jeudi 27 mars 2014

Les négo­cia­tions au Proche-​​Orient sus­pendues à la libé­ration de pri­son­niers palestiniens

Laurent Zecchini, Le Monde, mercredi 26 mars 2014
Si l’enjeu n’était pas aussi déter­minant pour l’avenir de la popu­lation pales­ti­nienne, les trac­ta­tions diplo­ma­tiques qui s’intensifient à l’approche du 29 mars pour­raient paraître déri­soires. Soumis à une pression accrue de l’administration amé­ri­caine, Israé­liens et Pales­ti­niens dis­posent encore d’un peu plus d’un mois (jusqu’au 29 avril) pour tenter de se mettre d’accord sur un consensus minimal : la pro­lon­gation — au-​​delà de la période de neuf mois qui avait été convenue entre eux —, des négo­cia­tions sur les grands prin­cipes de l’accord-cadre pour la création d’un Etat pales­tinien, que doit leur pro­poser Washington.
Mais c’est en réalité fin mars que les choses vont se jouer : Israël doit relâcher le qua­trième et dernier contingent des 104 pri­son­niers pales­ti­niens qu’il s’était engagé à libérer au début de ce cycle de pour­parlers, en échange de l’engagement de l’Autorité pales­ti­nienne de sur­seoir à toute démarche visant à obtenir son adhésion à dif­fé­rentes agences des Nations unies, voire à la Cour pénale inter­na­tionale. 26 pri­son­niers pales­ti­niens, condamnés avant les accords d’Oslo (1993) doivent, en principe, être élargis à la fin de la semaine.
Mahmoud Abbas, pré­sident de l’Autorité pales­ti­nienne, assure que leur libé­ration n’est pas liée à la pour­suite des négo­cia­tions (il se réserve donc la pos­si­bilité de refuser la seconde), tout en laissant entendre que celles-​​ci seraient à coup sûr com­pro­mises si Israël renonce à libérer les pri­son­niers. Le sort des détenus dans les geôles israé­liennes a tou­jours été au cœur des pré­oc­cu­pa­tions de la société pales­ti­nienne (rares sont les familles qui ne sont pas concernées). L’insistance de M. Abbas se com­prend d’autant mieux qu’il ne peut se pré­valoir d’aucune autre avancée auprès de ses conci­toyens pour jus­tifier un pro­cessus de négo­cia­tions jusque-​​là stérile.
La « carte Pollard »
En Israël, de nom­breux res­pon­sables poli­tiques s’expriment sur le sujet : les plus modérés, comme la ministre de la justice Tzipi Livni, qui pilote les négo­cia­tions avec les Pales­ti­niens, sont d’avis de ne pas libérer les pri­son­niers si M. Abbas ne donne pas son accord pour pour­suivre les négo­cia­tions. Les plus ultras, comme Danny Danon, vice-​​ministre de la défense et chef de file de l’aile dure du Likoud, le parti du premier ministre Benyamin Néta­nyahou, sont opposés à la remise en liberté de « ter­ro­ristes ayant du sang sur les mains ». La décision est d’autant plus dif­ficile à prendre que M. Abbas exige que 14 Arabes Israé­liens (qui ont la natio­nalité israé­lienne) soient inclus dans la liste des 26 prisonniers.
Alors qu’il assure avoir reçu des assu­rances en ce sens de la part du secré­taire d’Etat amé­ricain John Kerry, le gou­ver­nement israélien dément l’existence d’une telle clause, et se réserve le droit de choisir l’identité des pri­son­niers libé­rables. Le dif­férend semble inex­tri­cable, sauf à jouer la « carte Pollard »… Jonathan Pollard est un citoyen amé­ricain inter­pellé en 1985 et condamné en 1987 à la prison à per­pé­tuité aux Etats-​​Unis pour espionnage au profit d’Israël. Sa libé­ration est demandée depuis des années par les Israé­liens : il est devenu une cause nationale.
Le mar­chandage diplo­ma­tique (offi­cieux) pourrait être le suivant : la libé­ration de Pollard en échange de celles des Arabes-​​Israéliens. Un tel accord semble très incertain, notamment parce que le pré­sident Barack Obama s’est tou­jours refusé à faire preuve de clé­mence en faveur de l’ancien ana­lyste de l’US Navy. Ces trac­ta­tions se déroulent dans la cou­lisse, mais sur fond de tension crois­sante en Cis­jor­danie, d’accélération de la colo­ni­sation dans les ter­ri­toires pales­ti­niens occupés, et alors que les posi­tions des deux parties sur leurs prin­cipaux désac­cords (le tracé des fron­tières, le droit au retour des réfugiés, la question de Jéru­salem, etc.) n’ont jamais semblé aussi éloignées.
John Kerry interrompt son voyage
Alors que M. Néta­nyahou continue d’exiger des Pales­ti­niens qu’ils recon­naissent Israël comme « Etat-​​nation du peuple juif », M. Abbas répète qu’une telle concession est hors de question. Outre le soutien de la Ligue arabe, il a reçu, mer­credi 26 mars, celui du sommet des diri­geants des pays arabes réunis à Koweït, qui ont affirmé « leur refus total et caté­go­rique de recon­naître Israël comme un Etat juif ».
Ce bras de fer entre Israé­liens et Pales­ti­niens devrait trouver son épi­logue dans les pro­chains jours : les seconds font monter la pression en menaçant de relancer leurs démarches onu­siennes si Israël ne libère pas les pri­son­niers. Ce scé­nario ne com­por­terait alors qu’une cer­titude : ce serait la fin de ce cycle du pro­cessus de paix. C’est pour cela que John Kerry, inter­rompant un voyage en Europe et en Arabie saoudite avec le pré­sident Obama, ren­con­trera Mahmoud Abbas, ce mer­credi à Amman (Jor­danie), dans ce qui res­semble à une réunion de la der­nière chance.