samedi 19 avril 2014

Qui a dit « ligne rouge » ?

Taoufiq Tahani, mercredi 16 avril 2014
L’inégal rapport de force entre occupant et occupé fait que rien ne peut sortir des « négo­cia­tions » bila­té­rales en cours sans une impli­cation déter­minée de la com­mu­nauté inter­na­tionale pour faire pré­valoir le droit sur la force.
Le film des der­niers jours en apporte une illus­tration cari­ca­turale. On a vu dans un premier temps Ben­jamin Neta­nyahou charger le « médiateur » amé­ricain Martin Indyk d’informer Mahmoud Abbas du refus israélien de libérer le qua­trième groupe de pri­son­niers poli­tiques « d’avant Oslo ». Cela, en vio­lation de ses enga­ge­ments et simul­ta­nément à la relance d’un appel d’offre pour la construction de 708 loge­ments dans les colonies de Jérusalem-​​Est.
La partie pales­ti­nienne a choisi d’y répondre sur le plan du droit en annonçant par la voix de Mahmoud Abbas sa décision de signer et faire siennes 15 conven­tions ou traités inter­na­tionaux. Autrement dit de s’engager à res­pecter ces conven­tions, avec parmi elles, celle sur les droits de l’enfant, les droits des femmes, la pro­tection consu­laire ou la 4ème Convention de Genève sur la pro­tection des popu­la­tions civiles en temps de guerre.
La réponse israé­lienne n’a pas tardé : les Pales­ti­niens ont franchi la ligne rouge et devront payer le prix de leur audace. Pre­mières mesures de rétorsion : blocage de la 3G, tou­jours pas déployée en Cis­jor­danie (on se sou­vient du message des jeunes pales­ti­niens à Obama lors de sa visite : « M. le Pré­sident inutile de venir avec votre smart­phone : nous n’avons pas de réseau !… »), et refus de per­mettre à un opé­rateur présent en Cis­jor­danie d’étendre son réseau à Gaza… Pourtant, Israël avait donné son accord pour laisser les équi­pe­ments arriver à des­ti­nation après trois années de blocage. Ces agis­se­ments portent un nom : punition collective.
A ce stade, on est en droit se poser une question. En quoi la signature de ces conven­tions représente-​​t-​​elle une menace pour la sécurité d’Israël ? Que diable la « seule démo­cratie du Moyen-​​Orient » aurait-​​elle à craindre par exemple à voir la Palestine s’engager au respect des droits de l’enfant ? A l’évidence ce qu’elle refuse, c’est que la Palestine se com­porte comme un Etat normal au sein de la com­mu­nauté des nations. A noter que cette convention a été signée par tous les pays à l’exception des nou­veaux admis à l’ONU (Soudan Sud et Palestine) et parmi les signa­taires, seuls les Etats-​​Unis et la Somalie ne l’on pas encore ratifiée.
La partie israé­lienne dispose de la force, poursuit ses faits accomplis sur le terrain et estime pouvoir tout s’autoriser dès lors qu’on lui résiste.
Elle n’hésite pas à tra­vestir les faits comme vient de le faire le ministre Libermann qui a dénoncé la « démarche uni­la­térale » de Mahmoud Abbas en direction des Nations Unies … à quelques heures de l’établissement par Israël de la liste des pri­son­niers à libérer ! Men­songe et enfumage avec une pitoyable ten­tative d’inversion de la chronologie.
A ses pre­mières mesures de rétorsion elle a notamment ajouté le blocage, lui aussi par­fai­tement illégal, des taxes pré­levées pour le compte de l’Autorité pales­ti­nienne (environ 100 mil­lions de dollars par mois), essentiel pour payer les fonc­tion­naires en Cis­jor­danie comme à Gaza… ainsi que la « léga­li­sation » de la colonie de Netiv Ha’avot construite sur des terres privées pales­ti­niennes accom­pagnée de l’appropriation comme « terres d’état » d’un km2 alentour. Cela interrogera-​​t-​​il notre gou­ver­nement qui salue les efforts de John Kerry, en appelle aux négo­cia­tions et aux « arran­ge­ments mutuel­lement consentis » comme si on avait affaire à deux par­te­naires égaux et de bonne foi ?
Les der­nières semaines de « négo­cia­tions » nous pro­mettent sans doute d’autres sur­prises. La seule à même de faire bouger les lignes serait que la France et l’UE osent enfin dire non aux pro­vo­ca­tions israé­liennes et sanc­tionnent ces vio­la­tions per­ma­nentes du droit érigées en méthode de gou­ver­nement. Oui, M. Hol­lande, vous pouvez le faire : la ligne rouge est franchie depuis long­temps. Il faut par contre accepter de regarder la réalité, cesser d’amadouer l’occupant et tenir une position cohé­rente. C’est vous qui aviez insisté sur le respect du Droit inter­na­tional en affirmant que « C’est la meilleure garantie pour res­pecter les fron­tières, pour régler les dif­fé­rends et pour faire pré­valoir la sécurité collective ».
C’était le mardi 27 Août 2012 lors de votre allo­cution à l’occasion de la Confé­rence des Ambassadeurs…