vendredi 22 août 2014

Massacre à Gaza : les leçons de l'histoire

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Publié sur Al-Akhbar en anglais le 20 août 2014. Le docteur Salman Abu Sitta est le fondateur et le président de la Palestine Land Society, membre du Conseil national palestinien, auteur de plus de 300 documents et articles sur les réfugiés et de plusieurs ouvrages, dont The Palestinian Nakba 1948 -(1998, réimprimé en 2000) ; The Return Journey (2007) et l'Atlas de Palestine 1917-1966 (2010).
Les armes utilisées pour attaquer Gaza peuvent se taire pendant un moment et reprendre les tirs plus tard, cela ne modifiera pas un modèle qui dure depuis 66 ans. Le bain de sang ne se terminera que si l'on sait comment et pourquoi il a commencé et comment le traiter.
Ces six dernières semaines, les réseaux sociaux, le nouveau média non censuré, ont montré au monde entier des photos d'enfants et de femmes déchiquetés. Les écrans de télévision ont diffusé des flashs décomptant le nombre des victimes, comme un baromètre quotidien de la mort et de la destruction. Des voix timides se sont lentement élevées, qualifiant le carnage de massacre ou même de génocide.
Massacre à Gaza : les leçons de l'histoire
Cette explosion des réseaux sociaux, qui réduit l'influence des médias traditionnels, a un effet énorme sur la compréhension de la lutte palestinienne contre Israël. Les gens posent maintenant des questions : qui sont ces gens ? Pourquoi ce conflit chronique dure-t-il depuis si longtemps ?
Dans la géographie de la Palestine, la "Bande de Gaza" n'existe pas. Cette "bande" a été créée par Israël.
Au printemps et à l'été 1948, Israël a complètement déraciné les habitants de 247 villages palestiniens au sud de la Palestine et les a parqués dans une étroite bande de terre le long de la côte, désormais connue sous le nom de Bande de Gaza. C'est ainsi qu'a été créé le plus grand et le plus durable camp de concentration au monde, et ces réfugiés sont depuis devenus la cible d'attaques israéliennes régulières.
Le jour de Noël 1948, les forces israéliennes ont tenté de scinder en deux la bande bondée et de la vider de ses réfugiés, mais à cette occasion elles ont été repoussées et le général russe qui commandait l'attaque a été tué. Au cours de l'année suivante, Israël a attaqué la bande par plusieurs raids transfrontaliers et la faite passer de 550 km², comme prévus par la Convention d'Armistice du 24 février 1949, à sa superficie actuelle de 360 km². Avant les récents combats, ce ruban a encore été réduit, 44% de cette superficie est une zone interdite.
En janvier 1948, Israël a bombardé des centres de distribution alimentaire pour les réfugiés à Khan Younis et Deir al-Balah à l'heure de pointe, tuant plus de 200 réfugiés. La Croix Rouge, témoin de l'événement, l'a décrit comme "une scène d'horreur". Mon oncle, Mohammed Abu Mughaisib, fut l'une des victimes.
Le 28 août 1953, Ariel Sharon, commandant de l'Unité 101 de sinistre mémoire, qui fut responsable de plusieurs raids meurtriers sur des camps de réfugiés le long de la Ligne d'Armistice, a attaqué le camp de Bureij et a tué 43 hommes, femmes et enfants dans leurs lits.
Le 2 novembre 1956, Israël a fauché plus de 250 civils à Khan Younis, deux d'entre eux étaient des frères de ma belle-sœur. Leurs corps jonchaient les rues, comme ceux de Shujayeh aujourd'hui.
En 1974, Ariel Sharon a rasé des rues entières de camps de réfugiés à Gaza et les a réduits à des décombres.
La même politique consistant à faire subir aux réfugiés d'énormes pertes humaines a été évidente au cours des deux dernières attaques sur Gaza, en 2008-2009 et 2012. Et aujourd'hui à nouveau, à travers la dernière guerre d'Israël contre Gaza.
Cette politique n'est pas seulement appliquée à Gaza. Le camp de Jenin, en Cisjordanie , et les camps de Sabra et Shatila au Liban l'ont subie également, pour n'en citer que quelques-uns.
Aujourd'hui, on publie en Israël des appels à "concentrer" les Palestiniens dans des camps nouvellement créés et à les "exterminer" "quand le génocide sera admissible."
Pourquoi cette détermination israélienne à éliminer les Palestiniens ? La raison est claire : les réfugiés palestiniens sont le corps du crime de guerre du nettoyage ethnique de la Palestine. Il faut que les réfugiés disparaissent et que la Palestine devienne ce qu'en a dit le slogan sioniste, "une terre sans peuple".
La doctrine d'élimination et d'assujettissement des Palestiniens comme seule façon de construire Israël sur la terre de Palestine a été élaborée dès le début, d'abord par Vladimir Jabotinsky, l'un des principaux idéologues du mouvement sioniste. Dans son ouvrage de 1923, Le Mur de Fer, il écrivait :
"Cette colonisation [sioniste] ne peut par conséquent continuer et se développer que sous la protection d'une force indépendante de la population locale - un mur de fer que la population autochtone ne peut pas franchir. C'est toute notre politique envers les Arabes."
Une politique suivie par Moshe Dayan 33 ans plus tard. Lors des funérailles d'un colon qui avait tué près de Gaza en avril 1956 sur la terre des réfugiés, Dayan a fait un discours direct qui est devenu le phare des opérations militaires israéliennes ultérieures contre les réfugiés palestiniens. Il a dit :
"Depuis huit ans maintenant, ils [les Palestiniens] sont dans les camps de réfugiés de Gaza et regardent comment, sous leurs yeux, nous avons fait nôtres les terres et les villages où ils vivaient, eux et leurs ancêtres (...). Nous sommes une génération de colons et sans le casque d'acier et le canon du fusil, nous n'arriverons pas à planter un arbre ou à construire une maison (...). C'est le destin de notre génération. C'est notre choix - d'être prêts et armés, tenaces et durs, ou bien l'épée nous tombera des mains et nos vies seront fauchées."
Soixante-six ans après la Nakba (la Catastrophe), les Palestiniens dépossédés sont toujours dans des camps de réfugiés, aspirant à rentrer chez eux de l'autre côté des fils de fer barbelés. Non loin du lieu de l'éloge funèbre de Dayan se trouve la colonie de Sederot, construite sur les terres des villages de Najd et Huj. Les 10.000 réfugiés de ces villages vivent dans des camps de réfugiés, à 3 km de là. Quand ils visent Sederot avec leurs roquettes artisanales, ils les lancent sur les occupants de leur terre, pour leur rappeler qu'ils veulent toujours rentrer chez eux.
Pourquoi ne reviendraient-ils pas ? Les Nations Unies ont affirmé leur droit au retour 135 fois depuis 1948. Les réfugiés sont maintenant entassés dans la minuscule Bande de Gaza, 1,3 pour cent de la superficie de la Palestine, avec une densité de 7.000 personnes au km², alors que les colons sur leurs terres ont une densité de seulement 7 personnes au km². Pendant ce temps, les terres des réfugiés, dans les zones rurales occupées par des Israéliens, sont toujours vides.
Alors que Netanyahu, suivant les pas de Jabotinsky et Dayan, continue d'attaquer les réfugiés palestiniens lors d'épisodes de mort et de destruction, il est clair que les Palestiniens ne se rendront jamais et ne disparaîtront pas du jour au lendemain. On ne pourra sortir de cette impasse que par une action déterminée de la communauté internationale - dont certains pays portent une lourde responsabilité historique pour avoir créé la souffrance des Palestiniens en premier lieu - consistant à prendre la seule voie possible : appliquer les principes de justice, du droit international et des résolutions de l'ONU. Comme mesure d'urgence, Israël doit lâcher son emprise sur la jugulaire des Palestiniens qui vivent à Gaza et lever son blocus aérien, terrestre et maritime. Gaza doit respirer.
Source : Al Akhbar
Traduction : MR pour ISM