samedi 19 avril 2014

Plaidoyer pour les enfants de Cisjordanie

Pla­te­forme des ONG fran­çaises pour la Palestine, Al-​​Haq, Public Com­mittee Against Torture in Israel, Addameer, jeudi 17 avril 2014
A l’occasion de la journée inter­na­tionale de soli­darité avec les pri­son­niers pales­ti­niens, ce jeudi 17 avril, la Pla­te­forme des ONG fran­çaises pour la Palestine rap­pelle, avec ses par­te­naires pales­ti­niens et israé­liens Al-​​Haq, Public Com­mittee Against Torture in Israel et Addameer, le sort des 600 à 700 mineurs de moins de 17 ans arrêtés chaque année en Cis­jor­danie par l’armée israé­lienne, en vio­lation des conven­tions internationales.
Une arrestation tout à fait ordinaire en Palestine occupée
Hendi S., jeune Pales­tinien de 17 ans résidant en Cis­jor­danie, a été arrêté à son domicile dans la nuit du 19 sep­tembre 2013 par des soldats israé­liens, qui le soup­çon­naient d’avoir jeté des pierres. Ils lui ont bandé les yeux et l’ont menotté avec un lien en plas­tique très serré, lui entaillant la chair. Puis ils l’ont fait sortir de la maison et lui ont frappé la tête contre un mur, avant de l’embarquer dans leur véhicule. Arrivé au poste de police de la colonie d’Ariel, il a de nouveau été frappé et brûlé avec une ciga­rette, puis soumis à un inter­ro­ga­toire pour qu’il avoue. Après une nuit passée au poste sans boire, sans manger et sans accès aux toi­lettes, il a été transféré à la prison de Megiddo, puis libéré deux semaines plus tard.
Son témoi­gnage a été recueilli peu après par l’association Defence for Children International-​​Palestine (DCI-​​Palestine) qui a porté plainte auprès de la justice mili­taire israé­lienne en décembre 2013. Fait assez rare pour être men­tionné, le pro­cureur mili­taire a accepté d’ouvrir une enquête. Le jeune garçon a été convoqué pour audition mais comme le pro­cureur avait interdit la pré­sence à ses côtés d’un avocat ou d’un parent, il n’a pas osé se rendre à la convocation.
Ce récit est cho­quant à bien des égards : le jeune âge du prévenu, la bru­talité de l’arrestation, la vio­lence de l’interrogatoire, l’injustice. Mais ce qui choque par-​​dessus tout, c’est la banalité de l’histoire, comme l’a encore rappelé le 14 juin 2013 le Comité sur les droits de l’enfant de l’ONU (voir le rapport en pdf). Chaque année, entre 600 et 700 mineurs âgés de moins de 17 ans sont ainsi arrêtés en Cis­jor­danie, selon les mêmes méthodes. Bien que la loi appli­cable en Cis­jor­danie prohibe l’arrestation et la pour­suite judi­ciaire d’enfants de moins de 12 ans, 1% des mineurs inter­pellés rentrent dans cette caté­gorie, et l’on a même vu des arres­ta­tions d’enfants de 5 ans (en vidéo, B’tselem, 2013).
Des enfants traités comme des adultes
Ces pra­tiques des forces de sécurité israé­liennes, jugées « cruelles, inhu­maines et dégra­dantes » dans un rapport sans appel de l’Unicef publié en mars 2013, semblent « géné­ra­lisées, sys­té­ma­tiques et ins­ti­tu­tion­na­lisées ». Le par­cours vécu par les mineurs arrêtés est souvent le même. Après l’arrestation, géné­ra­lement en pleine nuit et de façon vio­lente, le jeune Pales­tinien, les yeux bandés et les poi­gnets serrés jusqu’au sang, est conduit, seul, dans un centre d’interrogatoire, sans que ni lui ni ses parents ne soient informés du motif de l’arrestation ni du lieu de détention. Durant le trajet, qui peut durer plu­sieurs heures, voire toute une journée, il est maintenu à genoux ou allongé sur le plancher du véhicule mili­taire et insulté, humilié, voire battu.
La pression monte encore d’un cran pendant l’interrogatoire. 21% des mineurs arrêtés et suivis par DCI-​​Palestine en 2013 sont main­tenus en iso­lement pendant une durée moyenne de onze jours, dans une petite cellule sans fenêtre, éclairée en per­ma­nence, avec les séquelles phy­siques et psy­cho­lo­giques parfois graves que cela peut entraîner.
L’interrogatoire, mené par des poli­ciers ou des mili­taires, tou­jours en l’absence d’un avocat, peut durer de quelques heures à plu­sieurs semaines. Dans la majorité des cas, le mineur reste menotté et parfois attaché à une chaise pendant des heures, dans des posi­tions occa­sionnant de vives dou­leurs aux poi­gnets, aux mains, au dos et aux jambes.
Près de 75% des enfants suivis par DCI-​​Palestine en 2013 ont été vic­times de vio­lences phy­siques entre le moment de l’arrestation et la fin de l’interrogatoire. À cela s’ajoutent les menaces de coups, d’agression sexuelle, de torture ou encore de mort, ainsi que les insultes et les hurlements.
Violations des droits fondamentaux des enfants palestiniens
Le but de ces pra­tiques qui foulent au pied les droits de l’Homme et contre­viennent à la Convention des Droits de l’enfant qu’Israël a signée est notamment d’extorquer des aveux rédigés en hébreu qui consti­tueront l’un des prin­cipaux, si ce n’est le seul, fon­dement de la condam­nation qui peut aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. 90% des accusés écopent d’une peine d’emprisonnement ferme, essen­tiel­lement pour jets de pierres ou de cock­tails Molotov. Au 28 février 2014, 230 mineurs étaient détenus dans des prisons israé­liennes dont 36 âgés de moins de 16 ans. Elles ont aussi pour objet, dans plus d’un cas sur dix, de tenter de recruter ces enfants comme indi­ca­teurs des ser­vices secrets pour qu’ils dénoncent les adultes de leur entourage.
Contrai­rement aux Israé­liens, et aux Pales­ti­niens de Jérusalem-​​Est qui relèvent du droit pénal israélien civil, ceux de Cis­jor­danie – y compris les mineurs – sont régis par la loi mili­taire israé­lienne qui ne garantit pas leurs droits fon­da­mentaux. Ainsi par exemple, ils peuvent se voir refuser le droit de consulter un avocat pendant 90 jours, au lieu des 48 heures excep­tion­nel­lement pro­lon­geables à 21 jours prévus par le droit pénal israélien. Tandis que près de la moitié des enfants israé­liens et de Jérusalem-​​Est arrêtés béné­fi­cient d’une libé­ration sous caution, à peine plus de 23% des enfants pales­ti­niens de Cis­jor­danie dont DCI Palestine a suivi le dossier y ont droit. Ce refus est d’autant plus pro­blé­ma­tique que le temps de pro­cédure devant les tri­bunaux mili­taires peut aller jusqu’à un an avec pos­si­bilité de renou­vel­lement d’un an par la cour mili­taire d’appel, pour seulement 6 mois devant la justice israé­lienne de droit commun.
Ce système inique est aussi propice au « plaider cou­pable ». Tous les mineurs pales­ti­niens condamnés le sont à l’issue d’un procès devant le tri­bunal mili­taire pour mineurs. Dans la majorité des cas, la condam­nation résulte d’un accord négocié avec le pro­cureur mili­taire au terme duquel l’accusé plaide cou­pable – bien qu’il continue géné­ra­lement à reven­diquer son inno­cence – en échange d’une peine « allégée ». Dans très peu de cas la condam­nation résulte d’une séance com­plète du tribunal.
A ceci plu­sieurs raisons. Rares sont les accusés relaxés par les tri­bunaux mili­taires. La plupart ont signé des aveux sous la contrainte, qui seront de toute façon uti­lisés par le tri­bunal mili­taire pour les condamner. Par ailleurs, la pro­cédure devant le tri­bunal mili­taire, pendant laquelle ils res­teront en détention, peut durer plus de temps que la période d’emprisonnement qu’ils pour­raient négocier avec le pro­cureur en acceptant de plaider coupable.
Enfin, si une petite partie des mineurs ainsi condamnés purgent leur peine en Cis­jor­danie à la prison d’Ofer, la plupart, comme Hendi, est trans­férée à la prison de Megiddo, en Israël, en vio­lation de l’article 76 de la qua­trième convention de Genève pré­voyant que les res­sor­tis­sants des ter­ri­toires occupés doivent purger leur peine dans leur ter­ri­toire. Les parents de ces mineurs ont les plus grandes dif­fi­cultés à obtenir un permis d’entrée en Israël, et ils peinent à pro­fiter des 45 minutes de visite bimen­suelle, ou parfois n’y par­viennent tout sim­plement pas. Les enfants se retrouvent alors privés de tout contact avec leur famille et avec l’extérieur, Là aussi en vio­la­tions de tous leurs droits.
Plaidoyer pour le respect des droits civiques
Les récits des enfants de Cis­jor­danie aux prises avec l’armée et la justice mili­taire israé­liennes, recueillis et vérifiés par les agences de l’ONU et les ONG de défense des droits humains, sont ainsi jalonnés de vio­lences, d’irrégularités, de mul­tiples atteintes à leurs droits les plus fondamentaux.
Cette situation dra­ma­tique découle de l’administration de la Cis­jor­danie par l’armée israé­lienne qui y assume tous les rôles, y compris celui de la justice, qui n’a de justice que le nom.
Malgré l’illégalité d’une telle réalité en droit inter­na­tional, le système perdure, conforté par une impunité ins­ti­tu­tion­na­lisée et un silence com­plice des par­te­naires occi­dentaux, en dépit des condam­na­tions répétées du Comité contre la torture et du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, pour ne citer qu’eux.
Mais en attendant, et, sans perdre de vue la lutte pour le droit des peuples à dis­poser d’eux-mêmes, une cam­pagne pour le respect des droits civiques des Pales­ti­niens sous autorité israé­lienne et pour leur ali­gnement sur les droits des Israé­liens apparaît aujourd’hui comme une priorité.
Sahar Francis, direc­trice d’Addameer Pri­soner Support and Human Rights Asso­ciation Gene­viève Gar­rigos, pré­si­dente d’Amnesty Inter­na­tional France Shawan Jabarin, directeur d’Al-Haq Claude Léostic, pré­si­dente de la Pla­te­forme des ONG fran­çaises pour la Palestine Ishai Menuchin, directeur du Public Com­mittee Against Torture in Israel François Picart, pré­sident de l’Action des chré­tiens contre la torture France Randa Siniora, Pré­si­dente de Defence for Children International-​​Palestine Section Taoufiq Tahani, pré­sident de l’Association France Palestine Soli­darité Pierre Tar­ta­kowsky, pré­sident de la Ligue des droits de l’Homme France
Sou­tenir le pro­chain docu­men­taire de la Pla­te­forme des ONG fran­çaises pour la Palestine sur Kiss­Kiss­BankBank, « Palestine : la case prison » qui traitera de la question de pri­son­niers palestiniens : http://​www​.kiss​kiss​bankbank​.com/la-…