions par jour de litres d’eau non traitée ou partiellement épurée.
La violence et l’intimidation sont le lot quotidien des pêcheurs. Celui qui se travaille ne serait-qu’à proximité de la limite – généralement non marquée – risque de se faire capturer, passer à tabac voire tuer. Depuis l’an 2000 au moins quatre pêcheurs ont été tués lors d’incidents où des ils se sont retrouvés sous les tirs de patrouilles israéliennes. A côté de cela il y a eu des dizaines d’incidents d’humiliations, d’intimidations et d’agressions.
L’arbitraire avec lequel opèrent les patrouilles israéliennes est vraiment hallucinant.
Un exemple parmi tant d’autres. Le 19 mai 2013 les frères Mahmoud et Khaled Zayed ne sont qu’à 1 mile (1800 mètres) de la côte quand ils sont pris en chasse par une patrouille israélienne. Leur bateau et leur matériel de pêche sont confisqués et les frères sont emmenés pour interrogatoire. Les 100 shekels (environ 21 euros) que Mahmoud avait gagnés la veille en vendant son poisson lui sont retirés.
Depuis 2006 il y a de lourdes restrictions sur l’importation des filets, des pièces de moteurs et du matériel d’entretien pour la flotte. Le diesel est de plus en plus difficile à trouver, surtout maintenant que les voies du trafic entre l’Egypte et Gaza ont été détruites. Pendant ce temps, Israël et l’Egypte inondent le marché gazaoui de leur poisson.
Peu de poisson dans la mer et de moins en moins de moyens de pêche : la pauvreté a énormément augmenté parmi les pêcheurs. En 2010 on estimait que 90 % des pêcheurs vivaient dans la pauvreté, une augmentation de 40 % en deux années, conséquence directe du blocus israélien.
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Ce petit bateau de pêche a subi un coup de bélier, une attaque totalement arbitraire de la marine israélienne - Photo : intifada.net
Pêcher en temps de paix
Le récent cessez-le-feu a encore modifié la réglementation pour les pêcheurs. Le 28 août 2014 Israël annonçait que les pêcheurs pouvaient à nouveau pêcher jusqu’à 6 miles de la côte. Israël promettait également d’ouvrir ses postes-frontière avec Gaza pour l’aide humanitaire et les matériaux de construction, et des pourparlers ont été entamés sur l’avenir du port et de l’aéroport de Gaza.
Au début, Nizar Ayyash, président du Syndicat des pêcheurs, s’est réjoui : le doublement du territoire de pêche permettrait de meilleures prises. Mais très vite il est apparu qu’Israël ne respectait pas les accords. Le matin du 2 septembre 2014, Israël ouvrait le feu sur des bateaux de pêche palestiniens devant la côte de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, sous prétexte qu’ils auraient dépassé la limite (non marquée) des 6 miles.
Ce même jour des agriculteurs de Khan Younis, à une dizaine de kilomètres de Rafah, étaient chassés de leurs terres à coups de fusil. Les semaines suivantes, les incidents se sont multipliés. Selon Ayyash, depuis le cessez-le-feu, les tirs visant des pêcheurs sont quotidiens. Le 17 septembre 2014 un pêcheur de 70 ans qui attendait ses fils sur la plage de al-Soudaniya, était touché par une balle lors de l’attaque d’une patrouille israélienne.
Après l’offensive, il était à prévoir que les pêcheurs verraient une amélioration de leur pêche. Après 7 semaines sans pouvoir sortir en mer, il est normal qu’il y ait localement davantage de poissons. Mais on peut se demander si les prises resteront importantes. La pression sur les eaux littorales a peut-être diminué, mais les zones d’habitat vulnérables des poissons s’étendent jusqu’à 8 miles de la côte (15 km). Tant que ces zones sont soumises à une pêche intensive, toute amélioration ne sera que de courte durée.
Le 1er octobre 2014, l’Agence Ma’an News annonçait que pour la première fois depuis 2007 Israël autorisait l’exportation de poisson et de légumes vers la Cisjordanie. En outre il permet une importation réduite de 450 camions, chariots élévateurs tracteurs, excavatrices, autobus, pompes pour injection de ciment et rouleaux compresseurs.
Que faire ?
C’est simple : Israël doit mettre un terme au blocus illégal de Gaza.
Voici quelques mesures en vrac :
* Les pêcheurs doivent avoir accès aux 20 miles prévus dans les Accords. Moyennant une gestion adaptée des ressources halieutiques, cela devrait donner de meilleures prises.
* Pêcheurs et négociants devraient pouvoir vendre leur poisson en Cisjordanie et sur les marchés internationaux.
* Israël a tellement paupérisé Gaza que l’exportation est la meilleure option pour redonner vie au secteur de la pêche.
* Simultanément le marché intérieur doit être restauré et les habitants de Gaza doivent avoir accès à une alimentation protéinée sous forme de viande et de poisson.
* Les organisations de coopération internationales doivent investir dans une étude. Il faut mettre au point un plan de gestion qui garantit une pêche durable et lucrative.
* Israël doit assumer sa responsabilité dans la destruction des installations de traitement des eaux et pour l’assainissement des plages. La remise en route de ces installations est prioritaire.

Arne Kinds est un jeune biologiste marin, chercheur à l’Université de Gand sur le développement des pêches durables.
- Sources :
Canadians for Justice and Peace in the Middle East
Open Gaza’s seaport, end the blockade
Farming without Land, Fishing without Water : Gaza Agriculture Sector Struggles to Survive
This time we were not forced to swim naked in the sea’ : Gaza fishermen left jobless after illegal arrest in Palestinian waters
Gaza fishermen see shrimp-sized gains from Israel-Hamas cease-fire
http://www.dewereldmorgen.be/artike...
Traduction : Info-Palestine.eu - Marie Meert